Le Qatar, financier du terrorisme n’est plus

Ce qui s'est passé au Moyen-Orient est stupéfiant. Le « meilleur ami de la France », est ouvertement accusé par quatre pays arabes de nourrir le terrorisme international. Le Qatar était-il le sponsor de Charlie, Bataclan, Hyper-casher, Nice ? 

Ce qui s'est passé au Moyen-Orient est stupéfiant. Le « meilleur ami de la France », détenteur de participations majeures dans la presse, l'édition, l'hôtellerie, l'armement, le BTP, la publicité, le luxe, la sécurité, le sport…est ouvertement accusé par quatre pays arabes de nourrir le terrorisme international. Le Qatar était-il le sponsor de Charlie, Bataclan, Hyper-casher, Nice ? 

Énorme, inouï ! Aucun scénario n'avait envisagé cette catastrophe aux conséquences encore incalculables. Le vent de panique qui souffle depuis le 5 juin en provenance du Qatar gagne la France. Banquiers, diplomates, spécialistes et stratèges en tous genres se demandent comment se prémunir du pire. Fort heureusement, la bourse n'a pas encore bronché. Les cours de Lagardère, Vinci, Engie, BNP, Veolia, AXA, Airbus, Carrefour, GDF Suez, Accor, Total, Technip…. sont restés zen. Aucun footballeur du Paris Saint-Germain n'a toussé, aucun parieur du Grand Prix de l'Arc de Triomphe n'a henni, aucun homme politique n'a pleurniché, aucun journal n'en a fait sa une.

La loi du silence

Ce qui s'est passé au Moyen-Orient est pourtant stupéfiant. Le « meilleur ami de la France », détenteur de participations majeures dans la presse, l'édition, l'hôtellerie, l'armement, le BTP, la publicité, le luxe, la sécurité, le sport…est ouvertement accusé par quatre pays arabes de nourrir le terrorisme international. Le Qatar était-il le sponsor de Charlie, Bataclan, Hyper-casher, Nice ? La surprise est de taille pour ceux qui ne savent pas lire.[1] Toujours est-il qu'en moins de trois semaines, le richissime Qatar est passé du statut d'État courtisé à celui de voyou. Accaparée par les élections et délaissée par la presse, l'opinion publique française n'a pas encore pris la mesure de la gravité de l'événement. La sidération a paralysé les initiatives de la classe politique au point que tous les conseillers en communication s'accordent sur cet unique élément de langage : se taire, ne rien dire, pas un mot. L'Émir du Qatar lui-même est devenu muet depuis que l'Arabie Saoudite, les Émirats Unis, Bahreïn et l'Egypte ont subitement accusé son pays de financer le terrorisme. Cette mise à l'index sans sommation assortie de rupture des relations diplomatiques, fermetures des frontières et publication d'une liste d'accusés nominés, a frappé de stupeur l'ensemble de la communauté internationale à l'exception des États-Unis dont le Président s'est empressé de tweeter son approbation. Mais ni l'ONU, ni la Ligue Arabe, ni la Ligue Islamique, ni le conseil de coopération du Golfe n'ont moufté.

Il était une fois…

Le Qatar n'est pas une nation, c'est une fable. Tout a été dit sur ce confetti, sa télé à l'audience planétaire, sa mainmise sur l'information et le sport, ses achats extravagants, son prosélytisme salafiste maquillé en œuvre de charité, son irrésistible pouvoir de séduction chez les politiciens véreux de tous bords… [2] Et voici qu'en moins d'une heure, la grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf s'est dégonflée. La baudruche de gaz sans terre ni peuple est désormais menacée de disparition par la simple OPA inamicale des pays pétroliers voisins. La famille Al Thani, propriétaire de l'Eldorado gazier a fait fausse route. Elle aurait pu comme Dubaï ou Bahreïn se contenter de prospérer au milieu de ses 200 mille sujets, mais elle a voulu s'acheter une politique étrangère et s'ingérer dans les affaires du Monde à la faveur de l'assoupissement des dirigeants arabes grabataires et de la complaisance tarifée des occidentaux. L'arrivée de Trump aux affaires a subitement fait monter les enchères de l'accès à la cour des grands. Le Qatar est aujourd'hui prié de passer à la caisse pour payer le prix de ses impudentes ambitions.

Le business plan de Donald

Ce coup de force diplomatique du Président des USA est conforme à sa réputation de faiseur d'argent. Imaginons : Maison Blanche, bureau ovale. Question de Donald Trump : « combien nous rapporte le Qatar ? » « pas assez  » répond l'US Secrétaire d'État ex-PDG de Mobil-Exon. « OK, les gentils Saoud sont de gentils clients à 400 milliards. Ils veulent le Qatar. Qu'on leur donne ! » Exit l'Émirat microbien. C'est simpliste mais hélas plausible. À Washington le hard business a pris le pas sur la diplomatie conventionnelle. La cohérence de la vision de Trump au Moyen-Orient est celle d'un prédateur d'affaires face à une montagne de fric. Cette stratégie fait le bonheur des néoconservateurs frustrés par les années « peace & love » d'Obama. Réagissant au discours du Président à Riyad le 21 mai dernier, l'administration applique désormais la nouvelle feuille de route du marketing stratégique.[3] Les communicants ont mis au point un plan média sur fond de provocation diplomatique, menace iranienne et lutte contre le terrorisme. En plein mois sacré de ramadan Trump a déclenché la guerre des gangs chez les wahhabites. Cette tactique rappelle celle d'Eliott Ness à Chicago et aucun honnête américain ne viendra se plaindre d'une Saint-Valentin chez les terroristes.

Guerre sans sang

C'est le paradoxe (peut-être provisoire) de ce coup de main au cœur d'une des régions les plus militarisées du monde. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, le Qatar s'est retrouvé pacifiquement encagé dans sa péninsule de sable. Blocus terrestre total, accès maritime et couloir aérien restreints. Pour un pays qui ne produit strictement rien à part du gaz liquéfié, c'est la mort lente assurée. Faute d'approvisionnement, les gigantesques chantiers sont stoppés et la population composée pour ses neuf dixièmes de deux millions d'immigrés masculins se retrouve désœuvrée. Au quinzième jour de l'embargo, l'inquiétude gagne. Nul ne sait si le double salaire de ce mois de ramadan sera payé. À Doha, les autorités tentent de rassurer les consommateurs. Les quatre gigantesques Carrefour affichent les arrivages de denrées de Turquie, d'Iran et même des pommes de terre d'Algérie ! Voici le pays le plus riche du monde condamné à la frugalité. Certes l'Émirat d'opérette n'est pas Cuba ni le Yémen, la paix du monde n'est pas (encore) menacée, mais il est toujours dangereux de laisser les enfants inconscients jouer avec les allumettes à côté d'une bonbonne de gaz. Or, tout comme Donald Trump, Mohamed Ben Salman d'Arabie est immature et impulsif. Au terme d'une habile révolution de Palais, l'ex-numéro trois du royaume, fringant trentenaire, a capté l'héritage de son vieux père sénile. Il est depuis le 21 juin assuré d'être roi. Ce n'est pas un tendre. En mars 2015, avec la bénédiction de Washington, il avait provoqué une impitoyable campagne de bombardements du Yémen au prétexte de lutte contre le terrorisme.[4] Le Qatar va-t-il suivre le même chemin ? Tout est possible !

L'addition du siècle

Pour l'instant les dommages sont surtout financiers. Qui va payer les fabuleux manques à gagner, les retards ou l'annulation de la coupe du Monde de foot de 2022 ? Cas de force majeure disent les assureurs et tout le monde pleure. Les optimistes s'accordent à penser que la crise se terminera par une transaction dont le prix sera à la hauteur des conditions inacceptables posées par l'Arabie et les EAU : arrêt des émissions d'Al Jazeera, expulsion des Frères Musulmans étrangers et des membres du Hamas réfugiés. Pour signifier son allégeance et manifester sa bonne volonté, l'Émir a subitement sorti de sous son coude, un ordre de virement de 12 milliards de dollars pour l'achat au prix fort de 36 chasseurs- bombardiers F-15. Les Américains ont apprécié le geste, l'estimant très insuffisant.

Le Qatar impuissant

Washington et Riyad vont continuer à tirer sur l'élastique car Doha n'a rien à brandir en échange. Pas même la menace de couper le gaz qui est principalement exporté vers l'Asie, ce qui ferait l'affaire des Américains. L'armée d'opérette constituée de quelques milliers de mercenaires du tiers monde encadrés par une poignée d'officiers qatariens serait impuissante face aux onze mille hommes des forces US, UK et Australiennes qui stationnent dans la gigantesque base d'Al Udeid à trente kilomètres du Palais de l'Émir. Enfin, il est hautement improbable que Moscou ou même la Turquie – qui a fait semblant d'envoyer des troupes -, volent au secours de l'interchangeable famille régnante de l'Émirat au risque de se fâcher avec l'Arabie Saoudite où les enjeux économiques sont autrement plus sérieux. Pressés de choisir entre deux royaumes salafistes obscurantistes infréquentables, la plupart des États musulmans n'ont d'ailleurs pas hésité longtemps avant de se ranger au coté du plus riche. D'autres, comme le Pakistan affichent une neutralité propice à faire monter les enchères. 

La diplomatie cornélienne de la France

Depuis Paris, l'affaire n'est pas si simple. En apparence, les échanges entre la France et le Qatar sont modestes. Doha n'est que le 47ème client de Paris. Les investissement croisés ou jumelés sont en revanche plus significatifs car l'Émirat est omniprésent dans des secteurs sensibles. Il est même associé à l'État français dans un fond commun de placement avec la Caisse des Dépôts et Consignations. Au surplus, ses ressortissants bénéficient de privilèges fiscaux indécents. Mais c'est surtout dans le domaine de l'armement et de la sécurité que la France risque de laisser des plumes car non seulement elle est le principal fournisseur de l'Émirat mais elle a noué des relations étroites de toutes natures : échanges académiques, formation des élites et encadrement techniques des forces armées, de la police et des services de renseignement. Le respect des nombreux accords de défense et partenariats stratégiques est devenu dramatiquement problématique. Comme Paris ne peut pas rester l'arme au pied, Macron et Le Drian gagnent du temps, ils gigotent diplomatiquement mais la posture sera vite intenable si Riyad durcit le ton : « êtes-vous avec nous ou contre nous ? » Enfin, l'onde de choc va non seulement modifier les rapports de force au Proche-Orient mais aussi en Afrique du Nord où les réseaux officiels et officieux de l'Émirat faisaient la pluie et le beau temps. Le décrochage qatari en Libye et en Tunisie va bouleverser le paysage politique. On se souvient qu'au cours d'un voyage dans chacun de ces pays au lendemain de la chute de Kadhafi et de Ben Ali, l'Émir du Qatar (père de l'actuel) avait fanfaronné « ici, je n'ai pas besoin d'être invité, je suis chez moi ! » Mais aujourd'hui, le Qatar n'est plus et le message de Trump/Salman est clair : il doit dégager de partout. De France pareillement ? Héritier de deux quinquennats sans gloire, Emanuel Macron aura-t-il l'humble sagesse de se tenir à l'écart des guerres salafistes ?

Hedy Belhassine

[1] Chesnot, Malbrunot, Labévière, trois journalistes, deux enquêtes
          Pierre Conesa. Dr Saoud et Mr Djihad
          Olivier Roy et Alain Chouet, deux lectures pour comprendre "la jihadologie"
[2] Le Qatar, un confetti puissant
[3] Trump d'Arabie
[4] Yémen : Les dernières nouvelles de demain…