La réalité des engagements de l’armée de l’Air se situe bien au-delà de ce que prévoit la LPM en vigueur : vingt avions de combat projetés au lieu de douze, trois BAP au lieu d’une, quatre théâtres d’opérations au lieu d’un.
Présidence de M. Jean-Jacques Bridey. La séance est ouverte à neuf heures trente.
M. le président Jean-Jacques Bridey. Mes chers collègues, nous avons le plaisir de recevoir aujourd’hui le général André Lanata, chef d’état-major de l’armée de l’air. Avant de vous laisser la parole, Mon général, je souhaitais vous remercier au nom de l’ensemble de la commission pour l’organisation de la journée que nous avons passée à vos côtés sur la base aérienne de Saint-Dizier. Elle était des plus intéressantes.
Général André Lanata, chef d’état-major de l’armée de l’air. Monsieur le président, merci de ces propos introductifs. Soyez assuré que l’armée de l’air se tient à votre disposition pour vous faire comprendre, ainsi qu’à tous les députés de votre commission, ce qui constitue les principes de fonctionnement de notre armée, ou plutôt de votre armée, car elle appartient avant tout aux Français et aux Françaises que vous représentez. À cet égard, nous nous devons de vous accueillir sur le terrain, de telles visites étant seules à même de permettre la compréhension de nos missions et le quotidien des aviateurs.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les députés, c’est toujours un réel plaisir que celui de me retrouver à nouveau devant vous ce matin pour vous parler de ce qui me tient à cœur : la vocation qui m’anime, puisqu’il s’agit davantage d’une affaire de cœur que d’un métier, et celle des milliers d’hommes et de femmes qui derrière moi au sein de l’armée de l’air servent la France.
C’est un moment privilégié, pour un chef d’état-major de l’armée de l’air, de venir témoigner devant la représentation nationale de l’engagement et du sens du devoir exceptionnel des aviateurs, comme des enjeux auxquels ils font face tous les jours « d’Orly à Raqqa » pour reprendre une formule que j’ai employée récemment afin d’illustrer de façon lapidaire et probablement réductrice, la diversité des missions dans lesquelles ils sont engagés aujourd’hui pour la protection des Français.
Vous savez toute l’importance que j’accorde à ces échanges et à la relation de confiance entre les armées et votre commission, à l’heure où nos forces sont pleinement engagées, sur tous les fronts et dans la durée. Car je sais aussi l’appui apporté par votre commission pour faire face à ces enjeux que nous rencontrons et je tiens à vous en remercier.
Les aviateurs que j’ai l’honneur de commander et au service desquels je me trouve – et pas l’inverse, j’insiste – et que vous rencontrez lors de vos déplacements, comme récemment sur la base aérienne de Saint-Dizier où, comme cela vient d’être rappelé, j’ai accompagné une délégation de votre commission, ou en opérations extérieures, en ont conscience aussi. Ils connaissent toute l’importance de vos travaux et suivent vos débats.
Lors de notre précédente rencontre au mois de juillet, je vous avais décrit l’ensemble des missions que les aviateurs mènent, souvent en première ligne et parfois au péril de leur vie sur le territoire national ou à l’extérieur de nos frontières, en réalité partout sur la planète. J’avais saisi cette occasion pour vous présenter les principes qu’impose l’exploitation militaire du milieu aéronautique et spatial.
Nous sommes réunis aujourd’hui pour évoquer le projet de loi de finances pour 2018 et ses conséquences pour l’armée de l’air. Avant de vous les présenter en détail, j’évoquerai très rapidement la revue stratégique dont les travaux viennent de s’achever, puisque nous étions vendredi dernier avec le président de la République pour lui remettre le résultat des réflexions du comité auquel j’ai participé. Ces orientations me permettront, de vous livrer les enjeux qui en résultent et que j’identifie pour le volet air de la future loi de programmation militaire. Il me paraît toutefois important de commencer par revenir sur certaines évolutions récentes et notables concernant nos opérations.
Car les opérations, comme je le dis souvent, constituent le seul véritable exercice de vérité pour nos armées : vérité sur la qualité de nos équipements, vérité sur la valeur de nos soldats et vérité sur la qualité de leur entraînement.
Au mois de juillet, je vous avais décrit l’ensemble des missions confiées à l’armée de l’air. Au premier plan de nos missions permanentes, figurent la dissuasion et la posture permanente de sûreté aérienne. Vous avez eu, lors de votre déplacement sur la base aérienne de Saint-Dizier, un éclairage sur l’exigence de ces missions fondamentales pour la protection de notre pays, menées sans discontinuité par les forces aériennes depuis plus de cinquante ans. J’inclus ici la mission de protection de nos propres installations, que nous avons considérablement renforcée depuis les attentats terroristes de 2015.
S’y ajoutent notre contribution aux opérations sur le territoire national en appui des forces de sécurité intérieure – Vigipirate et Sentinelle – ainsi que notre participation aux missions de service public (recherche et sauvetage, lutte contre les incendies de forêt, mission de surveillance du sol au profit d’autres ministères, etc.) et les missions de réassurance réalisées dans le cadre de l’OTAN, principalement des missions de police du ciel, de surveillance et de reconnaissance sur la façade Est de l’Europe. Je n’oublie bien entendu pas les missions régulières de reconnaissance de l’espace libyen ni, enfin, nos engagements au Sahel et au Levant, qui constituent notre première ligne de défense dans la lutte contre le terrorisme. C’est en cela aussi que notre action contribue directement à la protection des Français. « Notre sécurité, elle se joue au Proche et Moyen-Orient et en Afrique aujourd’hui, pleinement », comme le soulignait dimanche soir dernier le président de la République devant les Français.
Toutes ces missions ont toujours cours au même niveau d’intensité et d’engagement qu’en juillet, lorsque je me suis présenté devant votre commission. Que s’est-il passé depuis ? J’évoquerai principalement les évolutions de notre engagement au Levant et notre intervention aux Antilles suite au passage dévastateur du cyclone IRMA début septembre.
Tout d’abord au Levant. La campagne aérienne contre Daech se poursuit, inlassablement. Et les résultats sont là : après la chute de Mossoul, Raqqa vient de tomber, ce qui constitue un symbole important. Daech continue de perdre le terrain qu’il avait conquis et finira par le perdre définitivement. C’est inéluctable. La question qui se pose désormais est celle des formes vers lesquelles ce conflit pourrait glisser.
À cet égard je constate une évolution notable de la physionomie de cet engagement. L’imbrication des forces au sol est de plus en plus marquée, au fur et à mesure que l’étau se resserre sur Daech en Syrie. Il en est de même dans les airs. Les avions de la coalition évoluent désormais quotidiennement dans un mouchoir de poche à proximité des Soukhoï russes et des Mig syriens, tout cela au cœur des systèmes de défense sol-air des forces armées russes et syriennes. Ceci illustre la complexité de la situation dont je ne vais pas ici décrire tous les ressorts. Cela nous conduirait probablement trop loin. Je me limiterai à tirer plusieurs constatations dans le domaine qui est le mien.
Première constatation, les forces aériennes produisent des effets militaires décisifs contre Daech dans cette campagne. Deuxième constatation, il en résulte mécaniquement que les espaces aériens dans lesquels nous opérons sont de plus en plus contestés : moyens de défense sol-air et chasseurs de dernière génération sont au cœur de l’engagement des forces de part et d’autre.
Voilà des années que les responsables des armées de l’air le disent ; il s’agit désormais d’une réalité avec laquelle nous allons devoir compter sur nos théâtres d’opérations. Plusieurs incidents récents, qui auraient pu avoir des conséquences graves et changer la physionomie de cette crise, l’illustrent.
Dernière constatation, l’enjeu du contrôle du terrain est donc lié en réalité à celui du contrôle de l’espace aérien face à des rivaux disposant de capacités symétriques aux nôtres. Il s’agit, sur le plan militaire, d’une tout autre affaire. J’ouvre une parenthèse : dans un conflit de type symétrique, soit vous disposez des instruments de suprématie aérienne et vous avez une chance de l’emporter, soit vous ne les avez pas et vous êtes certain de perdre ! Ceci est démontré historiquement.
Cela impose à nos aviateurs de rester au meilleur niveau, tant en termes d’équipements que de préparation opérationnelle, pour maîtriser des situations potentiellement conflictuelles et continuer de faire peser notre volonté par la voie des airs, sans tomber dans les pièges que ce type de situation pourrait engendrer du fait de la contraction des espaces de manœuvre que je vous ai décrite.
Il est difficile à ce stade de prédire avec certitude l’évolution de cette campagne dans les mois à venir. Après Raqqa, les opérations vont se poursuivre pour éliminer Daech dans la basse vallée de l’Euphrate. La phase de stabilisation qui devrait suivre la chute du califat, sera certainement longue et exigeante en termes de moyens de renseignement, de surveillance et de reconnaissance (ISR) et d’appui aérien, bien que probablement moins cinétique que ce que nous avons vécu jusqu’à maintenant. C’est du moins l’expérience que nous avons faite sur les théâtres d’opérations précédents en Afghanistan comme au Mali. Il s’agit d’une phase essentielle aux opérations militaires car elle conditionne souvent la reprise du processus politique et diplomatique. Il ne faut donc en sous-estimer ni l’importance, ni la complexité.
Dans ce contexte, je voudrais souligner l’emplacement idéal de notre base aérienne projetée (BAP) en Jordanie qui nous permet de nous adapter à toute évolution de la situation dans la région.
Avec à peine 400 aviateurs, notre base en Jordanie est économique et idéalement placée, ce qui limite le recours à une ressource indispensable et précieuse parce que rare : le ravitaillement en vol. Elle avait en outre permis une réponse politique puissante et instantanée dont nos concitoyens avaient besoin, avec les frappes de rétorsion conduites sur Raqqa dans la nuit qui a suivi les attentats du 13 novembre 2015. Les liens que nous tissons avec la Jordanie contribuent à notre diplomatie de défense dans la région. Enfin, cette BAP nous permet de durer dans un conflit de longue haleine et dispose de larges capacités d’accueil, le porte-avions venant renforcer et soulager périodiquement notre force aérienne à terre. En ce moment nous y accueillons d’ailleurs, pour une période de deux mois, les Rafale de la marine nationale qui opèrent depuis la terre compte tenu de la période d’entretien du porte-avions Charles de Gaulle. Cela nous permet en outre de renforcer les synergies entre l’armée de l’air et l’aéronavale.
J’en viens aux Antilles. Les armées, et l’armée de l’air en particulier, se sont mobilisées pour porter secours et assister les populations en détresse, d’abord à partir de nos implantations outremer en Guyane et en Martinique, mais aussi grâce aux rotations de nos avions de transport depuis la métropole.
Ces opérations impliquent, à l’heure où je vous parle, encore une cinquantaine d’aviateurs. Depuis plus de six semaines, près de 7 000 personnes et 700 tonnes de fret ont été transportées. Jusqu’à 150 aviateurs ont été présents sur le terrain aux côtés de nos camarades de l’armée de terre et de la marine nationale, de la gendarmerie et de la sécurité civile. Nos avions de transport – A340, A400M, CASA – et nos hélicoptères Puma ont réalisé un véritable pont aérien soit depuis la métropole, soit depuis nos emprises en Guyane, Martinique et Guadeloupe, pour acheminer eau potable, vivres, matériel médical, et soulager les populations les plus démunies.
Cette nouvelle opération m’amène à deux constats.
Premièrement, l’importance de nos forces de souveraineté comme échelon de réaction immédiat. Nous sommes sans doute allés trop loin dans leur réduction lors des deux lois de programmation militaire (LPM) précédentes.
Deuxièmement, les théâtres lointains sont accessibles quasi immédiatement depuis la métropole grâce aux moyens modernes de transport aérien stratégique. L’A400M, capable de rallier les Antilles depuis sa base d’Orléans en moins de 10 heures de vol sans escale, a montré toute sa plus-value dans ce type de mission, malgré les défauts de jeunesse de cet appareil qui affectent encore trop souvent la disponibilité de cette flotte et par conséquent nos capacités de projection. Nous pourrons y revenir à l’occasion des questions, si vous le souhaitez. Dans les travaux de la LPM qui viennent de débuter, il faudra donc trouver les bons équilibres entre les forces de souveraineté et les capacités d’intervention immédiate dont nous disposons en métropole.
Par rapport à la situation que je vous avais décrite en juillet dernier, voilà brièvement les évolutions notables que je souhaitais évoquer avec vous concernant les engagements de l’armée de l’air. Durée, intensité, dispersion, diversité, durcissement restent les mots-clefs, soulignés par la revue stratégique d’ailleurs, qui caractérisent nos opérations. Rien ne me permet de penser que ces caractéristiques devraient évoluer à court ou moyen terme.
La réalité de nos engagements se situe bien au-delà de ce que prévoit le modèle issu de la LPM en vigueur : vingt avions de combat projetés au lieu de douze, trois BAP au lieu d’une, quatre théâtres d’opérations au lieu d’un.
Ce niveau d’engagement, somme toute « mesuré » pour un pays comme la France – après tout 20 avions de combat ne constituent pas un volume de force exceptionnel – conduit notre dispositif aux limites de ses possibilités. Il faut comprendre que pour une période limitée dans le temps nous saurions absorber cette surintensité. C’est une situation que nous avons connue à plusieurs reprises, il est vrai avec un format qui était toutefois plus conséquent : pendant la campagne du Kosovo, ou celle de Libye par exemple. À chaque fois ces engagements ne duraient pas plus de six mois. De fait, nous avions pu faire face à l’intensité avant de régénérer les hommes et les équipements.
Les crises que nous vivons aujourd’hui se distinguent des précédentes : outre qu’elles se multiplient, elles sont plus intenses et, surtout, elles durent. Ainsi le nombre d’avions déployés n’est pas représentatif de l’intensité de nos engagements, ni du format à mobiliser pour conduire nos opérations. Je vous donne une illustration. En 2016, à partir de notre seule base déployée en Jordanie, nous avons réalisé environ 7 500 heures de vol d’avions de chasse. Alors que nous n’y avions en moyenne que sept avions déployés, cela représente l’activité annuelle de 85 pilotes aptes aux missions de guerre (en prenant pour hypothèse que chacun de ces pilotes réalise la moitié de son allocation annuelle en opérations, ce que je considère comme tout à fait excessif pour entretenir l’ensemble de leur savoir-faire). 85 pilotes c’est un tiers des capacités actuelles de l’armée de l’air consommé à partir de notre seule base en Jordanie !
C’est ainsi que les déséquilibres organiques s’accumulent et le risque d’effondrement devient réel. C’est bien là que réside l’enjeu des travaux de programmation qui débutent : « restaurer la soutenabilité de nos engagements, investir résolument dans l’avenir pour que nos armées puissent faire face aux menaces de demain » pour reprendre les mots de notre ministre devant votre commission il y a quelques jours. Il s’agit d’abord d’une question d’ambition, laquelle a été soulevée dans le cadre des travaux de la revue stratégique.
Comme je l’indiquais en préambule, la revue stratégique qui vient d’être remise au président de la République offre une analyse éclairée de la situation internationale et des menaces, ainsi que des aptitudes à mobiliser pour y faire face. Je ne reviendrai pas sur la dégradation du contexte sécuritaire, ni sur la nécessité qui en résulte de disposer d’un modèle d’armée complet, capable d’agir dans la durée, sur tout le spectre des opérations militaires. Les opérations que je viens de décrire suffisent à démontrer ce que la revue stratégique confirme à son tour.
Nous disposons toutefois, je le souligne, d’une autonomie relative compte tenu de certaines fragilités, notamment dans les domaines du ravitaillement en vol et de la surveillance qui nous contraignent à recourir aux capacités alliées pour conduire nos opérations. Je vous propose plutôt de concentrer mon propos sur les points saillants concernant mon domaine, celui des forces aériennes.
Premièrement, la réaffirmation de l’importance de la maîtrise de l’air et de la capacité à conserver la supériorité aérienne. Je vous l’avais dit en juillet, il s’agit d’un prérequis à toute opération militaire, qu’elle se déroule sur terre, en mer ou dans les airs. L’évolution des conditions d’engagement de nos aéronefs en Syrie illustre ce contexte décrit par la revue stratégique d’espaces aériens devenant de plus en plus contestés, en particulier par la mise en œuvre de stratégies de déni d’accès, y compris sur des théâtres régionaux en raison de la dissémination de ces capacités. La revue stratégique constate également que cette contestation croissante s’étend désormais au domaine spatial, où nous devons préserver également notre liberté d’action. Elle est essentielle, et pas seulement pour les opérations militaires.
Deuxièmement, l’importance de la persistance des actions aériennes. C’est un point que j’estime extrêmement important car il n’est pas naturel pour le milieu aérien en raison de la contrainte d’autonomie que rencontrent les avions. Nos opérations démontrent cette tendance lourde de notre développement, illustrée par exemple par le besoin de permanence de la surveillance au Sahel ou des besoins d’appui aérien au Levant pour contraindre Daech. Cette persistance de nos actions est obtenue par un équilibre entre le recours à des capacités spécifiques (systématisation du ravitaillement en vol, drone de longue endurance) et un nombre d’équipements suffisant.
Troisièmement, la capacité à durer, que je distingue de la persistance des actions aériennes parce qu’elle caractérise surtout la résilience de l’outil militaire, y compris la capacité à régénérer le capital humain et matériel. Je ne développe pas pour en avoir suffisamment parlé.
Quatrièmement, la revue stratégique insiste sur la capacité d’entrée en premier, intrinsèquement liée aux capacités d’actions dans la profondeur de l’aviation de combat.
Je terminerai par l’agilité du système de combat aérien et la question des moyens consacrés à chaque fonction stratégique : dissuasion, protection, intervention. Nous avons fait le choix d’équipements haut du spectre et polyvalents permettant une bascule d’effort rapide. Le même Rafale passe de la posture de dissuasion à la défense aérienne de notre espace aérien ou à une mission de reconnaissance en Libye. Un A400M livre du fret humanitaire aux Antilles un jour et un hélicoptère à Madama au Sahel le lendemain. Ce choix a permis une mutualisation des moyens consacrés à chaque mission et une réduction considérable de nos formats ces dernières années. Aujourd’hui, le nombre total d’équipements, donc le format de notre dispositif, redevient un facteur clef quand le nombre des engagements simultanés ne cesse d’augmenter, tout comme les espaces et les étendues terrestres ou maritimes à surveiller. Nos avions n’ont pas le don d’ubiquité.
L’ensemble de ces aptitudes et considérations constituera des données d’entrée pour la LPM. Parmi les orientations fortes figurant dans la revue stratégique apparaît également l’ambition européenne. Parce que le milieu aérien est naturellement ouvert et partagé, les forces aériennes occidentales ont développé et déjà atteint un niveau de coopération et d’interopérabilité élevé. Cette aptitude à conduire des opérations en commun, à chaque fois que nos autorités politiques l’ont demandé, a été démontrée plusieurs reprises comme lors de la campagne libyenne ou des opérations conduites aujourd’hui au Levant. Je crois pouvoir dire que les armées de l’air européennes sont capables d’opérer ensemble.
Par ailleurs, les initiatives prises à l’échelle européenne afin de mutualiser nos capacités sont nombreuses. Je pense aux accords de défense aérienne que nous avons avec chacun de nos pays limitrophes ou au partage de la situation aérienne et à la mise en œuvre de moyens de commandement et de contrôle des opérations aériennes communs grâce au système de commandement et de contrôle aériens (ACCS) développé à travers l’OTAN. Dans le domaine de la défense aérienne, nous n’avons pas besoin de nous envoyer un ordre d’opérations pour coordonner nos actions lorsqu’un bombardier russe pénètre dans nos approches aériennes. Je pense encore à notre coopération dans le domaine spatial à partir du centre satellitaire de l’UE à Torrejon. Je pense aussi bien sûr à la mise en commun d’une partie de nos flottes de transport aérien au sein du commandement du transport aérien militaire européen basé à Eindhoven. Je pense également aux nombreuses coopérations en cours avec l’armée de l’air allemande : escadron mixte de C-130J à Évreux, formations communes des équipages et mécaniciens A400M, travaux sur le futur de l’aviation de combat, coopération sur le futur drone européen.
La Royal Air Force (RAF) est également un partenaire clef, de longue date en Europe. Nous combattons côte à côte sur les théâtres d’opérations, nous contribuons à la mise en œuvre d’une force d’intervention dans le cadre de la force expéditionnaire commune (CJEF), déclarée opérationnelle en 2016. Nous poursuivons des études dans le domaine des missiles et des drones de combat. Quelles que soient les évolutions politiques au Royaume-Uni, la RAF restera, selon moi, un partenaire clef pour l’armée de l’air et pour la défense de l’Europe.
Tout ceci pour vous dire qu’au niveau des armées de l’air du continent, l’Europe avance. Aussi, il me semble que la défense de l’Europe dépend autant d’une volonté politique commune et des moyens qui lui seront consacrés collectivement.
Pour terminer sur le volet de nos actions conduites à l’international, je dois vous parler de la question du soutien à l’export, que la revue stratégique évoque également. En termes de soutien aux exportations, notamment du Rafale, l’armée de l’air joue un rôle de premier plan. Elle contribue à la promotion des équipements réalisés par notre industrie de défense. Sans l’expérience opérationnelle et les savoir-faire mis en œuvre par l’armée de l’air il n’y aurait pas d’export du Rafale. Elle accompagne ensuite ces marchés par des actions de formation des mécaniciens et des pilotes principalement, en clair des heures de vol de formation. Cela finit par représenter une charge considérable dont les moyens n’ont pas été prévus en programmation militaire. Pour l’année 2018, l’activité chasse réalisée dans ce cadre représentera tout de même près de 10 % de notre activité, l’équivalent de l’activité chasse de l’opération Barkhane. Il s’agit d’une mission à part entière, qui consomme une part très importante de notre activité. Cette mission est pourtant indispensable pour notre pays et le soutien à notre industrie. C’est pourquoi l’armée de l’air doit disposer des moyens nécessaires pour la réussir pleinement sans accroître les déséquilibres organiques dont j’ai déjà parlé. Il s’agit en effet d’heures de vol dont nos pilotes auraient besoin. J’estime que cette mission a été insuffisamment prise en compte dans la LPM en vigueur, notamment en termes de ressources humaines. Cela constituera donc un point de vigilance de ma part dans les travaux de la prochaine LPM.
Ce sujet me permet d’enchaîner sur ce chantier de la LPM dont les travaux débutent au sein du ministère. Je souhaiterais vous présenter les principaux enjeux que j’identifie pour l’armée de l’air et mes priorités.
Il faut commencer par rappeler quelle est la base sur laquelle nous allons bâtir cette nouvelle LPM. Faute de cette analyse nous risquons de prendre des décisions erronées. Face à une forte contrainte budgétaire, la LPM en cours avait fait le choix de préserver un modèle d’armée complet ainsi que notre base industrielle et technologique, au prix d’une série de compromis affectant nos capacités : réductions temporaires de capacités, contraintes sur l’entretien programmé des équipements, report de modernisations, vieillissement de nos équipements ou de l’infrastructure, diminution des stocks de rechanges ou de munitions, notamment.
Un plan de transformation ambitieux et volontariste qui se poursuit encore aujourd’hui a permis à l’armée de l’air de faire face à cette situation, tout en inscrivant ces évolutions majeures dans le cadre d’un projet d’avenir qui a donné un cap et un objectif à tous les hommes et les femmes de l’armée de l’air.
En un mot, nous avons mis des forces en marche, ces forces chères à Saint-Exupéry. Nous avons pris nos responsabilités et continué à avancer avec dynamisme et enthousiasme. Nos succès en opérations ont démontré la pertinence de cette démarche dont je vous avais décrit les grandes lignes en juillet dernier. C’est à ce cadre aux équilibres fragiles que s’est appliquée la pression croissante des opérations à laquelle sont venues s’ajouter les missions de soutien aux marchés export du Rafale, conduisant aujourd’hui à des déséquilibres organiques préoccupants.
Ainsi j’estime que le dispositif de l’armée de l’air souffre davantage d’un retard d’investissement que d’un phénomène d’usure qui en est la conséquence. La pression exercée par le contexte d’engagement opérationnel est venue ensuite en révéler les lacunes.
Voici de façon très schématique, le contexte dans lequel il nous revient de bâtir cette nouvelle LPM. Celle-ci s’inscrit dans une perspective très positive depuis l’annonce par le président de la République d’un accroissement sensible de notre effort de défense consistant à rejoindre d’ici 2025 l’objectif des 2 % du PIB. Cette perspective suscite une forte attente de la part des hommes et des femmes de l’armée de l’air, après des années de restructuration et de déflations d’effectifs. Compte tenu de l’ensemble de ces éléments et du cadre redéfini par la revue stratégique, j’identifie trois enjeux majeurs pour l’armée de l’air dans la prochaine LPM.
Premièrement, ce que j’appelle – et je vais faire plaisir au président Bridey – « réparer le présent ». Il s’agit de redonner de la cohérence et de l’épaisseur au modèle existant pour soutenir dans la durée les engagements actuels sans dégradation organique, en comblant les lacunes. Autrement dit, il s’agit de chercher à tirer le meilleur parti du dispositif existant en faisant effort sur les stocks de rechanges ou de munitions, sur l’entretien programmé pour améliorer la disponibilité, sur les ressources humaines, sur les équipements de mission de nos avions dont l’insuffisance limite de façon excessive nos capacités opérationnelles. Ceci permettra, incidemment, et j’y suis très attaché, d’améliorer les conditions de travail de nos hommes et femmes, une part importante des difficultés de fidélisation que nous rencontrons y étant liée selon moi.
Deuxièmement, il faut poursuivre la modernisation de nos flottes. Les opérations que nous conduisons réclament cette adaptation continue tout comme l’évolution des standards d’engagement dans le milieu aérospatial. J’inclus ici bien sûr, le renouvellement de la composante nucléaire aéroportée qui structure celle de notre aviation de chasse.
Troisièmement, à terme, il conviendra de porter progressivement notre format de forces au niveau réclamé par les nouvelles ambitions opérationnelles, qui résultent des niveaux d’engagement constatés depuis plusieurs années. À travers ces trois enjeux, j’identifie trois priorités, que je vous avais déjà exposées en juillet dernier : l’aviation de combat, le ravitaillement en vol, les ressources humaines.
La question du futur de notre aviation de combat est un sujet central, stratégique pour notre défense et plus largement notre pays, car elle constitue à la fois un marqueur de puissance et un enjeu de sécurité. Il s’agit d’un sujet complexe où s’entrelacent de multiples dimensions : politique, stratégique, internationale, technologique, industrielle, capacitaire et budgétaire. Face à cette complexité, il me paraît utile de poser les principales orientations telles que je les vois. À court terme, il s’agit premièrement de renforcer la cohérence, la « densité » opérationnelle du dispositif existant, cela rejoint ce que je viens de vous dire au sujet de la priorité « réparer le présent ». J’estime en outre nécessaire de stabiliser le format de l’aviation de chasse de l’armée de l’air à 215 appareils, pour faire face au niveau d’engagement que nous constatons depuis des années.
Deuxièmement, il faut poursuivre nos efforts de modernisation. Le lancement d’un standard F4 du Rafale est en effet essentiel pour faire face à l’évolution des menaces et maintenir ce chasseur au meilleur niveau sur la scène internationale à l’horizon 2025. Aujourd’hui, le Rafale fait la preuve de sa maturité sur tous les théâtres d’opérations. Il n’a rien à envier à ses concurrents. Demandez aux équipages et aux mécaniciens qui le mettent en œuvre. Il est important de continuer à le moderniser, car l’environnement dans lequel il opère ne cesse d’évoluer. Ainsi nous continuerons à disposer d’un appareil supérieur. J’en suis convaincu.
À moyen terme, c’est-à-dire à partir de 2030, il s’agira de remplacer les Mirage 2000D arrivant en fin de vie par des appareils compatibles avec le futur missile nucléaire de la composante nucléaire aéroportée. J’ouvre une parenthèse pour rappeler l’importance du renouvellement des deux composantes de la dissuasion, décidé par le président de la République. Parfaitement complémentaires l’une de l’autre, toutes deux concourent à l’ensemble des missions de la dissuasion. Je me permets d’insister sur les atouts de la composante aéroportée : crédible et précise, son caractère démonstratif permet le dialogue dissuasif. Son renouvellement constituera donc un jalon incontournable pour notre aviation de combat.
À plus long terme, c’est-à-dire celui du retrait de service des premiers Rafale, il s’agira de construire le système de combat aérien futur qui pourrait être réalisé dans le cadre d’une coopération européenne.
Compte tenu des durées de développement de ce type de programme, des choix importants et engageants sur l’avenir de l’aviation de combat nous attendent à l’horizon 2020-2022. Les études préparatoires doivent être lancées pour nous permettre d’éclairer ces décisions.
Vous connaissez ma vigilance au sujet du ravitaillement en vol. J’estime que l’âge excessif de la flotte C-135 – plus de 50 ans – expose nos capacités à un risque trop important. L’usage systématique et intensif du ravitaillement en vol dans toutes nos opérations en intervention, mais aussi pour la protection et la dissuasion, rend la sécurisation de cette capacité incontournable. C’est pourquoi je recommande vivement une accélération du calendrier des livraisons des MRTT, nos C-135 étant prévus d’être maintenus en service jusqu’en 2025 en l’état des hypothèses de programmation. Ils auront alors 60 ans ! Par ailleurs, une augmentation de la cible de MRTT avion de ravitaillement et de transport stratégique polyvalent, sera indispensable pour couvrir l’ensemble des besoins de la composante nucléaire aéroportée, de l’aviation de combat et du transport stratégique. Une révision de la cible finale des MRTT à hauteur de 18 appareils me paraît nécessaire au vu des engagements constatés.
Concernant les ressources humaines, je vous avais expliqué en juillet dernier les difficultés auxquelles nous faisons face. J’estime en effet notre modèle en danger. Il s’agit de ma principale préoccupation et de la priorité de mes priorités. Cette situation résulte d’un effort de déflation d’effectifs trop important demandé à l’armée de l’air ces dernières années. Après les mesures prises dans l’actualisation de la LPM et lors du Conseil de défense d’avril 2016, l’armée de l’air, à elle seule, supporte plus de 50 % des réductions d’effectifs du ministère sur la LPM en vigueur. Cette situation est génératrice de tensions sur les rythmes de travail qui induisent à leur tour des problèmes de fidélisation et d’attractivité dans de nombreuses spécialités, comme chez les fusiliers commandos. 70 % des militaires du rang fusilier commando ne vont pas au terme de leur premier contrat. Chez les spécialistes des systèmes d’information, nous n’arrivons à recruter que 60 % du personnel requis.
Les domaines du renseignement, des mécaniciens aéronautiques, des contrôleurs aériens, des spécialistes des infrastructures de nos bases projetées et de l’armement des centres de commandement font l’objet de difficultés comparables, d’autant qu’il s’agit souvent de spécialités de haut niveau soumises à une forte concurrence du secteur privé.
Le rapport du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire (HCECM) du 6 octobre 2017 confirme ces difficultés ainsi que les problèmes de fidélisation que nous rencontrons. Il est urgent de casser ce cercle vicieux.
La réponse doit être globale et nécessite une attention toute particulière aux conditions de vie et de travail de nos soldats, ainsi qu’à leurs familles. À ce propos, je salue la démarche conduite par notre ministre dans le cadre du « plan familles ». Elle me paraît essentielle.
Mon principal point d’attention concerne l’insuffisance des effectifs. Mon état-major étudie actuellement tous les leviers possibles pour dégager des marges de manœuvre et tenter de résoudre cette très difficile problématique. La poursuite de notre transformation, conduite dans le cadre du plan Unis pour faire face, va incontestablement nous y aider. Je pense notamment aux chantiers de simplification que j’ai lancés. Ils doivent permettre d’alléger la charge que font peser sur nos hommes et femmes de nombreux processus qui ont un peu eu tendance à se « sédimenter ». J’estime toutefois que les marges restantes sont désormais réduites compte tenu des très nombreuses restructurations et optimisations déjà conduites ces dernières années : 17 bases aériennes fermées depuis 2008, et la suppression de la moitié des commandements et directions. Je n’exclus par conséquent aucune voie pour résoudre mes problèmes.
Voilà donc les points essentiels dont je souhaitais vous faire part pour cette nouvelle LPM. Mes priorités s’inscrivent parfaitement dans la volonté de remontée en puissance du président de la République permise par l’ambition budgétaire des 2 % du PIB qui l’accompagne. Vous l’avez compris, cette ambition répondra à mon besoin de responsable militaire de mettre un terme aux lacunes que je constate et qui conduisent au processus implacable d’usure des hommes. Il s’agit tout simplement d’une question de cohérence entre les ambitions et les moyens, et c’est bien cette cohérence que j’aspire à rétablir en priorité.
C’est dans ce cadre opérationnel, capacitaire et budgétaire que s’inscrit le projet de loi de finances pour l’année 2018. Ce budget est en augmentation sensible par rapport à 2017. Il s’agit d’un budget à la hauteur des engagements pris ces dernières années et qui traduit les décisions prises dans la LPM actualisée et celles du conseil de défense du 6 avril 2016, augmenté des mesures relatives à la condition du personnel prises à l’été 2016 et d’un effort pour la protection de nos forces. Plus important encore, le PLF 2018 inscrit la défense sur la trajectoire des 2 % du PIB.
Je m’apprête maintenant à vous en décrire les principales dispositions concernant l’armée de l’air. Que ce soit en raison des livraisons attendues pour certaines depuis très longtemps ou des commandes vitales à réaliser en 2018, je voudrais vous convaincre que ce projet de budget est capital, et je pèse mes mots, pour l’armée de l’air car il concerne toutes nos capacités centrales : ravitaillement en vol, avec l’arrivée du tout premier MRTT et la commande des trois derniers prévus au titre de la cible des 12 de la LPM en vigueur – j’ai déjà rappelé toute l’importance de cette capacité – ; concernant l’aviation de chasse, commande des kits de rénovation de 55 Mirage 2000D sans lesquels nos avions ne disposeront plus de capacité d’autoprotection et devront faire face à des obsolescences rédhibitoires dès 2022, rétrocession des trois Rafale prélevés et livrés finalement à l’Égypte en 2016 et lancement du standard F4 du Rafale dont je viens de vous présenter l’importance ; dans le domaine du transport aérien dont vous connaissez les fragilités, livraison de deux A400M supplémentaires et du deuxième C-130J complétant le premier qui devrait nous être livré d’ici la fin 2017. J’observerai avec attention la montée en puissance de cette nouvelle flotte dans l’armée de l’air, compte tenu des difficultés rencontrées par l’A400M ; s’agissant du renseignement aéroporté, livraison du premier avion léger de surveillance et de reconnaissance que nous sommes aujourd’hui contraints de louer à des sociétés privées pour soutenir nos opérations, lancement du programme de recueil de renseignement électro-magnétique CUGE, central pour les capacités de guerre électronique de toutes les armées, et qui a vocation à remplacer les Transall Gabriel qui devront être retirés du service en 2023 compte tenu de leur âge, c’est-à-dire demain ; concernant le renforcement de nos capacités de protection du territoire national, réception de nouveaux radars de dernière génération – dans ce domaine je suis toujours autant préoccupé par les difficultés rencontrées par le programme ACCS conduit avec l’OTAN ; dans le domaine de la formation, réception sur la base aérienne de Cognac des huit premiers PC 21, indispensables autant pour moderniser la formation de nos pilotes de chasse que pour initier la profonde manœuvre de restructurations qui verra d’ici 2021 l’arrêt de l’activité Alpha Jet et la fermeture de la plateforme aéronautique de la base aérienne de Tours ; concernant enfin les munitions, livraison du tout nouveau missile air/air METEOR qui apportera une amélioration déterminante à la capacité d’interception du Rafale, lancement du programme « successeur MICA » sans lequel nos avions ne disposeront plus de missiles d’autoprotection à partir de 2024 – ; en ce qui concerne les munitions air/sol, l’effort se poursuit après les alertes concernant le niveau de nos stocks de bombes compte tenu de la consommation constatée au Levant, je considère la situation sous contrôle pour les bombes de 250 kg. Je continuerai toutefois à demander l’intégration de l’AASM sous M2000D et de la GBU49 sous Rafale pour faciliter nos opérations. Je trouve en effet cette ségrégation des stocks par type d’avion contraire au bon sens élémentaire, et je pèse mes mots. Je pense également nécessaire de nous préoccuper de l’acquisition de bombes de 500 et 1000 kg, dotées de capacité tout temps.
Après cette énumération probablement un peu fastidieuse, MRTT, Rafale, Mirage 2000D, ALSR, CUGE, A400M, C130J, PC21, munitions, vous comprenez probablement mieux pourquoi j’ai absolument besoin d’une exécution stricte de ce budget 2018.
Sur le plan de la préparation opérationnelle, la remontée vers les normes d’activité se poursuivra en 2018. Pour cette année, nous prévoyons respectivement 170 heures de vol par pilote de chasse, 194 pour les équipages d’hélicoptère et 280 pour les équipages de transport, soit 5 % d’activité en plus pour la chasse et 10 % pour le transport par rapport à 2017. Cette progression s’ajoute à celles constatées les années précédentes. Elle me paraît remarquable si l’on considère la pression, non anticipée en programmation, qu’exercent nos opérations sur le système du maintien en condition opérationnelle (MCO) aéronautique. L’activité chasse en opérations a presque triplé en cinq ans. Elle est le fruit des efforts de modernisation du MCO aéronautique conduits en interne depuis plusieurs mois ainsi que celui du coup de pouce accordé aux crédits d’entretien programmé du matériel (EPM) lors de l’actualisation de la LPM. Cette activité reste néanmoins en deçà des normes d’entraînement reconnues par l’OTAN. Elle cache par ailleurs des déséquilibres préoccupants.
D’une part une grande partie de cette activité est réalisée en OPEX, plus de 50 % pour de nombreux équipages Rafale. D’autre part, s’ajoute la charge de soutien à l’export dont j’ai déjà parlé. Tout cela limite la part d’activité consacrée à l’entraînement et à la formation des plus jeunes, qui accusent d’importants retards de progression. Je constate en effet un allongement des formations de nos équipages de l’ordre de 30 %, ce qui illustre l’érosion organique dont je vous parlais.
Tout cela impacte également la qualité de cet entraînement. Je manque cruellement d’équipements de missions comme les nacelles de désignation laser, majoritairement déployées en opérations. La situation est tout aussi préoccupante dans le transport aérien. La disponibilité de nos flottes et les engagements opérationnels ne permettent plus de maintenir les compétences des équipages. Aussi, seule une poignée d’entre eux maîtrise encore certains savoir-faire de haut niveau tels que l’atterrissage sur terrain sommaire, la livraison par air ou la conduite d’une opération aéroportée.
Ce point sur l’activité m’amène à évoquer avec vous les perspectives du MCO aéronautique. Tout d’abord, je fais deux constats : la situation de certaines flottes est objectivement mauvaise ; ce n’est toutefois pas le cas de toutes les flottes (exemple de l’aviation de chasse). Je constate également qu’à un niveau macroscopique, le MCO aéronautique réalise une performance supérieure à celle prévue par la LPM, malgré la pression opérationnelle et la charge de soutien à l’export que les choix de programmation n’avaient pas anticipé. Je viens de vous en fournir plusieurs illustrations.
Compte tenu des enjeux considérables, budgétaires et opérationnels, portés par le maintien en condition opérationnelle des équipements aéronautiques je voudrais vous faire part de quelques convictions. Première conviction, le pilotage du MCO par le facteur opérationnel est celui qui a permis la remontée d’activité. C’est pourquoi je pense nécessaire d’être prudent concernant toute approche fonctionnelle qui éloignerait la finalité opérationnelle du pilotage du MCO.
Deuxième conviction, la performance du MCO dépend aussi – et peut-être surtout – des choix de programmation : l’âge des parcs, le manque de pièces de rechange, l’absence d’appareils en volant de gestion, l’insuffisance des ressources humaines et des crédits d’entretien programmés, les immobilisations pour chantier de retrofit pèsent sur la disponibilité des flottes. Un exemple parmi d’autres : la charge de maintenance de nos vieux C-135 a doublé ces dix dernières années, passant de 20 heures à 40 heures de maintenance par heure de vol réalisée, générant une pression considérable sur le personnel de maintenance. Nous arrivons en limite de ce que nous pouvons faire.
Troisième conviction, les équipements récents ont un coût de soutien plus élevé, parce que leurs performances sont supérieures. Il ne faut pas aujourd’hui regretter la conséquence de nos choix. Par ailleurs, nous n’avons probablement pas suffisamment accordé d’attention à ce facteur dans la conception de nos programmes d’armement. Il s’agit là d’un axe de progrès mais dont les effets ne se feront sentir qu’à long terme.
Quatrième conviction, les opérations pèsent sur la performance du MCO : usure accélérée compte tenu de la sévérité des conditions d’emploi (C-130, hélicoptères, CASA), consommation de potentiel accélérée, attrition au combat (Caracal), dispersion des ressources logistiques et de maintenance (quatre BAP).
Cinquième conviction, si nous avons certainement des progrès à faire en interne du ministère, certains industriels sont défaillants dans leur performance.
Sixième conviction, il n’y a pas un sujet MCO aéronautique, il y a autant de sujets qu’il y a de flottes. La situation de la flotte A400M n’a rien de comparable à celle du Tigre ou de l’ATL2.
Septième conviction, les temps du MCO sont longs : les effets de l’effort sur l’EPM dans l’actualisation de la LPM en 2015 ne se feront sentir qu’à partir de 2018 : cinq ans pour engranger les effets de la modification du plan de maintenance du Tigre, deux ans entre la commande et la livraison d’un réacteur ou d’un radar Rafale. Ainsi il faut donner de la sérénité à ce système et se mettre en situation de mesurer les effets des réformes entreprises depuis plusieurs mois.
Je peux vous garantir que tous les acteurs sont mobilisés pour améliorer la performance globale du MCO aéronautique, et en particulier la disponibilité des flottes en situation critique.
Comme j’ai déjà eu l’occasion de vous le dire plusieurs axes d’amélioration sont d’ores et déjà identifiés : amélioration de la gouvernance haute consistant à renforcer le rôle de la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère la Défense (SIMMAD), meilleure approche du soutien d’une flotte sur la totalité de son cycle de vie, effort de simplification en matière de navigabilité, développement de systèmes d’information performants et surtout commun à tous les acteurs – ce n’est pas le cas aujourd’hui –, politique contractuelle visant à réduire le nombre de contrats et inciter à une meilleure performance industrielle, élaboration de plans spécifiques pour les flottes critiques.
Mais au-delà de tous ces axes, je reste convaincu que les choix de la LPM seront primordiaux pour définir le niveau d’EPM et les ressources humaines garantissant les équilibres. Les conclusions du rapport d’audit demandé par la ministre contribueront enfin à nous aider à renforcer et à accélérer ce processus d’amélioration.
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, au terme de cette présentation de ses enjeux, j’estime que le projet de loi de finances 2018, dont l’exécution parfaite est essentielle pour l’armée de l’air pour les raisons que j’ai indiquées, manifeste une ambition politique claire, celle de l’amorce d’une remontée en puissance, à condition toutefois de bien mettre à disposition du ministère toutes les ressources prévues d’ici la fin d’année 2017. Nous savons tous que la réussite de l’exercice 2018 dépend des conditions de sortie de 2017 dont la fin de gestion est toujours et encore porteuse d’enjeux considérables. Je pense notamment à la couverture de la fin des surcoûts OPEX restants et au déblocage de crédits encore gelés, dont l’absence pèserait lourdement sur l’équipement de nos forces.
Quant à l’impact des annulations de crédits à hauteur de 850 millions d’euros, et je pense anticiper vos questions, je l’estime modéré pour l’armée de l’air. En effet, aux côtés des mesures financières prises par le ministère afin de limiter l’impact physique immédiat de cette annulation, des mesures de report de plusieurs opérations d’équipement ont été prises. Pour l’armée de l’air, il s’agit principalement du décalage d’environ six mois de la commande des kits de rénovation des Mirage 2000D, sans conséquence sur les livraisons finales, du décalage de compléments capacitaires pour les avions légers de surveillance, du report de la commande d’un hélicoptère Caracal, du report de la commande de la charge utile ROEM sur drone MALE en raison du retard pris par cette opération.
Voilà pourquoi je considère que l’impact des annulations de crédits est limité pour l’armée de l’air, à condition de commander le Caracal au premier semestre 2018. En effet, sur une flotte Caracal réduite de 18 machines, réparties entre l’armée de l’air et l’armée de terre, deux ont été détruites en opérations. Une seule d’entre elles sera réparée au cours d’un chantier qui durera au minimum deux ans, l’autre doit être remplacée. Or ces machines constituent une composante essentielle de nos forces spéciales en particulier pour les opérations conduites au Sahel. C’est la raison pour laquelle le décalage de cette commande ne peut excéder quelques mois.
En conclusion, Mesdames et Messieurs les députés, je voudrais saluer le courage des hommes et des femmes de l’armée de l’air. Le courage de ce pilote qui délivre de l’armement de précision sur les positions de Daech en Syrie, ce même pilote qui décide, quelques jours plus tard, de ne pas ouvrir le feu en Irak parce qu’il juge que les conditions ne sont pas réunies. Décision difficile à prendre dans le feu de l’action et alors que des vies sont en jeu – je sais de quoi je parle. Le courage de ce jeune réserviste, en patrouille à l’aéroport d’Orly, qui neutralise un terroriste qui s’attaque à son équipier et tente de lui prendre son arme. Je l’ai décoré le 22 septembre dernier dans la cour d’honneur des Invalides. C’est aussi le courage de cette convoyeuse de l’air qui fait face au rapatriement dans l’urgence de familles traumatisées, qui ont tout perdu suite au passage du cyclone Irma sur l’île de Saint-Martin. C’est encore le courage de ces pompiers de l’air qui interviennent à la demande du préfet, en renfort des équipes civiles pour circonscrire un incendie qui menace le sud de la ville d’Istres et qui permettra de sauver des flammes tout un quartier.
Alors que j’ai surtout parlé d’équipements, de commandes et de livraisons, de taux et normes d’activité, de crédits d’EPM, d’annulation ou de reports de crédit, et autre barbarismes technocratiques, je souhaiterais que nous conservions à l’esprit qu’au bout de tout ceci il y a des hommes et des femmes qui risquent leur vie et combattent pour la protection des Français.
J’ai en particulier une pensée pour cet aviateur grièvement blessé aux côtés de ses frères d’armes le week-end dernier, suite au crash d’un avion de transport en Côte d’Ivoire, alors qu’il était engagé dans nos opérations au Sahel. Il faut être convaincu que nos succès en opérations, mais également que les efforts considérables d’adaptation conduits par l’armée de l’air en ordre et avec responsabilité ces dernières années reposent sur leurs épaules, sur leur sens de l’engagement et surtout sur la gratuité de cet engagement. La satisfaction de servir leur suffit. Il ne faut pas que cela devienne un prétexte pour ne pas compenser ce qu’ils nous donnent.
Ces succès reposent également sur leurs familles qui endurent les restructurations, les longues absences, les départs avec un préavis de quelques heures à l’autre bout du monde, le doute, les blessures et parfois les disparitions dramatiques. Nos familles doivent être solides. Elles font intrinsèquement partie de notre force au combat.
Ces succès reposent aussi sur notre force morale et les valeurs que nous portons et que nous transmettons aux jeunes qui rejoignent notre institution ou ceux qui nous approchent et en direction desquels j’ai pris de nombreuses initiatives pour transmettre ce que nous estimons être une richesse.
C’est pour l’ensemble de ces raisons aussi que je suis tant préoccupé par les difficultés rencontrées au quotidien et qui conduisent un trop grand nombre de nos hommes et femmes à préférer quitter l’armée de l’air. J’estime que nous perdrions l’essentiel et c’est irrattrapable. Il y a urgence.
Ces hommes et ces femmes font la fierté de notre pays et méritent la reconnaissance de la Nation entière. Ils sont ma source principale d’attention, de fierté et de préoccupation. Je tenais à terminer mon propos en leur rendant un hommage appuyé.
Mesdames et Messieurs les députés, vous pouvez compter sur leur professionnalisme, leur générosité, leur engagement et leur sens du devoir au service de nos compatriotes, au service de la France. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. le président. Merci Mon général pour ce propos liminaire et en particulier, pour les dernières pages consacrées à vos femmes et à vos hommes, à leur courage, à leur engagement. Au nom des membres de la commission et en mon nom personnel, je tiens à dire que nous sommes conscients de la réalité de l’engagement de tous nos soldats et que nous serons particulièrement attentifs dans nos propositions à l’amélioration des conditions de travail, ainsi qu’à leurs familles, afin qu’ils puissent s’épanouir dans l’exercice de leurs missions. Mes chers collègues, nous avons déjà dix-huit questions ! Je pense que nous nous en tiendrons là ! Je demande à nouveau à ce que vous vous en teniez à une minute de prise de parole afin de laisser un maximum de temps pour la réponse. Notre rapporteur pour avis sur les crédits de l’armée de l’air est exempté de cette règle mais il va toutefois faire au plus court, n’est-ce pas ?
M. Jean-Jacques Ferrara. Mon général, je tiens à vous remercier pour la clarté de vos propos et votre franchise. Nous avons déjà eu maintes fois l’occasion d’échanger dans le cadre de mon avis sur les crédits de l’armée de l’air. Pouvez-vous toutefois approfondir votre propos sur les enjeux d’avenir, sur les conséquences liées à l’intensité et à la durée de notre engagement, ainsi que sur l’impérieuse nécessité de « réparer le présent » ? À propos de l’aviation de chasse, à laquelle je consacre la partie thématique de mon avis, quelles sont, selon vous, les difficultés les plus criantes et les besoins les plus urgents ? En particulier, concernant le format de cette aviation de chasse, vous jugez nécessaire de stabiliser le format à 215 appareils pour l’armée de l’air. Cela suppose-t-il de commander de nouveaux Rafale pour remplacer les avions retirés du service ? Vous avez évoqué ensuite les besoins de renouvellement des équipements dits « missionnels », comme les pods (nacelles équipées de capteurs d’images), ainsi que les besoins de formation et d’entraînement des pilotes. Quel est le degré d’urgence de ces besoins ? Du fait de l’importante contribution de l’armée de l’air aux déflations d’effectifs, comment parvenez-vous à remplir vos missions avec un nombre de fusiliers-commandos – chargés d’assurer la sécurité des installations – et de mécaniciens réduit ? Enfin, pour conclure, puisqu’il m’a été accordé de me rendre sur plusieurs bases en métropole et à l’étranger, je m’associe pleinement aux propos que vous avez tenus à l’adresse de l’ensemble des aviateurs pour leur engagement et leur professionnalisme. Sans être moi-même militaire ou aviateur, j’ai été touché de ce que vous avez dit de l’ensemble des personnels et je voudrais vous interroger de manière très générale sur leur moral.
Mme Marianne Dubois. L’armée de l’air a été précurseure en accueillant dès 2013 des cadets de la défense sur la base aérienne 105 d’Évreux, dans le cadre du plan « Égalité des chances » qui associe le ministère des Armées et celui de l’Éducation nationale. En 2015, avec mon collègue Joaquim Pueyo, nous avons pu mesurer le succès de ce dispositif en allant à la rencontre de ces jeunes « cadets », ainsi que des cadres militaires et de l’éducation nationale. Il y avait déjà beaucoup plus de demandes que de places disponibles. Dans le contexte actuel de réflexion sur un service national universel, j’aurais aimé avoir votre avis sur ce dispositif. Peut-il être aisément élargi ? Peut-il trouver sa place dans un service national nouvelle version ?
M. Bastien Lachaud. La presse s’est fait l’écho d’une affaire relative à la sous-traitance de vols de transport stratégique cette semaine, mettant en évidence notre situation de dépendance, dépendance que vous avez d’ailleurs évoquée en parlant du programme A400M. Pouvez-vous nous apporter des éléments précis, d’autant plus nécessaires que ces vols sous-traités représentent près de 15 % du budget des opérations extérieures ? Le budget 2018 et la LPM nous permettront-ils de retrouver une autonomie en la matière ? Question subsidiaire : quel est l’impact de l’annulation de crédits à hauteur de 850 millions d’euros décidée en juillet sur l’armée de l’air et est-ce que le budget 2018 remédie aux éventuelles lacunes ?
M. Stéphane Demilly. Je prolonge la question posée par mon collègue Lachaud. En mars dernier, un rapport d’information de notre collègue François Cornut-Gentille a souligné la trop grande dépendance de l’armée française en matière de transport stratégique. Notre armée a en effet recours à la location de gros-porteurs – des Antonov 124 – sur le marché privé, trop souvent à un prix galopant : 67 000 euros l’heure de vol, ce qui a attiré l’attention du parquet financier. Il faut naturellement laisser la justice faire son travail mais je souhaite vous interroger sur la stratégie de la France pour réduire la dépendance de notre pays à l’égard d’entreprises étrangères comme ICS ou de certaines agences de l’OTAN. Quel est votre sentiment sur cette fragilité ? Quelles sont vos demandes pour, là encore, « réparer le présent » ?
Général André Lanata. Monsieur Ferrara, je vous remercie de l’attention que vous portez à l’aviation de chasse. Comme vous le savez nous continuons à en réduire le format actuellement en tentant de préserver les équilibres organiques essentiels entre les heures de vol consacrées aux missions opérationnelles qui nous sont demandées, à l’entraînement des équipages et au soutien à l’export. Je rappelle que les Mirage 2000N seront retirés du service l’an prochain, les Mirage 2000C en 2021, les Mirage 2000-5 en 2025 et les Mirage 2000D vers 2030.
Lorsque la pression opérationnelle dépasse les équilibres prévus dans la LPM et s’installe dans la durée, malgré les très nombreuses mesures prises en interne pour en atténuer les conséquences, l’entraînement et la formation se dégradent, ce qui finit par impacter nos capacités opérationnelles. Si l’entraînement est insuffisant, le nombre d’équipages formés, capables de conduire les missions opérationnelles, diminue progressivement. J’estime en perdre environ quatre à cinq chaque année actuellement, l’équivalent d’un escadron de chasse en quatre à cinq ans. Il en résulte que les déséquilibres s’aggravent. Nous sommes ainsi entrés dans un cercle vicieux dont il ne sera possible de sortir qu’en produisant un volume d’heures de vol suffisant pour réaliser à la fois les missions opérationnelles, le soutien à l’export et garantir le niveau d’entraînement. Voilà pourquoi je pense qu’il ne faut pas réduire davantage le format dont nous disposons aujourd’hui. Dans le précédent Livre blanc le format de l’aviation de chasse avait été arrêté à 225 avions de chasse, dont une quarantaine réservée à la marine et 185 pour l’armée de l’air. Cet objectif devait être atteint après le retrait de service des Mirage 2000N et des Mirage 2000C donc à l’horizon 2021. Je demande de porter ce format de 185 appareils réservés à l’armée de l’air à 215 avions de chasse.
Pour atteindre cet objectif et préserver ces équilibres organiques cruciaux, nous devons travailler sur plusieurs axes. J’en propose deux. En premier lieu, pour atténuer l’impact budgétaire tout en stabilisant le format, il est sans doute possible, dans l’immédiat, de prolonger un peu plus les flottes les plus anciennes tout en modernisant quelques Mirage 2000D en complément des 55 déjà prévus. L’autre levier sur lequel je souhaite m’appuyer, repose sur le principe de « réparation du présent » que j’évoquais plus tôt. En raison des multiples économies réalisées sur l’entretien du matériel, sur les équipements de mission des appareils, sur le nombre de mécaniciens, sur les pièces de rechange, j’estime que nous n’exploitons pas les possibilités de notre flotte à 100 %. Par exemple lorsque certains équipements de mission manquent comme les nacelles de désignation laser, les antennes radar des Rafale, les systèmes optroniques, il n’est pas possible d’entraîner les équipages dans tout le spectre des missions.
Je rappelle également que la réduction du format à 185 appareils, rendue possible par une large mutualisation des contrats opérationnels, devait s’accompagner du passage à une flotte polyvalente où chaque avion était capable de réaliser toutes les missions indifféremment. Pas de mutualisation des contrats sans polyvalence ! Le passage progressif au Rafale qui est un avion totalement polyvalent et une modernisation ambitieuse du Mirage 2000D, devaient nous permettre d’y parvenir. Nous n’en sommes malheureusement pas là aujourd’hui et pour de nombreuses années. La flotte de chasse de l’armée de l’air est composée pour plus de la moitié de Mirage 2000 dans différentes versions. La modernisation du Mirage 2000D a été réalisée a minima ce que je regrette. De fait nous ne disposerons pas de capacité air-air sur cet avion par exemple. Les autres Mirage 2000 ont des capacités air-sol très limitées. Donc avant d’atteindre le format polyvalent « type Rafale » qu’imposent la contraction des formats et la mutualisation des contrats opérationnels, commençons par exploiter au mieux les potentialités de la flotte actuelle !
Je serai très attentif à ce que le phénomène de retard de formation que nous connaissons actuellement ne nous fasse pas perdre de savoir-faire. Ce serait inacceptable car ce sont ces savoir-faire qui font la différence sur les théâtres d’opérations ou pour exporter le Rafale. Le volet « ressources humaines » est à cet égard, très important. Du fait de la tension sur les effectifs de mécaniciens, un certain nombre d’avions est immobilisé en attente de réparation. Lorsque nous avions élaboré nos plans de déflation, nous avions fait des hypothèses sur le nombre de mécaniciens nécessaires à la maintenance de nos aéronefs. Ces hypothèses se sont révélées trop ambitieuses, par exemple pour le C135 ou l’A400M. Pour le Rafale, nous avions prévu sept mécaniciens par avion alors qu’en réalité, il en faut 12. Face à l’ensemble de ces tensions, je rencontre des difficultés de fidélisation du personnel. Ce phénomène est aussi lié aux forts besoins de recrutement de l’industrie aéronautique, qui est en mesure de proposer des conditions de rémunération bien supérieures. Voilà pourquoi ma priorité, consiste d’abord à « réparer le présent » : il faut retrouver de la cohérence opérationnelle, limiter les déséquilibres organiques dont je parle. Ces dispositions et en particulier le rétablissement de la cohérence auront en outre un impact extrêmement favorable sur le moral du personnel.
Le moral des aviateurs est toujours tiré par nos opérations, qui donnent du sens à notre action. Il s’agit là d’un facteur très important pour la motivation du personnel. En opération nos hommes et nos femmes disposent en outre des ressources nécessaires pour conduire leur mission sans les soucis des « bases à l’arrière ». En revanche, sur nos bases en métropole, les difficultés sont davantage présentes, en lien avec la situation que je viens d’évoquer auxquelles s’ajoutent les difficultés rencontrées par les soutiens ou l’état de nos infrastructures. Le moral est donc beaucoup plus mitigé en métropole, nos problèmes de fidélisation sont révélateurs à cet égard. Il y a une vraie dualité aujourd’hui entre la situation en opération et la situation sur nos bases métropoles.
Madame Dubois, s’agissant des cadets de la défense sur la base aérienne d’Évreux, je voudrais vous dire toute l’importance que j’attache aux actions conduites en faveur de la jeunesse. Les armées transmettent ce qu’elles estiment être une richesse, alors que le besoin s’en fait sentir dans la Nation. Ce sont les mêmes valeurs que nous transmettons en interne aux jeunes en formation qui nous ont rejoints. Mais j’ai aussi demandé à mes bases aériennes de trouver les moyens de rayonner dans leur environnement parce que je perçois cette attente de la part de la jeunesse. Nous avons ainsi pris plusieurs initiatives : le brevet d’initiation aéronautique, l’augmentation du nombre de classes à l’école de Saintes, la montée en puissance des jeunes dans la réserve, le tutorat mis en place à Salon-de-Provence où de jeunes officiers s’en vont donner des cours de soutien à des jeunes en difficulté. Cela se révèle profitable tant à ces élèves qu’à mes jeunes officiers qui vont ainsi se former à la transmission et à l’encadrement. J’ai également demandé à ce que l’on réfléchisse au développement de l’apprentissage dans nos ateliers de maintenance aéronautique grâce à des partenariats avec les collectivités territoriales, les acteurs économiques locaux, dans une logique de bassin d’emploi tournée vers le milieu aéronautique. Toutes ces initiatives sont pragmatiques, proches du terrain et me semblent devoir et pouvoir être multipliées. Cela procède me semble-t-il, de la même intention, du même objectif que celui poursuivi avec le service national universel (SNU).
Je note que le regard des jeunes change véritablement quand vous les considérez et que vous leur portez de l’attention. Il s’agit là d’une chose que nous savons bien faire dans les armées car notre efficacité repose sur la cohésion et sur la confiance réciproque entre le chef et ses subordonnés, des valeurs qui sont indispensables lorsqu’il faut aller au combat. Pour s’occuper des jeunes il faut aussi du personnel dévoué. Pour conduire les initiatives que je vous ai décrites des hommes et des femmes dans l’armée de l’air, en dehors de leurs heures de travail, passent leurs week-ends à s’occuper des jeunes. Évidemment il y a aussi des gens dévoués ailleurs que dans les armées pour assurer ce qui me semble être un devoir national, si nous nous accordons sur ce besoin de renforcer la cohésion nationale par des actions en faveur de la jeunesse. Au niveau de l’armée de l’air nous pourrions faire davantage, naturellement, mais il ne faut pas que cela affecte nos capacités opérationnelles. Telle doit être la limite à mon sens.
En matière de transport aérien, je distingue de façon schématique le transport stratégique qui est principalement logistique, du transport tactique. Le transport tactique, est celui qui permet de mener des opérations de guerre sur les théâtres d’opérations. Il nécessite des savoir-faire de haut-niveau : opération aéroportée, atterrissage sur terrain sommaire, pénétration à basse altitude, etc. À supposer que ce soit politiquement et éthiquement acceptable, il n’y a pas, dans ce domaine, d’offre du secteur privé. Des moyens militaires, les nôtres, ou éventuellement ceux de nos alliés, sont donc indispensables. Pour le transport stratégique/logistique, en revanche, il existe une offre privée et comme nos capacités sont insuffisantes, il est pertinent d’y avoir recours. Il faut alors trouver le bon modèle qui préserve un niveau d’autonomie suffisant. Nous avons besoin, par exemple, de cette autonomie lors du déclenchement d’une opération – rappelons que le marché ne répond pas forcément immédiatement à la demande parce que nous ne sommes pas les seuls, en général à chercher ce type de capacités lorsqu’un conflit se déclenche, les lacunes en matière de transport aérien étant assez largement répandues au niveau européen.
Aujourd’hui nous sommes objectivement dans une situation de dépendance et contraints d’avoir recours à ces moyens extérieurs. Cette situation est la conséquence de nos choix antérieurs. Je rappelle en outre que nous ne disposons pas aujourd’hui d’un appareil capable de transporter des équipements hors gabarits, ou plusieurs blindés ou hélicoptères simultanément par exemple, ce qui est indispensable lorsqu’une crise se déclenche. Nous renforçons toutefois actuellement nos capacités avec l’A400M. Malgré la faible disponibilité de cette flotte et l’insuffisance de ses capacités tactiques, autant de choses que je regrette, l’A400M démontre ses performances remarquables comme nous l’avons constaté lors de la crise Irma. L’arrivée prochaine des avions multi-rôle MRTT (ravitaillement et transport) y contribuera également. Pour résumer, il faudra donc trouver dans la LPM, les bons équilibres entre les capacités dont nous disposons en propre et les capacités que nous serons toutefois toujours contraints d’aller chercher dans le secteur privé. Il me semble qu’il serait, en effet, déraisonnable sur le plan économique de vouloir couvrir tous les scénarios de déclenchement des crises avec nos propres moyens, sauf à se doter d’une flotte pléthorique qui ne serait employée qu’une part très limitée du temps. Ceci étant précisé, nous sommes certainement allés trop loin en retardant à l’excès le renouvellement de nos flottes. Nous avons une fragilité historique à combler. C’est en cours avec les programmes A400M et MRTT.
Le recours au marché civil a évidemment un coût, mais c’est aussi celui des investissements que nous avons choisi de ne pas faire. Je ne m’exprimerai pas sur l’enquête en cours relative aux éventuelles irrégularités dans la passation de ces marchés, l’organisme en charge de ces sujets n’étant pas sous ma responsabilité.
Aussi, je recommande de réaliser une étude économique pour répondre à deux questions. D’abord, quel niveau d’autonomie souhaitons-nous pour la France dans ce domaine ? Ensuite, quel est l’état du marché civil : l’offre est-elle pérenne et nous garantit-elle, en toutes circonstances, l’accès à des capacités de transport stratégique à un coût satisfaisant ?
Monsieur Lachaud m’a interrogé sur les annulations de crédits à hauteur de 850 millions d’euros. Je vous ai déjà dit que j’estimais les conséquences modérées à court terme. Il faudra, le moment venu, reconstituer la trésorerie prélevée ici ou là. Ce travail est en cours dans le cadre des travaux de la LPM. Sur les mesures physiques qui concernent directement l’armée de l’air, j’ai parlé du décalage de la commande d’équipements de rénovation du Mirage 2000D, d’un complément de capacité sur l’avion léger de surveillance et de reconnaissance, de la charge utile renseignement d’origine électromagnétique et de la commande d’un hélicoptère Caracal. Objectivement, tout cela est gérable. Il y aura de légers décalages pour les premières livraisons des Mirage 2000D rénovés sans conséquence sur les livraisons finales. Nous sommes en cours de négociation avec l’industriel. Sur le programme d’avion de surveillance léger de reconnaissance, c’est un capteur qui arrivera plus tard. Cette mesure ne nous empêchera pas de commencer à exploiter nos ALSR. Sur la charge utile ROEM, le retard pris côté américain ne nous aurait pas permis de conclure en 2018. En revanche, un décalage de six mois est acceptable sur l’hélicoptère Caracal, mais pas au-delà. Il faut absolument le commander en 2018, car cette flotte est indispensable pour nos opérations spéciales et sa situation est préoccupante compte tenu de l’attrition dont elle a été l’objet au combat. Il me paraît indispensable, a minima, de remplacer les machines détruites en opération.
M. Laurent Furst. Je souhaitais compléter la question sur les très gros porteurs en posant une question de profane : est-ce que les Beluga d’Airbus pourraient être utilisés par l’armée de l’air sachant qu’il y aura sans doute encore beaucoup d’OPEX à l’avenir, ce qui suppose une armée de projection. Par ailleurs, je voudrais évoquer l’autonomie technologique de l’armée de l’air. Un certain nombre de pays achètent des avions et des systèmes d’armes auprès des États-Unis et qui sont certainement « bridés » pour un certain nombre de territoires. L’armée française va devoir réfléchir quant au renouvellement de ses équipements. Cette question de l’autonomie technologique est-elle une préoccupation que vous prenez en compte ?
M. Christophe Lejeune. Mon général, vous avez évoqué les ressources humaines. Le 11 septembre 1917, il y a plus d’un siècle, disparaissait notre héros national Georges Guynemer, « as » de l’aviation, lors d’un combat aérien. Celui-ci disait que « lorsqu’on n’a pas tout donné, on n’a rien donné ». Il y a quelques jours, le major général de l’armée de l’air, le général Olivier Taprest, s’est rendu sur la base de Luxeuil-les-Bains pour lui rendre hommage, ainsi qu’aux deux autres héros qui partagent sa stèle : René Fonck et Roland Garros. La patrouille de France était présente avec son magnifique show aérien. J’évoque ces deux exemples car je pense qu’ils reflètent parfaitement vos missions : la guerre quand il faut la faire, et le rêve que vous pouvez apporter. Ma question est la suivante : alors que l’armée de l’air doit recruter, pensez-vous que ces deux axes, le prix du sang versé et le rêve, sont encore porteurs en 2017, et faire ainsi que la devise que vous a laissée Georges Guynemer, « faire face », vous permettent de fidéliser vos personnels en donnant du sens à leur travail ?
M. André Chassaigne. Je souhaite revenir sur certains éléments de vos réponses Mon général. Vous avez évoqué de façon assez approfondie la tension sur les ressources humaines. Ce problème vous amène-t-il à augmenter le poids du privé dans la maintenance des aéronefs ? Spécifiquement, est-ce que les ateliers industriels de l’aéronautique (AIA) suffisent pour assurer l’entretien ? Vous avez également utilisé à plusieurs reprises la notion de « modèle économique » en ce qui concerne la location du matériel. Dans votre esprit, cela signifie-t-il qu’il faudrait développer les sociétés de projet, avec des sociétés privées qui seraient propriétaires de matériels qu’elles loueraient ensuite aux armées, ce qui poserait à mon sens un problème grave d’indépendance de celles-ci ? Je terminerai avec une demande de renseignement. Pouvez-vous nous donner davantage de précisions sur le « chemin de croix » de l’A400M avant l’arrivée du « Messie » MRTT ? Pouvez-vous confirmer que l’appareil ne serait utilisable qu’à hauteur de 30 % des prescriptions du cahier des charges, qu’il s’agit d’un bel outil logistique volant à Mach 0,9, mais qu’il y aurait, par exemple, des problèmes de largage d’unités complètes de parachutistes par les portes latérales à cause des hélices et des flux d’air ? Est-il vrai que le vol qui était prévu à 50 mètres du sol pour échapper à la surveillance radar ne pourrait s’effectuer qu’à 150 mètres en réalité ?
M. le président. Cette intervention fait plus d’une minute mon cher collègue…
M. André Chassaigne. La durée est proportionnelle à ma personne physique… (Sourires)
M. Joaquim Pueyo. Mon général, j’ai bien entendu votre message concernant les ressources humaines. Vous avez rappelé que l’attractivité et la fidélisation constituaient un enjeu considérable pour nos armées. On pourrait y ajouter la formation, qui doit être très pointue dans vos métiers. Je souhaiterais savoir si vos postes budgétaires sont tous pourvus. Par ailleurs, au-delà des pilotes auxquels on pense spontanément, l’armée de l’air compte plusieurs métiers : mécaniciens, maîtres-chiens, informaticiens, contrôleurs… Certains métiers sont-ils plus attractifs que d’autres et quelles sont vos propositions pour l’avenir pour maintenir voire augmenter les effectifs, les fidéliser, et faire que l’armée de l’air soit attractive ? On rencontre souvent, dans les forums, des personnels de l’armée de l’air qui s’adressent aux jeunes. Est-ce suffisant ou faut-il renforcer cette action ?
Général André Lanata. Sur la question relative aux gros porteurs Beluga, il en existe cinq actuellement. Ils sont tous utilisés par Airbus Transport International pour un usage très spécifique : le transport de sections d’appareils d’Airbus pour leur assemblage final à Toulouse et Hambourg, voire des satellites ou des éléments de fusée. La charge offerte d’un tel appareil est d’environ 50 tonnes, ce qui n’a rien d’exceptionnel par rapport à d’autres gros porteurs de type An 124 ou An 225 par exemple. Je ne peux pas vous répondre plus précisément à ce stade, mais nous vous apporterons des éléments complémentaires si vous le souhaitez.
S’agissant de l’autonomie technologique de la France, je comprends que la question en filigrane est celle des conséquences opérationnelles qui en découlent. Il s’agit d’un choix compliqué dont nous avons débattu dans le cadre de la revue stratégique qui consacre tout un développement à la question de notre autonomie technologique, alors que nous voyons bien les difficultés que nous avons à entretenir l’ensemble de notre base industrielle et technologique de défense (BITD), ce qui nous amène à devoir accepter des compromis entre nos capacités opérationnelles et les choix d’investissement que nous faisons. Nous avons tous en tête des exemples concrets qui illustrent les conséquences de ces choix : objectivement j’estime qu’ils pèsent aujourd’hui de façon excessive sur nos capacités opérationnelles. Il revient par ailleurs à la DGA de répondre aux questions ayant trait à la situation de notre BITD.
Je me limiterai, pour ma part, à parler des conséquences opérationnelles d’une dépendance technologique. Je pense qu’il existe des secteurs dans lesquels nous pouvons nous permettre un certain niveau de dépendance mais que, pour d’autres, cela n’est pas possible. Il faut donc faire ce travail fin, consistant à bien cibler les secteurs où nous devons allouer nos ressources budgétaires. Or, parfois, la ligne de partage des eaux ne se situe pas sur un équipement complet. Il peut s’agir d’une partie spécifique plus sensible d’un élément de système d’arme, sur lequel il n’est pas question d’accepter de dépendre de façon excessive d’un partenaire étranger. Comme vous le savez nous avons fait le choix, dans l’urgence, d’acquérir un certain nombre d’équipements militaires à l’étranger. Je pense notamment aux drones Reaper que nous avons achetés aux États-Unis. Naturellement, cela a des conséquences opérationnelles : nous ne pouvons pas exploiter de façon totalement libre cette flotte. C’est aussi la raison pour laquelle nous avons lancé un programme de drone européen pour rétablir notre autonomie dans ce domaine. Pour résumer : oui, l’autonomie technologique est un sujet, qui est abordé dans la revue stratégique. Il faudra pour chaque technologie, presque ligne à ligne, définir celles que nous voulons absolument conserver en propre – je pense notamment aux technologies liées à la dissuasion qui, dans le domaine aéronautique, structurent la quasi-totalité des domaines technologiques clés dont nous avons besoin –, et celles pour lesquelles nous acceptons de dépendre de certains partenaires.
Sur le sujet de la fidélisation de nos aviateurs et de l’attractivité de l’armée de l’air, les deux questions me paraissant liées. Vous évoquez un sujet de préoccupation centrale, quasiment existentielle même, tant la préservation de notre qualité humaine constitue selon moi la clef de nos capacités au combat et du maintien des savoir-faire inestimables détenus par l’armée de l’air. Aujourd’hui, le contexte sécuritaire mais aussi les valeurs portées par notre institution créent une dynamique favorable aux armées. En théorie nous ne devrions donc pas rencontrer de problèmes d’attractivité. Pourtant il en existe. Cela est dû, selon moi, d’une part, à la concurrence du secteur privé qui, dans le domaine de l’aéronautique et des technologies que nous mettons en œuvre, est assez dynamique et manque de personnel qualifié. Je ne peux pas lutter en matière de rémunérations et cela vaut autant pour recruter que pour conserver un personnel hautement qualifié.
Cela est dû, d’autre part et surtout, aux tensions internes à notre dispositif. Sur ces deux axes vous voyez que les sujets attractivité et fidélisation se rejoignent.
Il me semble que les difficultés que nous rencontrons en interne sont liées à deux facteurs : l’insuffisance de nos effectifs et les problèmes de condition du personnel. J’ai parlé dans mon intervention de l’insuffisance des effectifs de l’armée de l’air. Je ne reviens pas en détail sur cette question. Il s’agit d’un point central pour moi. Il est évident que ces lacunes génèrent des tensions internes aggravées par l’absentéisme lié aux opérations. Lorsque vous devez armer en permanence quatre bases aériennes projetées au lieu d’une prévue, on comprend aisément que cela a un impact sur les rythmes de travail du personnel resté en métropole, puisque nous ne pouvons pas arrêter l’activité de nos bases métropolitaines qui continuent à assurer les missions de protection ou de dissuasion par exemple. De même que lorsque l’on fait le choix de supprimer 30 % des effectifs de fusiliers commandos qui assurent la protection de nos bases et que le contexte sécuritaire change brutalement sur le territoire national, cela a des conséquences sur les rythmes de travail du personnel… puis sur la fidélisation : comme je l’ai dit 70 % des militaires du rang fusiliers commandos ne dépassent pas le terme de leur premier contrat.
S’agissant de la condition du personnel, je me félicite de la prise de conscience au sein du ministère et des travaux lancés pour traiter ce sujet en particulier à travers le plan famille décidé par notre ministre. Il s’agit bien sûr de questions de rémunération. Le dernier rapport du HCECM le souligne : les militaires décrochent. Il faut aussi au minimum une équité de traitement avec le reste de la fonction publique et une juste compensation des sujétions attachées au statut militaire. Je trouve incompréhensible et même, pour tout vous dire, inadmissible que les mesures prises en faveur de la fonction publique ne soient pas transposées immédiatement aux militaires. Il faut parfois plusieurs années pour y parvenir. Franchement, nos soldats ne comprennent pas un tel traitement.
La perception du moral et les difficultés de fidélisation qui en résultent, relèvent en réalité d’un ensemble de facteurs : la rémunération dont j’ai parlé mais aussi les conditions de vie et de travail sur les bases aériennes, l’organisation et la qualité des soutiens, la qualité des infrastructures, la disponibilité des équipements de mission ou des pièces de rechanges, qui conduisent parfois nos mécaniciens à devoir « cannibaliser » certains appareils pour en faire fonctionner d’autres, augmentant ainsi d’autant la charge de travail, etc. Vous savez ce qui compte pour un militaire est avant tout la cohérence d’ensemble de son outil de combat. C’est pour cela que l’axe « réparer le présent » est très important à mon sens. Bien sûr, le rêve est toujours présent et les métiers aéronautiques restent attractifs. Le problème est qu’une fois entré dans l’institution, la réalité est parfois en décalage avec le rêve…
M. le président. Pas que dans l’armée de l’air ! (Sourires)
Général André Lanata. Nos opérations tirent le personnel par le haut et constituent un facteur extrêmement positif dans tous ces équilibres. Les opérations donnent un sens à l’engagement de nos soldats.
M. Chassaigne, sur la question du privé, je rappellerai que nous y avons déjà recours pour un certain nombre de contrats. Je partage votre point de vue lorsque vous affirmez qu’on ne peut pas tout externaliser : le domaine de l’action armée est un domaine régalien par essence. Pour autant, objectivement, il existe des activités que nous pouvons confier au privé si nous estimons – et c’est essentiel – qu’elles n’affectent pas l’engagement de la force armée. C’est le cas des capacités d’entraînement. C’est ce que nous faisons avec la modernisation de la formation des pilotes de chasse dans le cadre du programme FOMEDEC. Il n’y a pas là un enjeu opérationnel direct. Le seul enjeu est celui de la qualité des personnels qui vont sortir de ce nouveau mode de formation, et c’est la raison pour laquelle nous avons exigé que la formation des jeunes pilotes reste assurée par des instructeurs militaires. Au-delà de cette question de l’engagement de la force armée, le second critère est le suivant : est-ce que le secteur civil est plus performant car adossé à un tissu économique qui le permet ? Il faut alors regarder au cas par cas et faire une analyse économique très précise avant d’opérer un choix qui est généralement irréversible. Nous prenons en effet le risque de nous retrouver face à un acteur privé moins performant et en situation de monopole, qui pourrait faire une offre très séduisante dans un premier temps, mais beaucoup moins intéressante par la suite, sans possibilité de retour en arrière car nous aurions perdu les compétences entre temps.
Concernant l’A400M, il y a deux sujets. Celui des fonctionnalités tactiques, que vous avez évoqué – le largage des parachutistes ou de charges, l’autoprotection –, sujets déjà anciens sur lesquels l’industriel est en retard. Nous le savons et nous avons bâti une feuille de route avec lui. Ce processus a donné lieu aux livraisons du batch Hexagone fin 2016, dans le cadre duquel l’A400M a bénéficié d’améliorations de ses fonctions tactiques, afin de disposer d’un premier standard opérationnel qui permet de l’utiliser en Afrique – l’avion s’est récemment posé à Madama pour livrer un hélicoptère. Six avions disposent de ces capacités. Nous progressons, mais il y a encore du travail et c’est un point d’attention en discussion entre l’armée de l’air, la DGA, l’industriel et même les pays clients de l’400M. Car je rappelle qu’il s’agit d’un programme international, ce qui suppose de se mettre d’accord ensemble sur la hiérarchisation des améliorations opérationnelles attendues.
Le deuxième sujet, plus critique en ce moment à mon sens, est celui de la disponibilité, affectée, d’une part, par les nombreux faits techniques que nous rencontrons, les « défauts de jeunesse » de l’avion, sachant que l’armée de l’air française a réceptionné les premières unités. Et d’autre part, les immobilisations d’avions en chantier de retrofit sur les chaînes de l’industriel, nécessaires au rattrapage des fonctionnalités opérationnelles dont j’ai parlées. J’ai demandé à l’industriel de mettre en place un plan d’action pour rétablir d’urgence une disponibilité acceptable de cette flotte. Ceci étant précisé, je reste convaincu qu’une fois ces difficultés résolues, l’A400M sera un excellent appareil.
Je termine sur les ressources humaines. Dans toutes les armées il existe des postes budgétaires qui ne sont pas pourvus car, même si nous disposions d’une ressource suffisante, la bijection parfaite entre les postes à pourvoir et la ressource humaine disponible n’est pas possible : il y a toujours des personnels malades, des problèmes d’adéquation de compétence ou de mobilité. Ces réglages demeureront. Ils relèvent du travail classique de gestion du personnel confié à la direction des ressources humaines de l’armée de l’air qui s’emploie en permanence à minimiser le nombre de postes non pourvus pour ces raisons. Mon point d’attention porte surtout sur la description du volume d’effectifs global nécessaire pour honorer toutes nos missions, comme je viens de le dire, afin de pouvoir disposer des capacités opérationnelles requises. J’ajouterai que le modèle de l’armée de l’air est un peu spécifique. À la différence d’unités des autres armées, nos bases aériennes métropolitaines doivent continuer à fonctionner quand nous sommes déployés en opérations. Au risque de me répéter, nos quatre bases aériennes projetées sont armées par du personnel prélevé sur toutes les bases aériennes de métropole. De fait, la difficulté consiste à disposer d’un modèle suffisamment « épais » pour être capable d’armer « l’avant » sans créer des tensions insupportables à « l’arrière ». Aujourd’hui j’estime notre modèle d’effectifs inadapté.
M. Yannick Favennec Becot. Pour des raisons économiques et tactiques, les drones sont de plus en plus autonomes. Ces systèmes télé-opérés sont moins coûteux et impliquent moins de personnels. La France ayant décidé de s’engager vers l’armement de certains drones, se pose la question de l’autonomisation du tir offensif. Pouvez-vous nous indiquer si notre pays envisage de s’équiper en drones capables de tirer sans intervention humaine ? De manière plus générale concernant les drones armés, quels garde-fous prévoyez-vous face, notamment, à des défaillances techniques ou des risques de détournement par des pirates ? Enfin, en septembre, après le passage de l’ouragan Irma aux Antilles, nous avons dû faire appel au privé et à nos alliés pour la mise en place d’un pont aérien. Pourtant, la situation aux Antilles n’est pas exceptionnelle en termes de volumes de population concernée. Par ailleurs, le risque cyclonique risque de s’accroître dans les années à venir. Pensez-vous avoir les moyens, dans le cadre du projet de budget 2018, pour mener à bien ce type de missions si, malheureusement, une telle crise devait se reproduire ?
M. Louis Aliot. Une question sur la sécurité des bases aériennes. Quelle est la part qui revient à la sécurité privée et celle qui revient à la sécurité militaire, alors qu’un certain nombre d’incidents se sont produits, sur lesquels je ne reviens pas. Sur les bases stratégiques, qui assure la sécurité et disposez-vous d’un droit de regard sur le recrutement des sociétés de sécurité privée prestataires de services ?
M. Jean-Pierre Cubertafon. En me référant à votre dernière intervention devant notre commission, estimez-vous aujourd’hui qu’en matière budgétaire le principal effort à conduire est vers le comblement des effectifs, notamment dans des spécialités rares après les saignées imposées par la RGPP ? Par ailleurs, pensez-vous que la France doive envisager d’acquérir pour son armée de l’air des avions américains F-35 afin qu’elle soit plus intéropérable dans des opérations multinationales en attendant le successeur du Rafale ?
M. le président. Nous n’attendons pas de réponse à cette dernière question ! (Sourires)
M. Charles de la Verpillière. En complément de la question posée par M. Yannick Favennec Becot, je voudrais revenir sur l’armement des drones. Je crois que vous n’avez évoqué cette affaire qu’à propos de l’annulation de crédits de la loi de finances 2017. Y a-t-il, dans le projet de loi finances pour 2018, des crédits alloués à l’armement des drones ?
M. Jean-Michel Jacques. Mon général, concernant nos moyens de surveillance, vous avez souligné que nous devons avoir recours à nos alliés sur certains théâtres d’opération. Parmi les nouvelles menaces, nous savons que des incursions indésirables peuvent avoir lieu le long de nos côtes méditerranéennes par voie aérienne à basse altitude – je pense plus particulièrement aux incursions de groupes terroristes ou de narcotrafiquants qui sont parfois toutes deux liées. Notre dispositif de surveillance aérienne est-il suffisant ou doit-il faire l’objet de mesures de modernisation ?
Général André Lanata. Je comprends que l’armement des drones fasse l’objet de plusieurs questions : je vais tenter de regrouper les réponses. En premier lieu, il s’agit de tirer profit de la permanence des drones de surveillance de très longue endurance, les seuls dont nous soyons équipés. Cette permanence permet de saisir des fenêtres d’opportunité dans certaines circonstances, face à un ennemi fugace qui se retranche dans des espaces extrêmement vastes, comme le désert sahélien. Je précise au passage que c’est bien la permanence de la surveillance qui apporte la véritable plus-value. Je vous renvoie à ce que j’ai dit dans mon intervention liminaire s’agissant de cette aptitude centrale pour le développement des actions aériennes : leur persistance. Raison pour laquelle d’ailleurs il n’y a personne à bord car les vols sont très longs. Il nous est donc apparu nécessaire, lors de la détection d’un ennemi, d’être en mesure de saisir ces fenêtres d’opportunité afin de pouvoir appliquer les effets militaires requis au moment voulu. D’où la décision de notre ministre d’armer ces drones, ce dont je me félicite. L’armée de l’air était en effet, favorable à l’armement des drones de surveillance depuis de nombreuses années. Ce choix soulève deux questions : celle des solutions techniques et celle des garde-fous éthiques et politiques.
Les solutions techniques tout d’abord. Je pense que, dans la mesure où nous tirons parti de la permanence des drones, il ne faut pas affecter de façon excessive leur autonomie en les armant, ce qui se produira mécaniquement car les appareils seront plus chargés. Plus les armements seront lourds, plus nous réduirons l’autonomie, plus nous fermerons les fenêtres d’opportunité que nous cherchons à ouvrir. Il faut donc trouver des munitions légères, ce qui répond par ailleurs aux types de cibles que nous cherchons à traiter, en général des objectifs faiblement durcis pour viser des groupes de terroristes très mobiles dans le désert par exemple. Évidemment, nous devons demander l’autorisation aux autorités américaines d’armer ces machines puisque nous les avons commandées aux États-Unis. Quant aux garde-fous politiques, je suis contre l’autonomisation de l’ouverture du feu, quand bien même cela deviendrait possible à l’avenir. Aujourd’hui, nous prenons de nombreuses dispositions pour conserver l’intelligence et le choix de « l’homme dans la boucle », c’est-à-dire tout simplement le respect des choix d’engagement décidés par nos autorités politiques. Ce contrôle politique s’exerce dans nos opérations à travers des règles d’engagement qui sont définies et que nos combattants appliquent à la lettre, y compris les opérateurs de drones. S’il n’y a personne à bord d’un drone, il existe tout de même un équipage capable de décider. En outre, j’ai demandé que ces opérateurs soient situés sur le théâtre d’opération et non en métropole, car nous disposons déjà de la possibilité de conduire nos missions à distance du théâtre d’opérations. Je suis en effet opposé à l’idée d’un militaire qui ouvrirait le feu à 16 heures et qui à 18 h 30 ferait faire leurs devoirs à ses enfants. Cela soulève des questions éthiques et psychologiques pour nos combattants. Nous mettrons donc en place un cadre très précis à l’emploi des drones armés.
Je me permets d’apporter une précision au sujet des ressources humaines nécessaires à la mise en œuvre de nos drones. Il faut, en réalité, non pas moins, mais plus de personnel pour opérer les drones que les avions pilotés. Au sol, des équipages se relaient dans les cabines de contrôle pour garantir la permanence. Un équipage comprend quatre personnes : un pilote, un opérateur systèmes, un officier de renseignements et un interprétateur photos, qui sont en permanence devant les écrans. Pour garantir cette permanence il faut plusieurs équipages qui se relaient sans arrêt. Selon mon homologue de l’US Air Force qui a une longue expérience dans ce domaine, seize équipages sont nécessaires au final, pour maintenir en permanence une orbite de drone, compte tenu de la régénération opérationnelle et du besoin de suivi des missions. Il ne faut pas non plus oublier la maintenance que les mécaniciens doivent assurer et qui est équivalente à celle d’un avion classique.
Votre question sur la sécurité de nos bases aériennes porte sur deux points : les choix que nous avons faits face aux déflations d’effectifs et le recours aux sociétés de sécurité. Comme vous le savez, nous avons procédé à des déflations très importantes des fusiliers commandos dans le cadre de la RGPP et avons fait le choix avant 2015 de recourir à des sociétés de sécurité sur les sites les moins sensibles. Sur les bases à vocation nucléaire ou les bases disposant d’une plateforme aéronautique, nous avons conservé les fusiliers commandos qui constituent, avec la gendarmerie de l’air, l’échelon principal des forces de protection de l’armée de l’air. Depuis 2015 face à l’augmentation des menaces, nous avons renforcé les effectifs consacrés à la protection de ces bases et, en priorité, ceux des fusiliers commandos. Sur les autres sites, comme les écoles, les entrepôts, certaines bases radars, nous avons pris la décision d’armer une partie du personnel, tout en nous appuyant sur des renforts de la gendarmerie ou de la base aérienne la plus proche. Nous avons par ailleurs pris de très nombreuses autres dispositions, par exemple en durcissant nos infrastructures de protection ou en renforçant les moyens de surveillance, etc. Depuis 2015, nous avons donc considérablement renforcé notre dispositif de protection.
Concernant la fiabilité des personnels de ces sociétés, nous avons pris les mesures nécessaires, en étroite liaison avec la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD). Le renforcement de la sécurité de nos bases nous mobilise fortement en raison des tensions sur les ressources humaines que j’ai évoquées. À ce titre, les fusiliers commandos sont l’objet d’une grande attention de ma part. Devant l’insuffisance des effectifs et malgré toutes ces mesures, nous avons été contraints d’accroître le volume de personnel consacré à la protection en usant d’autres voies. Nous avons, d’une part, fait appel au personnel militaire non spécialiste de la protection que nous avons remis à niveau de ses fonctions de sécurité : des contrôleurs aériens, des mécaniciens avion, etc. Il est évident toutefois que ces prélèvements ont accru les tensions sur une ressource humaine qualifiée et rare qui lorsqu’elle est utilisée à des fins de protection fait défaut dans sa fonction d’origine. Nous avons enfin augmenté de 30 % les effectifs de la réserve opérationnelle en portant l’accent en priorité sur les jeunes et sur la fonction protection, comme l’illustre l’exemple de ce jeune réserviste de l’armée de l’air lors de l’attaque terroriste d’Orly.
J’en viens au futur de l’aviation de combat. Comme vous le savez, nous avons engagé une réflexion sur le système de combat aérien futur. Plutôt que de commencer par réfléchir en partant d’un avion, d’une plateforme, il me paraît nécessaire de réfléchir selon une logique de système. Nous vivons, en effet, dans un monde connecté et nous tirons notre efficacité de la massification des échanges d’informations et de la rapidité avec laquelle nous traitons les données : nous devons donc commencer par nous demander comment nous voulons voir fonctionner l’ensemble de ce réseau constitué par le système de combat aérien dans sa globalité : quelle est son architecture, comment sont optimisés les échanges entre les différents éléments du système de combat : les avions de chasse, de ravitaillement en vol ou de transport, les armements, les capteurs de toute sorte, les relais de communication : satellites, drones… ; où et comment améliorer la rapidité de traitement des données recueillies, comment mieux faire collaborer les différentes plateformes (au sens avion/drones/capteurs moyens des autres armées) entre eux, quels sont les protocoles d’échange, quelle est la résilience de ce réseau, etc. Bref je souhaiterais que nous pensions d’abord le système plutôt que les plateformes, pour les connecter ensuite entre elles. En effet, le défi que nous rencontrons à propos de la construction de nos futures plateformes aériennes est à la fois technologique et budgétaire. Je pense qu’organiser la connectivité d’ensemble du système a posteriori est plus coûteux. Par ailleurs nous voyons bien que nous nous heurtons à la complexité de l’intégration de fonctions de plus en plus nombreuses à bord de nos appareils, ce qui a également des conséquences budgétaires. Je ne dis pas que ce sera facile, mais je pense qu’il faudrait tenter de libérer la réflexion de ces contraintes d’intégration en pensant d’abord l’architecture globale du système en étant capable, le cas échéant, de réallouer les ressources fonctionnelles dans l’ensemble du système de combat. Il faut changer d’approche et commencer par réfléchir à la façon dont s’organise l’architecture du système voulu, ce qui permettra incidemment d’évaluer et de comparer les performances de plusieurs architectures système.
L’armement des drones n’est pas inclus à ce stade dans le PLF 2018, puisque la décision a été prise très récemment. Les deux prochains systèmes de drones MALE seront livrés en 2019. Nous espérons disposer d’une première capacité sur ces Reaper à cette échéance.
Nous avons recours à nos alliés pour la surveillance. Cela constitue une lacune capacitaire de longue date de nos armées. Je salue la décision du précédent ministre d’acheter sur étagère des systèmes américains qui font aujourd’hui la démonstration de leur efficacité au Sahel. Sur le théâtre du Levant, nous dépendons très largement des capacités de nos alliés dans le domaine de la surveillance. C’est pourquoi le choix a été fait de développer un programme de drones européens pour nous libérer de ces contraintes à moyen terme.
Notre dispositif de surveillance aérienne constitue également une préoccupation permanente. Le PLF 2018 contient ainsi des dispositions visant à renforcer nos capacités de détection radar, en particulier pour abaisser nos planchers de détection en basse altitude. Ce n’est pas le seul secteur sur lequel nous portons nos efforts ; une réflexion a été engagée sur les moyens permettant la détection des mini-drones ainsi que leur neutralisation. Les premiers systèmes sont opérationnels et ont été employés lors d’événements récents Je souligne enfin, au sujet de la détection à basse altitude, que nous disposons aussi des avions de détection et de contrôle aéroportés AWACS qui sont capables, avec un seul avion, d’avoir une détection parfaite vers le bas et une couverture de la totalité du sud de la France, puisque c’est l’exemple que vous avez choisi.
M. le président. Le temps va nous faire défaut. Aussi, je vous propose d’entendre les dernières questions, auxquelles vous répondrez par écrit.
Mme Anne-France Brunet. Vous avez abordé le sujet de notre ambition européenne. Je suis attentive à notre coopération avec l’Allemagne et j’ai noté une augmentation du budget 2017-2018 qui y est consacré. Pensez-vous que les différences culturelles en matière d’utilisation des crédits pourraient constituer un frein à une éventuelle mutualisation des forces à l’échelle européenne ? Vous nous avez indiqué que l’Allemagne pourrait être un partenaire toutefois sous réserve de parvenir à une architecture industrielle équilibrée permettant la mise en œuvre de coopérations. Quelles seraient vos préconisations en la matière, notamment quant aux écueils à éviter ?
M. Loïc Kervran. Je souhaite vous interroger sur un article du colonel Goya, qui vous est peut-être familier, dans lequel il procède à un comparatif de la productivité opérationnelle des forces françaises, russes et américaines au Levant au regard du nombre d’aéronefs, du personnel engagé, du coût journalier et du nombre de sorties. Il en ressort une productivité russe bien supérieure à celle des forces françaises ou américaines. J’aimerais savoir si vous estimez cette analyse pertinente et quelles sont les raisons principales de cette différence.
Général André Lanata. Vous me faites plaisir ! Je vais pouvoir répondre publiquement à un point que je conteste, et je souhaiterais d’ailleurs que les experts se bornent à parler de ce qu’ils connaissent.
M. Thibault Bazin. Les enjeux de ressources humaines ont souvent été évoqués en lien avec la remontée en puissance de nos armées. Je souhaite évoquer les bases aériennes qui ont connu une réduction drastique, ne serait-ce que dans mon département avec la fermeture de Toul-Rosières, Toul-Thouvenot et encore Nancy-Essey récemment. Il demeure Nancy-Ochey et ses escadrons de chasse. Les bases aériennes existantes seront-elles confortées, notamment cette dernière, ou une réflexion sur la réorganisation des bases est-elle toujours en cours ?
Mme Séverine Gipson. Plusieurs bases aériennes ont été réorganisées récemment suite à des fermetures d’escadrons. Pouvez-vous me préciser quels efforts sont faits pour les bâtiments et les infrastructures d’accueil de ces bases qui vont abriter de nouveaux personnels et de nouvelles technologies ?
Mme Natalia Pouzyreff. Je tiens tout d’abord à vous adresser un grand merci pour la visite organisée à Saint-Dizier, ce qui m’amène à vous poser une rafale de questions courtes et concrètes. Estimez-vous que les capacités de vision nocturne du Rafale doivent être améliorées à court ou moyen terme, notamment en ce qui concerne le capteur optronique secteur frontal (OSF) et la nacelle de désignation laser Damoclès ? L’augmentation du nombre de simulateurs permettrait-elle une meilleure articulation entraînement-opérations en palliant les nombreuses contraintes pesant actuellement sur l’entraînement ? Quelles sont vos recommandations quant à la reconstitution du stock de munitions dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018 et de la future loi de programmation militaire ? Vous nous avez indiqué que plusieurs équipes de quatre personnes sont nécessaires pour servir un drone dont de nouveaux exemplaires vont être acquis prochainement. Comment est définie la formation de ces équipes ? La formation d’un pilote de drone est-elle identique à celle d’un pilote d’aéronef ? Si c’est le cas, est-il possible d’envisager une formation alternative permettant de réduire les délais afin de disposer plus rapidement de personnels opérationnels ?
*
* *
La séance est levée à onze heures trente-cinq.
*
* *
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Damien Abad, M. Louis Aliot, M. François André, M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Jean-Philippe Ardouin, M. Florian Bachelier, M. Xavier Batut, M. Thibault Bazin, M. Olivier Becht, M. Christophe Blanchet, Mme Aude Bono-Vandorme, M. Ian Boucard, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Anne-France Brunet, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Luc Carvounas, M. Philippe Chalumeau, M. André Chassaigne, M. Alexis Corbière, M. Jean-Pierre Cubertafon, M. Stéphane Demilly, Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. Jean-François Eliaou, M. Yannick Favennec Becot, M. Richard Ferrand, M. Jean-Jacques Ferrara, M. Jean-Marie Fiévet, M. Philippe Folliot, M. Laurent Furst, M. Claude de Ganay, M. Thomas Gassilloud, Mme Séverine Gipson, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Fabien Gouttefarde, M. Jean-Michel Jacques, M. Loïc Kervran, M. Bastien Lachaud, M. Jean-Christophe Lagarde, Mme Frédérique Lardet, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Christophe Lejeune, M. Jacques Marilossian, Mme Sereine Mauborgne, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Patricia Mirallès, Mme Josy Poueyto, Mme Natalia Pouzyreff, M. Joaquim Pueyo, M. Gwendal Rouillard, Mme Sabine Thillaye, Mme Laurence Trastour-Isnart, Mme Nicole Trisse, M. Stéphane Trompille, Mme Alexandra Valetta Ardisson, M. Patrice Verchère, M. Charles de la Verpillière
Excusés. – M. Bruno Nestor Azerot, M. M’jid El Guerrab, M. Olivier Faure, M. Marc Fesneau, M. Christian Jacob, M. Fabien Lainé, M. Franck Marlin
ANNEXE
Réponses écrites complémentaires
Mme Anne-France Brunet. Vous avez abordé le sujet de notre ambition européenne. Je suis attentive à notre coopération avec l’Allemagne et j’ai noté une augmentation du budget 2017-2018 qui y est consacré. Pensez-vous que les différences culturelles en matière d’utilisation des crédits pourraient constituer un frein à une éventuelle mutualisation des forces à l’échelle européenne ? Vous nous avez indiqué que l’Allemagne pourrait être un partenaire toutefois sous réserve de parvenir à une architecture industrielle équilibrée permettant la mise en œuvre de coopérations. Quelles seraient vos préconisations en la matière, notamment quant aux écueils à éviter ?
Réponse. L’Allemagne, comme je l’ai souligné dans mon propos liminaire, est un partenaire majeur. Notre relation est structurée par de nombreuses coopérations et initiatives : équipements en commun (A400M), formation commune (équipages et mécaniciens A400), future unité de C130J à Evreux, projet de drone européen et d’avion de combat futur.
Sur le sujet spécifique des différences culturelles en matière d’utilisation des crédits, je vous encourage à poser cette question à la DGA, mieux placée que moi pour y répondre. Je ne pense pas qu’elles soient un frein à notre coopération, du moment qu’il existe une volonté politique commune et forte à coopérer davantage. L’enjeu, comme vous le soulignez dans votre question, est davantage lié selon moi à notre capacité à trouver les bons équilibres industriels pour nos projets futurs, plus qu’une question purement budgétaire. En la matière, l’expérience montre que la définition d’un besoin commun est un préalable essentiel dans un programme d’armement mené en coopération, avant de définir avec précision les responsabilités en termes de maîtrise d’ouvrage.
M. Loïc Kervran. Je souhaite vous interroger sur un article du colonel Goya, qui vous est peut-être familier, dans lequel il procède à un comparatif de la productivité opérationnelle des forces françaises, russes et américaines au Levant au regard du nombre d’aéronefs, du personnel engagé, du coût journalier et du nombre de sorties. Il en ressort une productivité russe bien supérieure à celle des forces françaises ou américaines. J’aimerais savoir si vous estimez cette analyse pertinente et quelles sont les raisons principales de cette différence.
Réponse. Je ne sais pas très bien ce que le terme de « productivité » signifie lorsque l’on parle de conflit armé provoquant de très nombreuses victimes sur le terrain.
J’estime par ailleurs qu’il faut être extrêmement prudent dans ce type de comparaison. Les Syriens et leurs alliés Russes poursuivent des objectifs politiques très différents des nôtres. Leur action se limite à la Syrie quand la coalition a dû reconquérir une partie importante de l’Irak. Par ailleurs, ils mettent en œuvre des modes d’action très différents. Je note par exemple que nous employons 100 % de munitions de précision ce qui n’est pas le cas des Russes et des Syriens. Et je m’en tiendrai là sur le jugement que je pourrais porter à l’égard de leurs actions et a fortiori du coût de leurs actions.
En ce qui concerne en revanche notre propre campagne, j’observe que la campagne aérienne menée par la coalition en Irak et en Syrie, en appui des forces locales au sol, porte ses fruits. Nous avons libéré Mossoul. Nous venons de reprendre Raqqa, dans un contexte somme toute très différent compte tenu de la multitude des protagonistes sur le terrain.
Aujourd’hui, Daech est sur le point de perdre définitivement le territoire qu’il s’était approprié…. et ceci en dépit des réserves émises par les mêmes experts au début des opérations, qui ne croyaient pas à la réussite de cette campagne aérienne sans l’implication de division terrestre occidentale.
M. Thibault Bazin. Les enjeux de ressources humaines ont souvent été évoqués en lien avec la remontée en puissance de nos armées. Je souhaite évoquer les bases aériennes qui ont connu une réduction drastique, ne serait-ce que dans mon département avec la fermeture de Toul-Rosières, Toul-Thouvenot et encore Nancy-Essey récemment. Il demeure Nancy-Ochey et ses escadrons de chasse. Les bases aériennes existantes seront-elles confortées, notamment cette dernière, ou une réflexion sur la réorganisation des bases est-elle toujours en cours ?
Réponse. Concernant la question relative aux implantations de l’armée de l’air, un plan de transformation ambitieux a permis de conduire la fermeture de 17 bases aériennes ces 10 dernières années, pour mettre en œuvre les décisions de deux LPM consécutives de fortes déflations. Cet ensemble de mesures s’achèvera avec la fermeture de la plateforme aéronautique de Tours en 2021.
Pour le reste, il est trop tôt pour se prononcer compte tenu de l’avancement des travaux de la LPM.
Je vous ai par ailleurs décrit l’insuffisance des ressources humaines dans laquelle se trouve l’armée de l’air. J’ai demandé à mon état-major de chercher des réponses à cette difficile question. Je vous l’ai dit, je n’exclus aucune piste : externalisation, recours à la sous-traitance, et en ultime recours, restructurations. Et seulement si j’y suis contraint, parce que j’en connais le coût, notamment humain, je pourrais être amené à en proposer.
Mme Séverine Gipson. Plusieurs bases aériennes ont été réorganisées récemment suite à des fermetures d’escadrons. Pouvez-vous me préciser quels efforts sont faits pour les bâtiments et les infrastructures d’accueil de ces bases qui vont abriter de nouveaux personnels et de nouvelles technologies ?
Réponse. J’en viens à la question sur les efforts d’infrastructure sur nos bases aériennes. C’est un vrai sujet, tant nous avons accumulé un retard d’investissement ces dernières années. Le PLF 2018 réalise un effort conséquent : augmentation +28 % (327 M€) pour les armées. Un effort indispensable et à poursuivre tout au long de la prochaine LPM.
Pour l’armée de l’air, l’enjeu est, d’une part, de permettre l’accueil et les mises en service des nouveaux systèmes d’armes que nous allons accueillir ou que nous avons commencé à accueillir : principalement liés aux programmes MRTT à Istres, A400M à Orléans, Rafale à Mont de Marsan, C130J et avions légers de surveillance à Évreux, Drones MALE et PC21 à Cognac pour ne citer que les principaux.
Mais c’est aussi d’accompagner les conséquences des restructurations et des fermetures de site. C’est par exemple l’accueil définitif de l’escadron d’entraînement 2/2 sur la BA120 de Cazaux, ou encore la réorganisation des CPA à Orléans.
Après des années de sous dotations budgétaires, qui ont conduit à privilégier les grands programmes, il faut le reconnaître, il s’agit enfin et aussi de faire effort sur les conditions de vie et de travail de notre personnel et en particulier sur le logement sur nos bases. J’estime en effet que ce domaine a pris du retard.
Mme Natalia Pouzyreff. Je tiens tout d’abord à vous adresser un grand merci pour la visite organisée à Saint-Dizier, ce qui m’amène à vous poser une rafale de questions courtes et concrètes. Estimez-vous que les capacités de vision nocturne du Rafale doivent être améliorées à court ou moyen terme, notamment en ce qui concerne le capteur optronique secteur frontal (OSF) et la nacelle de désignation laser Damoclès ? L’augmentation du nombre de simulateurs permettrait-elle une meilleure articulation entraînement-opérations en palliant les nombreuses contraintes pesant actuellement sur l’entraînement ? Quelles sont vos recommandations quant à la reconstitution du stock de munitions dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018 et de la future loi de programmation militaire ? Vous nous avez indiqué que plusieurs équipes de quatre personnes sont nécessaires pour servir un drone dont de nouveaux exemplaires vont être acquis prochainement. Comment est définie la formation de ces équipes ? La formation d’un pilote de drone est-elle identique à celle d’un pilote d’aéronef ? Si c’est le cas, est-il possible d’envisager une formation alternative permettant de réduire les délais afin de disposer plus rapidement de personnels opérationnels ?
Réponse. Mme la députée, vous m’avez posé la question des capacités de nuit du Rafale, du recours à la simulation dans l’armée de l’air, ainsi que de nos stocks de munitions et de la formation de nos équipages de drone.
Concernant les capacités à opérer de nuit du Rafale, votre interrogation porte davantage sur les équipements optroniques, si je comprends bien le sens de votre question. Essentiellement les pods de désignations laser et l’OSF (optronique secteur frontal). Tous deux sont des équipements de mission dont nous manquons cruellement. Ce sont des équipements de surveillance et de reconnaissance utilisés dans les missions de combats aériens, ou de bombardement et d’appui feu. Ils font partie du système d’armes du Rafale.
Compte tenu de notre niveau d’engagement, ces équipements de mission (qui ne se limitent pas aux deux exemples que vous avez mentionnés) sont principalement utilisés en OPEX. Le dimensionnement du parc et la disponibilité de ces équipements, soumis à rude épreuve, non seulement limitent nos capacités opérationnelles mais aussi ne permettent plus d’entraîner correctement nos équipages à leur utilisation. Il s’agit là d’un vrai problème de cohérence, comme je l’ai mentionné. Cela constitue un de mes objectifs sur la LPM à venir pour « réparer le présent ».
Au niveau qualitatif, nous attendons avec impatience la livraison des premiers pods de désignation laser l’année prochaine : je parle des pods Talios. Disposant de capteurs optiques en bande visible et infrarouge de dernière génération, ils permettront d’accroître significativement les capacités de détection, de reconnaissance et d’identification, de jour comme de nuit, de nos avions de combat.
Sur le sujet de la simulation, l’armée de l’air a opéré ce tournant depuis maintenant une quinzaine d’années. D’une part, les technologies du numérique ont permis d’augmenter la représentativité des simulateurs. D’autre part, nous avons fait le choix d’équipements haut du spectre, polyvalents.
Le système d’armes du Rafale par exemple, est plus complet que celui des appareils de la génération précédente. Il permet au cours du même vol de réaliser toutes les missions confiées à l’aviation de chasse : combat aérien, appui et bombardement, reconnaissance, dissuasion. Aussi, le recours à la simulation a permis de contenir l’augmentation des besoins d’entraînement. C’est pourquoi elle est indispensable, pour permettre aux équipages d’exploiter pleinement la polyvalence de leur appareil. C’est bien là tout l’enjeu de leur formation d’ailleurs. Car il ne sert à rien d’avoir des matériels polyvalents si nos équipages ne le sont pas.
D’une manière générale, tout ce qui nous semble pouvoir être réalisé au simulateur se fait au simulateur. L’activité réalisée en vol restant indispensable : rien ne peut en effet remplacer l’entraînement au combat aérien, particulièrement éprouvant pour les organismes, la mauvaise météo, le vol en montagne et dans le désert, la manipulation d’armement réel, la conduite de dispositifs complexes, le stress du vol et des missions de guerre auxquels il s’agit de préparer nos équipages, notamment les plus jeunes. En un mot : l’expérience aérienne acquise, est le gage de l’efficacité opérationnelle mais aussi de la sécurité des vols.
Il s’agit donc de trouver le bon équilibre, le bon ratio, entre l’activité réalisée en vol et l’activité réalisée au simulateur. Sur Rafale, par exemple, nous estimons ainsi nécessaire de faire réaliser à chaque pilote une activité sur simulateur correspondant à 33 % de l’activité réalisée en vol. Il s’agit de notre objectif.
Pour autant, nos capacités de formation et de simulation sont actuellement saturées avec : la poursuite de la montée en puissance des flottes récentes (Rafale, A400M, Reaper) y compris au profit de l’aéronavale, les retards de formation accumulés et la formation des équipages étrangers dans le cadre du soutien à l’export du Rafale. C’est pourquoi, dans l’attente des prochaines livraisons de simulateurs (simulateur Rafale à Mont de Marsan, 2e simulateur A400M à Orléans, simulateur Reaper à Cognac), je ne suis pas en mesure aujourd’hui d’augmenter l’activité réalisée au simulateur, pour satisfaire l’ensemble de mes besoins.
J’en viens au sujet des stocks de munitions. Comme je vous l’ai dit, j’estime que la situation est sous contrôle pour les bombes de 250 kg, fortement utilisées au Levant. La remontée vers des stocks rehaussés se poursuit, à l’horizon 2021-22, suite aux différentes décisions prises dans l’actualisation de la LPM, puis au cours du conseil de défense d’avril 2016. L’expérience et l’intensité de la campagne aérienne au Levant avait démontré la nécessité de relever le niveau de ces stocks afin d’éviter d’être confronté trop rapidement à des risques de rupture ou à l’incapacité de pouvoir conduire une opération supplémentaire.
Ainsi pour éviter tout risque de rupture, 1860 kits AASM, 1500 GBU49, et 4400 corps de bombes ont été commandés à ce jour.
Il reste en revanche à faire effort sur :
– l’acquisition de bombes de plus gros tonnage, tout temps, qui font actuellement défaut dans nos opérations ;
– le rehaussement des stocks de missile air-air, trop limités à mon sens ;
– poursuivre la réflexion menée sur l’armement des C130 pour les forces spéciales ;
– poursuivre les études d’intégration d’armement sur nos Reaper.
Ce qui me permet d’enchaîner sur le sujet de la formation de nos équipages de drone. Un équipage est aujourd’hui composé de quatre personnes : un pilote, un opérateur systèmes, un officier renseignement, et un interprétateur image.
La montée en puissance de l’escadron Reaper se poursuit à Cognac. Deux systèmes complets ont été livrés, les deux suivants sont attendus pour 2019. Un peu plus d’un système (cinq appareils sur six) est en permanence déployé à Niamey dans le cadre de l’opération Barkhane.
Quatre systèmes de drones, soit 12 Reaper, nous permettront d’armer un voire deux théâtres d’opérations extérieures, tout en étant capable d’opérer sur le territoire national, dans le cadre de dispositifs particuliers de protection mis en place pour renforcer notre sûreté aérienne ou au profit d’autres ministères, et en assurant également l’entraînement de nos équipages.
Contrairement aux idées reçues, cette capacité nécessite une ressource humaine importante. Actuellement, nos équipages sont engagés six mois par an en opérations extérieures. Mon homologue américain qui dispose dans ce domaine d’une expérience supérieure à la nôtre, estime que 16 équipages sont nécessaires pour tenir dans la durée (365 jours/an-H24) une « orbite permanente » en intégrant dans ce calcul les temps de repos et d’entraînement.
Cette question illustre les difficultés RH que nous rencontrons. Une manœuvre RH dimensionnante devra donc être conduite dans les trois années à venir. Le retrait de service du drone Harfang en janvier prochain y contribuera, avec la bascule du personnel sur Reaper.
L’objectif est de disposer de 36 équipages opérationnels à l’horizon 2021. Cet objectif est conditionné à l’acquisition d’un outil de formation autonome (je pense notamment aux simulateurs).
Concernant plus spécifiquement le recours à des pilotes d’avion pour la mise en œuvre des drones, plusieurs études sont en cours. Nous regardons parallèlement les choix effectués par nos alliés.
À ce stade de la réflexion, nous estimons nécessaire de conserver des pilotes brevetés pour opérer ces appareils. C’est en effet indispensable pour permettre à nos drones de s’insérer dans les mêmes espaces aériens que les avions habités. Drones et avions sont soumis aux mêmes réglementations, leurs équipages aussi.
Pour accélérer la montée en puissance de l’escadron de drone Reaper, tout en accumulant de l’expérience sur ce vecteur et en l’absence de capacités autonomes de formation, nous avons initialement eu recours à des pilotes qualifiés, provenant d’unités navigantes.
En complément d’un flux de pilotes confirmés, dont l’expérience sera particulièrement utile pour la mise en œuvre de drones armés, nous travaillons actuellement à la mise en place d’une filière dédiée avec des pilotes ab initio. La durée de leur formation en vol n’est pas encore arrêtée. La phase initiale de leur formation sera à mon sens commune à tous les pilotes militaires, avant une formation spécifique sur drone.