Communication & Influence n°100, Dix ans de réflexion sur l’influence

Société pionnière en matière de communication d’influence, Comes Communication fêtera bientôt ses 20 ans d’existence. Conjuguer réflexion et action… Réflexion en donnant la parole sans tabou à des experts, Action également, puisque Communication & Influence, en privilégiant le travail de la pensée, se trouve aussi immergée au quotidien dans la réalité du monde économique.

Communication & Influence n°100, Dix ans de réflexion sur l’influence

Lancée en juillet 2008 par Bruno Racouchot, la Lettre Communication & Influence fête aujourd’hui son 100ème numéro. Dès l’origine, elle a souhaité conjuguer réflexion et action. Réflexion en donnant la parole à des experts issus des mondes civil ou militaire, privé ou public, sans tabou, avec une large variété des champs d’observation. Action également, puisque Communication & Influence, en privilégiant le travail de la pensée, se trouve aussi immergée au quotidien dans la réalité du monde économique. Elle est en effet la vitrine de Comes Communication, société pionnière en France en matière de communication d’influence, qui fêtera en octobre prochain ses vingt ans d’existence. Fondateur en 1999, avec Sophie Vieillard, de Comes Communication, Bruno Racouchot fait ici le point sur Communication & Influence. DEA de Relations internationales et Défense de Paris Sorbonne, vivant essentiellement à l’international (Brésil), Bruno Racouchot a su tirer profit de sa courte expérience d’officier parachutiste (notamment à Beyrouth en 1983), pour engager une réflexion sur l’articulation entre hard et soft power, et mettre au point une méthode de communication d’influence qu’il déploie depuis vingt ans afin de relever les défis consubstantiels à la guerre économique.

Dix ans après, où en est-on du concept d’influence en France ?

Comme souvent en France, on est tombé sans mesure de Charybde en Scylla ! Hier, l’influence avait mauvaise presse, elle était assimilée aux techniques de désinformation et manipulation héritées de la Guerre froide. L’approche ango-saxonne, qui désigne sous le terme d’opérations d’influence les mesures incitant l’adversaire à prendre des décisions non-conformes à ses intérêts, conforte également cette approche négative.

Bruno Racouchot - Photo © Collection particulière. -
Bruno Racouchot

Or, on voit que paradoxalement, l’influence est devenue aujourd’hui la « tarte à la crème » des communicants de tout poil et autres opinion makers… On trouve tout et son contraire sous le vocable d’influence, le lobbying, l’événementiel, les relations presse et les affaires publiques… Nombre de groupes de communication ont récupéré sans vergogne le terme d’influence, sans bien savoir ce qu’il recouvrait, pour faire du business, ripoliner leur façade et vendre tout bêtement leur carnet d’adresses et leurs prestations de RP sous un nouveau vocable. Et ne parlons pas de la confusion majeure entre influence et technologies, qui est celle du fond et de la forme…

Aussi, si vous le voulez bien, remettons les pendules à l’heure ! Depuis plus de vingt ans, avec notre société Comes Communication, nous pratiquons sur le terrain la communication d’influence. Depuis dix ans, nous menons simultanément, grâce à cette plate-forme d’échanges discrète que constitue Communication & Influence, une réflexion pour mieux cerner ce concept et ses évolutions, les champs d’action où il se déploie, et les retours sur investissement qu’il génère.

Comes Communication : quand la réflexion accompagne l'action -
Comes Communication : quand la réflexion accompagne l’action

En 1999, lorsque nous avons fondé Comes Communication,[1peu de gens en France exploraient la sphère de l’influence. C’est l’ancien Haut responsable à l’Intelligence économique, Alain Juillet, qui le premier nous a encouragés à travailler sur cet axe. Pionniers, nous avons alors mis au point une méthode très précise – reposant sur la valorisation des identités, ce qui, là encore, pour l’époque, était fort innovant – visant à engager ces stratégies de communication d’influence, au profit d’entreprises, de collectivités territoriales, d’ONG, de grandes écoles, fédérations, fondations ou think tanks…

C’est d’ailleurs Alain Juillet qui en a donné dans les colonnes de Communication & Influence1 l’une des premières définitions, précise et opérationnelle : « L’influence, c’est un moyen d’amener celui auquel on s’adresse à envisager une autre vision des choses, à changer son paradigme de pensée, à modifier ses fondamentaux », ajoutant : « ce changement est produit par des éléments qu’on lui présente et qui l’invitent à réfléchir. En somme, d’une certaine manière, plus on est intelligent, plus on est influençable. Parce que l’influence fait appel à la capacité d’analyse de l’auditeur, qui doit faire le tri entre ce qu’il pense “habituellement” et les éléments nouveaux qui lui sont soumis, dont il lui appartient de mesurer la validité. Tout argument solide qui lui est proposé peut ainsi le conduire à revoir son jugement, donc son positionnement. C’est à partir de là que s’enclenche le processus de l’influence ». Avec bien d’autres amis qui ont participé à l’aventure de Communication & Influence, nous avons beaucoup œuvré tout au long de ces deux décennies pour redonner à l’influence ses lettres de noblesse [voir ci-après p.4 et 5]. Car l’influence peut s’exercer dans un sens positif, ouvrir de nouvelles perspectives et générer de solides retours sur investissement.

Concrètement, à quoi sert une communication d’influence ?

Une stratégie d’influence répond prioritairement à une volonté : conforter les observateurs que la stratégie suivie est pertinente, et éventuellement mener des actions de contre-influence face aux pressions et autres actions de désinformation venues de l’extérieur. Sa mise en œuvre suppose une réflexion très en amont pour acquérir une capacité d’anticipation et une vision objective de l’environnement, permettant d’optimiser l’utilisation des outils de l’intelligence économique et de certains vecteurs de communication. Comme l’a fort bien noté François Bernard Huyghe dans son très précurseur Maîtres du faire croire, de la propagande à l’influence (Vuibert, 2008), l’influence apparaît comme une « stratégie indirecte visant à obtenir d’autrui un assentiment ou un comportement, soit par le prestige de son image, soit par une forme quelconque de persuasion ou de “formatage” des critères de jugement, soit, enfin, par la médiation d’alliés ou de réseaux ».

L’influence est d’autant plus prédominante qu’elle se situe désormais au cœur des affrontements politiques et économiques internationaux. C’est d’ailleurs ce constat qui a amené Comes Communication à développer ses actions tant à Toronto, qu’au Brésil, pays que je fréquente depuis plus de 40 ans et où je vis la moitié de l’année.

Pour résumer, il ne s’agit plus en l’occurrence de s’adresser directement au marché pour le convaincre de l’excellence des produits proposés, mais d’attirer l’attention des relais d’opinion et des parties prenantes (stakeholders) qui « font » l’image de l’entreprise. Dans ce cadre spécifique de communications indirectes et transverses, on ne parle ouvertement ni du cœur de métier ni des produits ou services. L’entreprise se positionne au-delà de son savoir-faire, afin d’attirer l’attention de ceux qui « font l’opinion » (leaders d’opinion et parties prenantes). Comment ? Par des messages récurrents, établissant en permanence un lien entre son identité, les valeurs qu’elle affiche, et les questions d’actualité qui valident son positionnement. Elle développe ainsi un discours cohérent, porteur de sens. Apparaissant progressivement comme une structure proactive et responsable, elle devient de facto un interlocuteur privilégié pour ceux qui l’observent. Ainsi, elle s’impose peu à peu comme LA source de référence dans sa sphère d’activité et sur son marché. Grâce à sa forte identité, elle peut rayonner en douceur et favorablement en direction de ceux qui l’observent, la jaugent et souvent la jugent. Pragmatiques par nature, les Anglo-saxons assimilent d’ailleurs souvent l’influence à du high end branding, du branding haut de gamme, fondé sur l’adhésion à des valeurs.

En guise de conclusion…

Nous vivons en un temps où domine le capitalisme sans capital, pour reprendre le titre d’un récent ouvrage de Jonathan Haskel et Stian Westlake (PUF, 2019), où la dimension prise par le capital immatériel se révèle être un paramètre-clé du développement. C’est ici qu’il faut se souvenir que l’influence, au sens où nous l’entendons aujourd’hui, se révèle être semblable à un fluide qui se glisse à travers des canaux, quelle que puisse être la nature de ces derniers.

Le fétichisme technologique de notre époque ne doit pas nous faire oublier les racines néoplatoniciennes du mot influence… C’est avant tout un fluide, un rayonnement, donc un contenu plus qu’un contenant.[2]

Ce fétichisme technologique vise à faire croire que la machine peut tout, mais ne doit pas nous faire oublier les racines néoplatoniciennes du mot « influence », venu aux grands penseurs de la Renaissance italienne via le philosophe byzantin Georges Gémiste Pléthon… Gardons toujours à l’esprit que l’influence est avant tout un fluide, un rayonnement, un contenu plus qu’un contenant. Il est ainsi réconfortant de voir qu’il existe encore un travail de la pensée à conduire avec sérieux et constance, dans la meilleure tradition humaniste, y compris au cœur des plus violents affrontements géopolitiques et géoéconomiques.

Bruno Racouchot

[1] Pourquoi Comes ? En latin, Comes signifie compagnon de voyage, associé, pédagogue, personne de l’escorte. Société créée en 1999, installée à Paris, Toronto et São Paulo, Comes publie chaque mois Communication & Influence. Plate-forme de réflexion, ce vecteur électronique s’efforce d’ouvrir des perspectives innovantes, à la confluence des problématiques de communication classique et de la mise en œuvre des stratégies d’influence. Un tel outil s’adresse prioritairement aux managers en charge de la stratégie générale de l’entreprise, ainsi qu’aux communicants soucieux d’ouvrir de nouvelles pistes d’action. Être crédible exige de dire clairement où l’on va, de le faire savoir et de donner des repères. Les intérêts qui conditionnent les rivalités économiques d’aujourd’hui ne reposent pas seulement sur des paramètres d’ordre commercial ou financier. Ils doivent également intégrer des variables culturelles, sociétales, bref des idées et des représentations du monde. C’est à ce carrefour entre élaboration des stratégies d’influence et prise en compte des enjeux de la compétition économique que se déploie la démarche stratégique proposée par Comes.

[2] http://www.comes-communication.com/files/ newsletter/Communication&Influencehorsseriejuin09_ Bruno_Racouchot.pdf