Une incapacité française

Dans les stupides racontars médiatiques sur tout ce que le monde nous envie – notre école, nos hôpitaux, nos syndicats, notre administration – et sûrement bientôt notre dette… – il y a heureusement notre peuple réel et ses qualités foncières qui sont toujours là, même si leurs expressions quotidiennes sont bloquées par un ensemble ahurissant de règles de toute nature issues directement de notre nouvelle devise et de sa conséquence la sur-administration paralysante.

Par Guy Labouérie.(*) Brest, le 6 octobre 2014.© 

Il est assez vain de se lamenter sur l’état de notre pays surtout si l’on en fait porter la seule responsabilité sur ceux qui exercent le pouvoir aujourd’hui. Évidemment le fait que le président actuel ait bien marqué qu’il était d’abord un président « socialiste » et non le président de tous les Français augurait mal de la suite de son quinquennat. C’est ce qui s’est aussitôt passé avec l’incroyable bévue du mariage pour tous qui a divisé les Français et retiré toute confiance dans le pouvoir. Malgré les condamnations aussi bien de l’Europe pour son comportement vis-à-vis des « émeutiers » que celles du Conseil d’État pour le refus du Conseil Économique et Social de prendre en compte avec le silence du Conseil Constitutionnel, contrairement à la Constitution, la pétition de plus de 700.000 personnes… Ce gouvernement ne cesse d’aller à contre-courant d’un comportement démocratique. Le CESE étant présidé par un membre de l’opposition, droite et gauche se retrouvent en réalité sur le but des propositions dites sociétales : imposer à un peuple évidemment « ignorant » ce que seules les élites peuvent comprendre et administrer : entrer dans un nouveau monde hérité des « lumières de 1968 » sans se rendre compte qu’il s’agissait de lumières noires et non de l’éclairage d’un avenir radieux. C’était d’autant plus stupide que ce qu’attendait le peuple c’était avant tout le redressement de l’Économie et du marché du travail et non les élucubrations d’intellectuels et d’idéologues sans prise sur le réel se contentant, comme trop souvent, de copier bêtement tout ce que les États-Unis fournissent de désespérant et de lamentable à partir de la Californie : licence sexuelle, tabac, drogues, mariages multiples, négation de la famille, transformation de l’homme et de la femme en un être réduit à l’état de zombi indifférencié, etc. alors qu’il y aurait tant à apprendre des États-Unis.

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Nous pouvons certes nous désoler du peu de compétences de nos élites qui confondent exercice du pouvoir avec les capacités à l’assumer. Mais notre état actuel remonte à beaucoup plus loin à partir d’une incapacité originelle que nous ne voulons pas voir, qui éclate pourtant depuis la fin de la monarchie en 1793 et perdure aujourd’hui. C’est la confusion du principe d’une République autocentrée avec l’application de la Démocratie. Les mauvais esprits iront jusqu’à penser que c’était inscrit dans la forme de gouvernement des siècles précédents mais cela a réellement commencé avec la Veuve et le génocide vendéen. Malgré l’évidence de considérables progrès de la démocratie dans beaucoup de pays européens, malgré les observateurs avertis, jamais nous n’avons été capables de réduire cette confusion permanente, qui est une faute politique grave dont les conséquences durent toujours.

Amiral Guy Labouérie – Photo © JFD

Rien ne l’illustre mieux que notre choix d’une vingtaine de constitutions et de régimes pendant ces deux derniers siècles. Nous devons être une des rares nations importantes de cette époque à faire preuve d’une telle inconstance et d’une pareille indécision dans l’être même de la politique nationale. Nous n’avons cessé d’imaginer et de croire que c’est à travers ces changements permanents que nous trouverions le meilleur équilibre. Même la dernière Constitution, en 1958, ne paraît plus répondre aux nécessités de l’heure malgré ses innombrables modifications, de droite et de gauche, d’où l’appel à une VIe République comme vient de l’écrire le président de l’Assemblée Nationale!

Malheureusement d’emplâtres en emplâtres ce n’est pas ainsi que nous sortirons de notre difficile situation, profondément politique, plus importante que financière qui n’en n’est qu’une conséquence. Si nous voulons reprendre notre chemin en avant il nous faut définitivement effacer cette faute originelle. Nous ne pouvons plus nous satisfaire de cette espèce de mixage politique que nous sommes pratiquement les seuls à tenir en Europe et qui nous fait hésiter entre un État à tendance totalitaire et une véritable démocratie. Nous nous glorifions de ce que nous appelons en tous domaines « l’exception française » situation en réalité opposée à toute modification de nos habitudes et certitudes pourtant mises à mal par l’évolution générale de la planète. A l’heure où nous prétendons presque tous être favorables à l’Union Européenne il est regrettable de constater que de tous les pays européens importants, en particulier ceux des Six originaux, nous sommes le seul à ne pas être réellement démocratique dans nos institutions. Ne sautons pas sur nos chaises en criant « nous votons, nous votons, donc nous sommes en démocratie » car le vote n’est pas la démocratie, ce n’en n’est que le signe et le moyen et trop de pays totalitaires se cachent derrière cette confusion. Malheureusement, d’oscillations en oscillations, de changements de majorité en changements de majorité, d’idéologies tordues en idéologies matérialistes, de systèmes politiques en systèmes politiques, notre incapacité reste là avec les résultats que nous connaissons.

Prenons quelques exemples sur nos quarante dernières années. Qu’après les horreurs des communismes chinois et soviétique nous supportions la persistance d’un parti communiste même discrédité ne trompe pas sur ce que les inconscients veulent considérer comme anecdotique. Il n’en est rien alors qu’il est l’origine et le facteur de continuité d’un terrorisme intellectuel avec sa grande spécialité du politiquement correct – sans oublier les lois mémorielles – qui ont massacré quantité de personnes, empêché bien des réformes salutaires pour le pays, et réduit au silence trop de médias et de télévisions, facilitant tous les mensonges des divers gouvernants et la publicité d’associations parfois plus que douteuses. Faut-il parler de syndicats qui ne sont guère démocratiques, particulièrement la CGT, se contentant de gérer leurs situations acquises largement subventionnées alors même que leur nombre d’adhérents les discrédite ? C’est ce marxisme mal digéré qui aujourd’hui, malgré les beaux discours, est à la source de la substitution progressive de notre très belle devise « liberté, égalité, fraternité », par « licence, égalitarisme, assistanat » où le terme le plus important et le plus dangereux est l’égalitarisme entraînant les deux autres. Au nom de l’égalitarisme des gourous mal dans leur peau voudraient que l’ensemble de leurs concitoyens vivent dans le même désordre de la pensée et de l’action qu’eux-mêmes, en refusant de voir les drames que cela entraîne dans toute la société. C’est accentué contre les familles – ce terme de plus en plus honteux si elles sont fondées sur le triptyque homme/enfants/femme – tout autre couple, paire, associations diverses, etc. étant considéré comme identique en vertu de l’égalitarisme national, la meilleure formulation étant contenu dans les théories du Genre.

Le désastre le plus complet se retrouve dans l’Éducation Nationale, son collège unique et ses méthodes purement idéologiques d’apprentissage de notre langue, de notre histoire et de notre culture. Cela entraîne le malheur d’une majorité des enfants français d’immigrés qui ne pourront un jour que se retourner contre leur pays qui ne leur donne pas les enseignants, les méthodes, l’accès à l’histoire et aux racines véritables de leur pays ainsi que les lieux et moyens adaptés à leur situation initiale, pour leur donner la même ouverture, le même développement et le même épanouissement que les autres. Si un certain nombre de ces enfants réussissent brillamment ce sont ceux dont la famille est toujours présente et attentive, avec des professeurs se dépensant sans compter. Mais qu’advient-il des autres dont ces centaines partant en Irak-Syrie au service de l’horreur, et des dizaines de milliers traînant leur mal-être vaguement subventionné dans les rues des cités?

On retrouve cela en économie où, jamais exprimé ouvertement sauf chez les plus excités, le rêve de trop de nos dirigeants serait le nivellement par le bas pour que tous soient contents: chacun avec une petite voiture et une petite maison alors que le but d’une politique démocratique est que tous disposent de voitures performantes en vivant dans des appartements ou maisons agréables, fruit de leur travail, avec la véritable liberté… celle de penser, d’agir, de se déplacer, d’éduquer, de travailler, etc. Il y a un peu plus d’un siècle des Hutus mécontents de la grande taille des Tutsis imaginaient volontiers qu’en leur coupant les jambes à hauteur des genoux cela rétablirait leur égalité… Un siècle plus tard cette mentalité jamais éteinte engrenait sur les massacres que l’on connaît.

Toutes proportions gardées c’est en tout domaine l’œuvre de l’égalitarisme qui sert l’immobilisme puis la violence. Alors que tout salarié de la SNCF sait qu’un train ayant perdu sa locomotive ne peut que s’arrêter très vite, le Président en personne annonce dans un bizarre égarement sa détestation des riches. Signant une profonde ignorance des réalités économiques du pays sa politique fiscale entraîne une fuite des consommateurs en France et le départ à l’étranger de tous ceux qui veulent construire plus librement leur vie que dans notre superbe carcan administratif. Par contre il n’est pas considéré comme scandaleux que l’impôt sur le revenu ne soit payé que par 48% des citoyens, ce que l’assistanat rend obligé… Dès qu’on touche à l’argent il n’y a plus d’égalitarisme qui tienne ! Combien d’élus de haut niveau et de hauts cadres administratifs ont-ils demandé une diminution de leurs émoluments au moment où il faut faire des milliards d’économie ? Que fait-on pour harmoniser les retraites et leur incroyable complication et leurs criantes inégalités ? …

Il s’y ajoute malheureusement une évolution de la Justice, cette pièce maîtresse de la Démocratie, qui par maladresses, politisation d’une partie des magistrats, et volonté de changer pour changer appuyée sur beaucoup de mensonges, est de plus en plus mal comprise par la majorité de la population. Dans ce domaine, comme dans d’autres d’ailleurs, nous acceptons trop facilement – politiquement correct oblige, cette lâcheté – certaines « dictatures » de minorités, ce qui est contraire au véritable esprit démocratique. Que les minorités soient reconnues et protégées ne doit pas se transformer en imposition à tous de leurs idées y compris les plus folles annoncées par les trompettes de la modernité, c’est l’origine de tout totalitarisme. Ce faisant nous sommes plus près du « mur des cons » que d’une véritable justice ce qui pourrait entraîner à terme des ravages dans la société. Les derniers remue-ménages autour d’une nouvelle loi pénale montrent à quel point il faut être prudent dans ce que l’on propose au peuple français.

Au-delà des exemples que l’on pourrait multiplier, ce que l’on constate, c’est un profond mépris du peuple particulièrement depuis 1974. Tout s’y est aggravé pour arriver au « mariage pour tous » et aux désespérantes gesticulations sociétales et autres qui suivent depuis deux ans, comme si l’on pouvait balayer 2000 ans d’histoire d’un simple revers de main ou par une idée farfelue, tout en calmant ou croyant calmer la grogne, évidemment populiste, par l’assistanat. Plutôt que de proclamer que nous sommes si bien gouvernés que le monde entier ne cesse pas de nous envier nous devrions réfléchir un peu plus sérieusement au fait que pas un pays ne nous imite ! Non seulement nous ne voyons pas le ridicule dans lequel nous nous enfonçons à l’extérieur mais à l’intérieur nos élites considèrent toujours que le peuple ne peut rien comprendre à l’excellence de leurs idées et de leurs comportements personnels et collectifs comme à la politique internationale et plus encore évidemment à l’économie. Le bal des hypocrites de droite et de gauche à propos de « vie privée – vie publique » est saisissant de ce point de vue.

Non ! Ce peuple est nul, toujours prêt à croire leurs mensonges, enfermé aussi bien dans la « chair à canon » d’hier que dans les « sans dents » d’aujourd’hui. Celui qui ne cesse de se renouveler est le mensonge de la Révolution qui fut essentiellement celle des petits bourgeois craignant de perdre leurs acquis devant la dette abyssale du pays tout en méprisant les foules dont ils se sont servis! Étrange similitude!… Il faut éduquer ce peuple sur des principes et des projets que seules nos élites sont capables d’imaginer, d’énoncer et de faire appliquer… mais sans s’apercevoir que l’on ne construit pas une société démocratique à partir de l’ignorance de ce que vit ce peuple.

Quand on travaille seulement dans un rayon de 2 kilomètres autour du palais Bourbon tandis que de multiples organismes de conseillers des plus divers racontent un peu n’importe quoi sur tous les sujets (« syndrome BHL »), ce qu’en voient aujourd’hui les citoyens c’est un jeu, terrible, d’amour et de haine entre les vieilles et impuissantes droite et gauche ruinant petit à petit le pays mensonge après mensonge, à tous les niveaux de responsabilité. Dix mille personnes à Paris et quelques-unes dans les métropoles se croient maîtres des 67 millions d’autres Français! C’est devenu d’autant plus insupportable que ce « peuple de nuls » est bien plus en phase qu’ils ne le croient avec les réalités du monde d’aujourd’hui, grâce à internet, aux réseaux sociaux, à maintes associations, à la presse et aux TV étrangères, à leurs propres voyages à travers la planète, etc. permettant l’accès à une information que trop de médias et de presses officielles ne diffusent guère ou pas. Quel citoyen ne serait insensible à l’abaissement de notre pays dans les guerres successorales des uns, les aventures des autres, les indélicatesses des deux bords, la corruption rampante du pays et l’impuissance face aux réformes de plus en plus indispensables et de plus en plus difficiles. Quel citoyen, en dehors de quelques bobos égarés sur une planète égoïste différente, peut-il adhérer à des modifications de l’ensemble de sa mémoire, de sa culture, à l’ignorance de son histoire, au dévoiement idéologique de sa justice, et au mépris grandissant manifesté à son égard? Quel citoyen accepterait de gaieté de cœur cette lente dégringolade de notre puissance et de l’image de notre pays dans le monde ?

Dans les stupides racontars médiatiques sur tout ce que le monde nous envie – notre école, nos hôpitaux, nos syndicats, notre administration – et sûrement bientôt notre dette… – il y a heureusement notre peuple réel et ses qualités foncières qui sont toujours là, même si leurs expressions quotidiennes sont bloquées par un ensemble ahurissant de règles de toute nature issues directement de notre nouvelle devise et de sa conséquence la sur-administration paralysante. Qu’on ait pu aller jusqu’à rendre constitutionnel un « principe de précaution » a sidéré le monde entier mais pas comme nous l’espérions. Pourtant, en se limitant aux quarante dernières années les mises en garde de toute sorte n’ont pas manqué. Relisons par exemple au milieu de bien d’autres quelques ouvrages marquants : « La société de confiance » de A. Peyreffite ; « Deux siècles chez Lucifer » de M. Clavel ; « La tentation totalitaire » de Revel ; « la transparence du mal » de Baudrillard ; « La grève d’Ayn Rand », etc. Rien n’y a fait, le politiquement correct et des idéologies déconnectées de la réalité humaine ont tout bloqué. La glissade du pays atteignant toutes ses activités y compris immatérielles a continué tandis que les partis politiques de plus en plus désarçonnés tentaient de multiples martingales inefficaces, conduisant la population à renverser à leur égard le mépris qu’ils leur manifestent, à se retirer chez elle y compris financièrement en augmentant son épargne au détriment de l’économie et des emplois, en même temps que monte son incompréhension voire sa colère.

Nous sommes trop riches de tout ce que notre pays a construit depuis près de 2000 ans pour ne pas continuer notre route, particulièrement par la qualité des personnes, à laquelle il faudra joindre le plus vite possible celle des descendants de nos immigrés. Compte tenu de l’échec apparent de ce qui, après tout, n’a duré qu’à peine deux siècles et demi avec une confusion politique globale nous conduisant de succès en échecs, de joies en souffrances, d’espoirs en déceptions, de crimes en « fausses repentances », il nous faut nous réveiller et puiser dans notre histoire le courage qui nous manque depuis 40 ans.

Il y a de quoi pleurer et aussi de quoi se ressaisir pour tenter autre chose de nouveau à imaginer, de préférence à une révolution qui serait écrasée, incomprise et dévoyée comme les précédentes… Souvenons-nous de la Commune comme de Tian’anmen ailleurs! Mais ne nous faisons pas d’illusion, seule la disparition de notre incapacité originelle nous permettra de trouver la Démocratie et les solutions acceptables par tous. Il y faudra du temps, du courage et l’appel à une nouvelle génération d’hommes et de femmes politiques dans une transformation complète de nos partis et de leurs représentations. Nous avons aussi chez nous des jeunes gens, hommes et femmes, capables de tout remettre en question au même titre que ce jeune Chinois de 17 ans animant les manifestations de Hong Kong pour obtenir une véritable démocratie. Un indice encourageant est de constater qu’après trop d’années de variations socio-philosophiques incertaines et parfois dangereuses, des philosophes, en particulier des femmes, s’élèvent désormais avec talent contre la plupart des idées fausses que nous avons trop longtemps véhiculées et nous ont conduits dans le mur auquel nous nous heurtons aujourd’hui. Écoutons-les, inventons et travaillons avec de nouvelles générations vers le renouveau de notre devise « liberté – égalité – fraternité » à faire vivre démocratiquement et pas seulement dans les banquets républicains.

Guy Labouérie

(*) Après avoir commandé l’École Supérieure de Guerre Navale et quitté la Marine, l’Amiral Labouérie s’est consacré à l’enseignement en Université et à des études de stratégie générale et de géopolitique. Élu à l’Académie de Marine, il a été notamment professeur à l’École de Guerre Économique, membre du comité stratégique de l’Institut de Locarn en Bretagne et est souvent intervenu dans diverses écoles et entreprises sur les questions de géopolitique et de stratégie.

Chroniques de Guy Labouérie en 2014 :