Dans les archives inédites des services secrets : Un siècle d’histoire et d’espionnage français (1870-1989)

Accéder à des fonds d'archives des services français est déjà une performance rare : qu'il s'agisse du SHD qui conserve les dossiers secrets des armées de Terre, de l'Air, de mer et de la gendarmerie, des fonds de la Résistance, du BCRA ou du 2ème Bureau, de la DGSE, de la DCRI, de la légendaire PP ou des Archives nationales…

« Il n’est point de secrets que le temps ne révèle » (Racine)

L’Iconoclaste est un éditeur pour qui le passé ne s'oublie pas. Il se cultive. A plus forte raison, celui de la France. 

 

Photo © L'Iconoclaste

Ne signant que quelques livres par an, cette maison d'édition se partage entre « des petits bijoux de littérature » et des ouvrages d'art « monumentaux, esthétiques et aventureux, sensibles et érudits. » qui nous accompagneront longtemps. Tous ont en commun d'être « nés en dehors des lois du marketing ». La collection Mémoires, lancée il y a dix ans par Sophie de Sivry, est un pur r

Ne signant que quelques livres par an, cette maison d'édition se partage entre « des petits bijoux de littérature » et des ouvrages d'art « monumentaux, esthétiques et aventureux, sensibles et érudits. » qui nous accompagneront longtemps. Tous ont en commun d'être « nés en dehors des lois du marketing ».

La collection Mémoires, lancée il y a dix ans par Sophie de Sivry, est un pur raffinement qui consacre l'efficacité d'une nouvelle méthode littéraire.

Chaque parution est l'œuvre d'équipes de grande ampleur, jusqu’à cent collaborateurs, écrivains et conservateurs. La méthode est rodée, éprouvée par des chefs d'orchestres en quête d'absolu qui cultivent un même esprit d’édition. Tout commence par une plongée dans des fonds d'archives publics ou privés, la plupart inédits. La recette est simple mais très aboutie. Un choix de documents exceptionnels, des images inédites, provenant de fonds privés ou publics généralement inaccessibles. Des textes rédigés à partir des documents. Cette méthode efficace  ne laisse pas le lecteur indifférent.

Parmi ces ouvrages d'exception, citons : "Mémoires du monde – Cinq siècles d’histoires inédites et secrètes au Quai d’Orsay" (2001): de Christophe Colomb à la chute du mur de Berlin… "Aventuriers du monde : les grands explorateurs français au temps des premiers photographes 1866-1914." (2003), "l’Herbier du monde : Cinq siècles d’aventures et de passions botaniques au Muséum national d’histoire naturelle" (2004). "Mémoires de la Mer : dans les archives des trois marines françaises" (2005); "Mémoires de la France : Deux siècles de trésors inédits et secrets à l’Assemblée nationale". Du serment du Jeu de paume à l’abolition de la peine de mort (2006); "Dans les archives secrètes de la police : Quatre siècles d’Histoire, de crimes et de faits divers dans les archives de la Préfecture de police". Enfin, le dernier ouvrage traite des services secrets.[2

Comme toujours, la richesse du livre tient au mélange bien dosé de documents inédits et de textes bien écrits, enrichis de rapports ou de photos évoquant des affaires d'État qui ont eu des répercussions au-delà de nos frontières.

Sous la direction scientifique de Bruno Fuligni et éditoriale de Jean-Baptiste Bourrat, cet ouvrage est divisé en trois grandes parties : Les secrets de la belle époque (1870-1918); les secrets de l'âge d'acier (1918-1947) et les secrets du Front invisible (1947-1989).

Bruno Fuligny -- Photo © Joël-François Dumont. -
Bruno Fuligni

Le sérieux apporté aux livres sur le Quai d'Orsay et sur la police a convaincu les responsables des services français de faire une entorse à la règle, sans pour autant violer des secrets qui font partie de notre histoire collective (la sacro-sainte règle anglaise « Keep your secrets secret » a été respectée). Néanmoins, pour la première fois, des documents, sélectionnés avec le plus grand soin, permettent de faire revivre une époque, un climat, et des affaires qui ont défrayé en leurs temps la chronique avec des éléments du dossier, tous authentiques, venant éclairer des zones d'ombre. Au-delà d'affaires célèbres, certains vont en profiter pour découvrir le BCRA,[3] les Jedburgh, des hommes et des femmes d'exception, Jeanne Bohec, Joséphine Baker ou le Colonel Pellé, ou encore découvrir la BCEN ou l'affaire Farewell.

« La partie fin 19ème, avec la 1ère Guerre Mondiale, jusqu'en 1920, montre la qualité du travail fait par les Français dans le domaine de l'espionnage et aussi leur avance en matière d'organisation et de technologie » précise Bruno Fuligni. « Le livre repose uniquement sur des documents que nous sommes capables de produire… Pas de plan préétabli, pas d'idées préconçues. Nous passons des mois à fouiller des archives. Nous sélectionnons quelques centaines de documents avant de passer commande d'un texte à un auteur pour commenter et conceptualiser le document. On ne fait pas ce genre de livre comme un livre d'histoire classique… Souvent les historiens rédigent des textes et cherchent ensuite des documents pour les illustrer. Ici, la chaîne de réalisation est inversée. On sélectionne des documents inédits, représentatifs d'une période, d'un service, d'une action ou d'une mission, avant de demander à des historiens, y compris chevronnés, de les faire parler en se livrant à un travail de commentaire et d'analyse… C'est le travail de deux années : la première, on recherche des documents et la deuxième, on travaille avec les auteurs ».

« On s'interroge sur la part de secret, entre les valeurs dont se réclame une démocratie et la réalité à laquelle elle doit faire face… On scrutera aussi l'avenir: ce livre a malgré tout, le parfum de l'ancien » comme le dit justement Jean-Paul Bailly, PDG du groupe La Poste, qui depuis dix ans a organisé un partenariat avec l'Iconoclaste. Le livre sur l'espionnage est un fidèle reflet de plusieurs époques. Accéder à des fonds d'archives des services de renseignement français est déjà une performance rare : qu'il s'agisse du Service historique de la Défense (SHD) qui conserve les dossiers secrets des armées de Terre, de l'Air, de mer et de la gendarmerie, des fonds de la Résistance, du BCRA ou du 2ème Bureau, d'archives de la DGSE, de la DCRI, de la préfecture de Police (PP) ou des Archives nationales, sans oublier des fonds privés.

Pour Jean-Baptiste Bourrat, « ces ouvrages ne constituent pas une vision interne. C'est plus l'histoire de la société française vue à travers les actions des services… L'histoire de la France et du monde vue à travers le regard de nos services de renseignement… Depuis le livre sur le quai d'Orsay, le défi c'est de trouver le rythme et le rapport texte-image très fort pour que le lecteur ait envie de se plonger dedans et de ne pas en sortir…»  Un pari réussi.

Joël-François Dumont

(*) Auditeur à l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN) et rédacteur en chef adjoint de la revue Défense.

[1]  Numéro 141 daté de Septembre-octobre 2009 de Défense, revue bimestrielle de l'Union des Associations des Auditeurs de l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN).Abonnements: BP 41-00445 Armées. 
[2]  Éditions L'Iconoclaste, sous la direction de Bruno Fuligni et de Jean-Baptiste Bourrat. 
[3] Voir "Les services secrets de la France libre : du 2e Bureau au BCRA", in Défense n°146 (juillet-août 2010).

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