La fonction renseignement est devenue l’une des quatre fonctions opérationnelles transverses de l’armée de terre. Le concept de bataille décisive n'étant plus aussi pertinent qu'auparavant, face à l'incertitude, le facteur humain est devenu prédominant. C'est désormais sur la phase de stabilisation de l'espace terrestre que se concentre l'effort principal. C'est « la manœuvre »…
Cette chronique © a été publiée dans la revue Défense.[1] Nous la reproduisons ici avec l'autorisation de son auteur, Joël-François Dumont (*). Paris, le 5 avril 2008.
« Il faut saisir aujourd’hui, collectivement, l’opportunité de convergence entre le temps politique et le temps militaire. »[2]
Après des années de réflexion prospective et doctrinale, l'armée de Terre, professionnalisation oblige, a rationalisé ses structures et en a tiré les conséquences en matière de renseignement, partant d’un constat. Si la menace conventionnelle symétrique semble s’être éclipsée pour l'instant, la guerre n'a pas disparu pour autant : elle a simplement changé de nature. L’asymétrie conventionnelle est devenue un mode d'action privilégié. La force et la technologie ne suffisent plus à elles seules à emporter la décision. Elles restent indispensables, mais leur efficacité repose avant tout sur la capacité humaine à les convertir en avantages. « La fonction renseignement » est devenue « l’une des quatre fonctions opérationnelles transverses de l’armée de terre. »[3]
« Le concept de bataille décisive n'étant plus aussi pertinent qu'auparavant, face à l'incertitude, le facteur humain est devenu prédominant. » [2] C'est désormais sur la phase de stabilisation de l'espace terrestre que se concentre l'effort principal. C'est « la manœuvre », à savoir la combinaison des moyens militaires et civils, de l'action politique, diplomatique et militaire, qui permet de neutraliser ou de « discréditer les groupes armés et d'offrir des perspectives aux populations ». C'est la manœuvre aux plus petits échelons tactiques au sol qui contribue à l'atteinte de l'effet stratégique. La maîtrise du champ cognitif est devenue l'élément clé de la supériorité opérationnelle, domaine dans lequel l'armée de Terre, grâce à ses unités d'élite, peut revendiquer une certaine excellence. « Le renseignement appuie évidemment la Force terrestre depuis l’intervention jusqu’à la phase de normalisation, prélude à son retrait. Il convient de garder à l’esprit que l’acquisition du renseignement doit être un préalable stratégique à la projection d’une Force qui doit compter elle-même, dès l’entrée en premier, sur ses propres capacités de renseignement tactique. »[4] Pour ces raisons, la maîtrise de l'information demeure une priorité pour le général Cuche. Devant les députés, le CEMAT s’est félicité de la mise en œuvre de systèmes d'information modernes,[2] citant la numérisation de l'espace de bataille aujourd'hui en expérimentation dans deux brigades (la 2e BB, projetée partiellement au Liban, et surtout la 6e BLB, en Côte-d'Ivoire). Tous les comptes rendus qu'en reçoit l'état-major sont élogieux.
L’Armée française a toujours maintenu une spécialité renseignement. Elle dispose aujourd’hui d’une Brigade de Renseignement (BR) à Metz. Le renseignement est organisé dans l'armée de Terre en trois grandes catégories d'origine : humaine, image et électromagnétique. « Cette dernière est le domaine des régiments de GE, les 44ème et 54ème RT. Le renseignement d'origine image fonctionne essentiellement à partir des drones (CL 289 et SDTI). Le renseignement d'origine humaine est aujourd'hui le plus important. Il met en œuvre des régiments spécialisés : le 2e RH,[4] le 13e RDP et le 1er RPIMA, appartenant à la BFST (Forces Spéciales Terre) et au deuxième cercle des unités de la 11e BP (commandos de recherche et d'action dans la profondeur) et de la 27e BIM (unités de recherche humaine). »[2]
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Des organismes dédiés au « Rens »
L’un des plus récents est le Centre d'Enseignement et d'Etudes du Renseignement de l'Armée de Terre, le CEERAT, créé en 2002 à Saumur et commandé par le Colonel Foucher. Parmi ses missions : « dominer le bouleversement induit par l’évolution vertigineuse des technologies de l’information appliquées au recueil, à l’exploitation et à la diffusion du renseignement. Assurer la cohérence des informations recueillies sur le théâtre d’opération par des capteurs d’une grande diversité, allant du satellite au combattant, du drone au radar, de l'écoute des réseaux radios à l'information ouverte. »
Le second est le Centre d’exploitation du renseignement terrestre, le CERT, dirigé à Lille par le LCL Perchet, chargé de la mise à jour de la « situation tactique et opérationnelle » et des préparations « fines » des chefs de mission avant leur départ. Les conflits mettant en œuvre aujourd'hui 80 à 90% de soldats de l'armée de Terre, « le renseignement d’intérêt Terre est donc plus que jamais une fonction essentielle de l’engagement opérationnel (préparation, planification conduite d’une opération). « S’il conserve son rôle classique au moment de l’intervention militaire, la phase de stabilisation qui exige une présence au sol, au contact et dans la durée, donne au renseignement une place prépondérante. » Le Colonel Foucher est convaincu que « le renseignement juste et obtenu à temps » est certes l’ambition qui doit animer tout chef de B2, mais l’effort d’acquisition du renseignement concerne aussi tous les militaires déployés en opération « à qui le réflexe de la curiosité et du compte-rendu simple doit être inculqué », ce qui n'est malheureusement pas dans la culture française…
Quels que soient les progrès technologiques, le renseignement demeure un art difficile. Comme l’a écrit le général de Gaulle dans le fil de l’épée : « L’ennemi est contingent, variable, aucune étude, aucun raisonnement ne peuvent révéler avec certitude ce qu’il est, ce qu’il sera, ce qu’il fait et ce qu’il va faire. ».
Joël-François Dumont
(*) Auditeur à l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN) et rédacteur en chef adjoint de la revue Défense.
[1] Numéro 132 daté de mars-avril 2008 de Défense, revue bimestrielle de l'Union des Associations des Auditeurs de l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN). Abonnements: BP 41-00445 Armées.
[2] Audition du général Bruno Cuche, CEMAT, sur le projet de loi de finances pour 2008.
[3] Renseignement terrestre : Avenir et enjeux, in Doctrine (09.06) par le Colonel J.-F. Coppolani.
[4] Colonel J-B. de Fontenilles, directeur des études du CEERAT, ancien Cdt du 2ème Hussards.
[5] Voir in Défense N°120.
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