Vieux pays, plus souvent porté à la bataille qu’à la prospective, à la conquête terrestre plutôt qu’au commerce international, à la République centralisée plutôt qu’à la démocratie, la France quand on l’obligeait à regarder l’Océan a toujours eu l’air étonné du « coq devant une perle » lui préférant un grain de mil, nous dit le fabuliste.
Par Nicolas Polystratu © — Brest, le 20 mars 2008.
Cela n’a pas échappé aux observateurs extérieurs et deux d’entre eux ne se sont pas fait prier pour le remarquer. Ce n’est pas très gai de lire sous la plume de l’amiral Mahan : « le comportement des Français est incompatible avec la pratique d’une politique maritime ambitieuse. La tendance à épargner, à ne s’aventurer que timidement et à petite échelle peut conduire à une extension de la richesse, elle aussi à petite échelle, mais non au risque et au développement du commerce extérieur et des intérêts maritimes. » Et il est tout aussi désolant d’écouter son contemporain, Herzen, constatant que « naviguant de tous côtés la Grande-Bretagne a peuplé la moitié du monde. La France contente d’elle, adhère à son centre et le centre à son maître. » Il n’est pas certain que ces observations ne soient pas encore plus ou moins d’actualité. Mais plutôt que de perdre son temps en regrets inutiles car tout a changé sur notre planète, c’est à partir de ce « changement d’ordre des choses » (Valéry) qu’il faut examiner ce qu’il en est aujourd’hui où nous sommes face au dilemme suivant :
“Au monde physique, ouvert, immense, inconnu, hostile, des millénaires précédents, a correspondu un but prioritaire de conquête avec un enfermement sécurisant dans la pyramide terrienne et l’habitude ancestrale du bipolarisme (Moi – l’Autre) se résolvant dans la violence.
Au monde océanique fermé, définitif, limité, hétérogène et de plus en plus flou de notre petite planète correspond aujourd’hui une immensité de possibilités de mouvements et de capacités dans pratiquement toutes les activités humaines. »
La plupart des pays sont toujours les acteurs de la première partie tandis que ceux qui tracent l’avenir sont depuis des années les leaders de la seconde et que nous, Français, hésitons sans cesse entre les deux alors même que nous avons globalement les capacités nécessaires pour atteindre à cette puissance maritime, condition du mouvement dans tous les domaines, qui nous a toujours fui et sans laquelle on ne peut prétendre à une « politique maritime ».
- Capacités nécessaires pour l’océan mondial
L’océan étant mondial par définition, celui qui prétend à une politique maritime d’influence mondiale au début du XXIème siècle, à moins de vouloir s’enfermer dans l’un ou l’autre de ses bassins océaniques doit disposer :
1) – d’une flotte océanospatiale scientifique et océanographique avec les centres de recherche associés (océanologie, météorologie, navigation, biologie marine et biotechnologies associées…).
2) – d’une flotte marchande (cabotage et internationale) à trois composantes évolutives :
– sous pavillon national comme réserve stratégique.
– sous pavillon de second registre pour concurrence économique.
– « contrôlée » pour s’immiscer dans les marchés fermés.
3) – un réseau de ports nationaux et étrangers à quatre caractéristiques :
« Communications – transformations – consommations – productions ».
4) – une flotte de pêche hauturière et côtière en évolution rapide.
5) – une industrie d’élevage aquacole.
6) – un ensemble flotte et ports de tourisme.
7) – un ensemble d’écoles de formation maritime à divers niveaux.
8) – une industrie de construction et réparations navales à trois composantes :
– coque- propulsion
– équipements
– off-shore
9) – une industrie « énergétique » surface et sous-marine.
10) – une capacité de travaux maritimes.
11) – une capacité touristique comprenant.
– les plages et leurs équipements et la surveillance de leur pollution éventuelle
12) – une dimension santé, industrie pharmaceutique, thalassothérapie
13) – des spécialistes de droit international maritime.
14) – une flotte militaire océanospatiale à deux composantes :
– une flotte d’intervention mondiale et de combat
– une force de garde-marine, autonome, à vocation européenne, assurant la sûreté/sécurité des approches maritimes, pouvant être intégrée à la première en cas de nécessité.
Notre pays dispose de toutes ces capacités à des niveaux variables, pas toujours à l’échelle de ce qu’il veut représenter sur la planète, mais malheureusement il n’a pratiquement jamais envisagé que le « maritime doit se penser comme un tout.» Il est vrai que nous partons de loin avec de considérables erreurs de l’État comme des entreprises :
Refus des canaux pour des motifs insensés et écologiquement totalitaires ;
« Oubli » de faire partir nos premières autoroutes à partir des ports vers l’intérieur du pays et non pour les vacances de parisiens;
Référence donnée au transport des personnes par le fer en négligeant le fret indispensable pour les flux de conteneurs en expansion considérable ;
Paralysie habituelle de nos ports pour de multiples motifs entraînant beaucoup de nos PME à se tourner vers d’autres ports européens pour leurs exportations par complication et immobilisme d’une administration n’ayant que peu d’idée sur le « temps » et les mouvements du commerce maritime ;
Non possession par les grandes entreprises de leurs propres moyens de transports;
Textes administratifs ahurissants en nombre et en complication;
Incapacité des historiens et des marins eux-mêmes, à la différence de la Grande-Bretagne, à sensibiliser l’ensemble du pays à la mer, etc.
Si l’Océan doit être pensé comme un tout l’organisation générale de ces capacités ne doit pas reposer sur une construction administrative complexe et comme toujours dans ce cas-là paralysante, mais comme une activité « opérationnelle » de synthèse exigeant quelques personnes de grande culture et compétence et une ferme résolution de l’État à faciliter les flux de toute nature qu’engendre le commerce maritime. Cela doit s’appliquer non seulement à l’échelle de l’Océan mondial mais également dans ses conséquences internes au pays, en fait de transports, communications, productions, etc. ce qui est toujours très difficile dans un pays à la fois trop centralisé et émietté comme l’indique ses multiples niveaux administratifs. Une approche très limitée dans son objet en a été donnée jusqu’ici par les Préfets maritimes en ce qui concerne la sécurité des approches du territoire national, même si les moyens n’ont pas suivi particulièrement pour la surveillance des 10.000.000 km² de zones économiques exclusives que nous sommes incapables d’assurer correctement en dehors des eaux métropolitaines. Mais quand on constate que pour cette simple mission 14 ou 17 administrations voire plus sont concernées on imagine assez mal comment faire et gouverner une synthèse intéressant l’ensemble de ces données et leurs activités d’autant que la dimension européenne finit par s’en préoccuper en partie et que tous les pays européens n’ont pratiquement aucune idée commune pour le moment. Aussi ne faut-il pas chercher la solution sur un ministère ad hoc ce qui ne fera pas avancer les choses mais commencer par un changement complet de mentalitévis-à-vis des « communications au sens large du terme » en général et celles par la mer en particulier en se souvenant que les pays d’esprit maritime sont aussi les plus démocratiques, l’un n’allant pas sans l’autre comme le montrent les pays d’Europe du Nord, la Grande-Bretagne et les États-Unis d’Amérique.
Cela devrait commencer par une toute autre façon de faire de nos entreprises grandes et petites car c’est tout aussi vrai de nos PME. Tout le monde pleure sur leur sort difficile en exportation mais combien de leurs cadres parlent l’anglais et combien de leurs dirigeants s’intéressent vraiment au commerce mondial pour leurs produits, si petits soient-ils, autrement que dans le très court terme ? Quand admettra-t-on qu’il n’y a pas d’économie de droite ou de gauche mais une économie qui marche ou ne marche pas et dans ce dernier cas ce qu’il faut faire pour que ça marche à nouveau ? (Tony Blair au Palais Bourbon). Quand se décidera-t-on à un enseignement de l’Océan sous tous ses aspects dans nos écoles où l’on préfère « disputer » sur l’enseignement privé et l’enseignement public et jamais parler d’enseignement maritime alors que les richesses de toute nature qu’il propose seront un des grands pôles de demain? Ce serait pourtant le début du changement de mentalité nécessaire pour regarder en face les changements qu’implique l’irruption définitive de l’Océan. [1]
Par une habitude étrange mais propre aux pays d’esprit continental, nous avons trop longtemps confondu puissance navale et politique maritime avec un double et redoutable inconvénient. D’une part un manque de cohérence dans le développement des caractéristiques de la politique maritime regroupant la totalité des capacités précédentes. D’autre part une vision politique fausse de la Marine Nationale qui sauf lors de rares et notables exceptions a toujours été négligée par le Pouvoir.
- La Marine Nationale
L’acte de la naissance officielle de la Marine de France par les lettres patentes d’Henri II (1547) est très intéressant parce qu’il se place entre les deux rattachements définitifs à la Couronne de France de la Bretagne (1532) et de la Bourgogne française (Cateau-Cambrésis 1555) dans cette incroyable centralisation qui va les assécher progressivement et renforcer l’attitude belliqueuse du pays. Placés ainsi, les marins auront toujours du mal à expliquer l’apport possible de la mer pour la politique du pays, son rayonnement, la progression et la défense de ses intérêts et auront tendance à regarder vers l’extérieur sans trop se soucier de convaincre l’ensemble de leurs concitoyens que le commerce, la richesse, l’aventure se trouvent sur mer et non dans l’enfermement dans une figure géométrique… Comme l’a expliqué l’historien Britannique H.E. Jenkins dans son histoire de la Marine française « les marins français n’ont jamais démérité ce qui leur a manqué ce sont des gouvernements conscients de la mer et de son importance… » C’est comme cela qu’a disparu la superbe marine de la fin du règne de Louis XVI à laquelle les États-Unis d’Amérique sont très redevables et bien plus reconnaissants que la France. Les marins de talent à la mer comme dans leurs écrits et leurs réflexions stratégiques au plus haut niveau n’ont jamais manqué. Contentons nous de signaler l’amiral Castex lu par les amiraux américains et particulièrement Nimitz pendant la Seconde Guerre Mondiale et que l’Académie française, aujourd’hui en mal de candidats paraît-il, n’a jamais pensé à élire en son temps.
Actuellement la Marine Nationale pourtant intéressée à toutes les autres capacités par de multiples liens est globalement la plus délaissée par l’État qui ne la considère guère que par la dimension politique de la force de dissuasion sous-marine que les marins ont grand tort de faire entrer dans leurs moyens de combat alors que les sous-marins stratégiques n’en sont pas et ne pourraient l’être que dans des situations désespérées. Cela ne peut que tromper les responsables politiques satisfaits de ce qu’on leur présente comme chiffres de tonnage… Ce qui n’a plus de sens, sinon de donner l’impression fausse qu’on peut faire des économies! Cette attitude est renforcée par l’ignorance des véritables possibilités d’une Marine militaire dont les moyens ne cessent de diminuer alors même que ses missions et l’activité maritime générale ne cessent de croître. Depuis trente ans sous la pression « amicale » des deux autres armées, au nom de l’égalitarisme habituel dans le pays, l’exemple le plus frappant en a été la diminution de son personnel dans les mêmes proportions que les deux autres alors même que ses opérations ne cessaient de se développer… et les marins, qui sont hélas à la différence des aviateurs de bien mauvais communicateurs, ne disaient rien, usant hommes et matériels pour satisfaire au mieux les missions ordonnées dans des conditions de plus en plus tendues et parfois acrobatiques.
- Quand le Président de Gaulle déclara à l’École Navale :
« Pour ce qui est du pays, il s’agit d’avoir une marine qui soit en mesure de frapper fort, de frapper comme c’est sa nature sur la mer et depuis la mer, tout ennemi de la France, de le frapper avec les armes les plus puissantes qui soient et de le frapper le cas échéant sans réserve et sans condition. Dans l’évolution de l’art de la guerre, la Marine passe de toute manière pour tout le monde et en particulier pour nous au premier plan. La marine se trouve maintenant et sans doute pour la première fois de notre histoire au premier plan de la puissance guerrière de la France et ce sera tous les jours un peu plus vrai. » [2]
Il ne s’est rien passé en dehors du développement indispensable des sous-marins nucléaires stratégiques. Il en reste aujourd’hui une plaque sur les murs de l’École Navale… et il est plus que probable que tout le monde l’a oubliée. Pourtant le Général avait raison et une vision bien plus vaste si l’on en juge sa réflexion au chef d’état major de la Marine après un exercice de défense maritime du territoire qui lui était présenté à l’École Supérieure de Guerre navale en 1967 où étaient mis en œuvre tous les moyens disponibles de la Marine:
« Si je comprends bien, Patou, vos marins ce sont des douaniers. »
Mais cela n’a non plus rien changé dans les réflexions et les décisions politiques et budgétaires, même si deux ans plus tard, peu de temps avant sa démission, le Président revint sur le sujet de la mer d’une façon plus générale :
« L’activité des hommes se tournera de plus en plus vers la recherche de l’exploitation de la mer. Et, naturellement, les ambitions des Etats chercheront à dominer la mer pour en contrôler les ressources. » [3]
Et « naturellement » en France il ne se passera rien chez les gouvernements suivants pour en tirer politiquement, stratégiquement et budgétairement les conséquences, ne comprenant pas qu’il n’est pas d’homme d’Etat sans approfondissement de tout ce qui a trait à l’Océan, ce qui exigerait une toute autre formation de bien des responsables du pays.
Cette même attitude d’immobilisme et au minimum de refus d’étudier les conséquences de la montée progressive de la mer dans les intérêts des États et les drames de trop nombreux pays se retrouvera vingt cinq ans plus tard quand Américains et Russes se mettront d’accord sur un croiseur à Malte (1990) pour une diminution des moyens conventionnels en Europe, étant bien précisé que ces réductions ne toucheraient pas les moyens aéronavals, bonne vision des nécessités du lendemain… Symbolisant le poids majeur de la puissance maritime dans les affaires du monde de demain, cet accord n’eut aucun effet en France, ni dans les pays européens. Ne changeant rien à nos errements habituels d’homothétie négative à partir des années soixante-dix nous n’avons pas engagé une réflexion approfondie pour savoir pourquoi les deux Grands avaient pris une telle décision et son impact au moins éventuel pour nos forces, mais au pays de l’immobilisme nous avons préféré rester comme nous étions !
Sauf au moment de la guerre d’Indépendance des États-Unis, la France ou plutôt ses responsables politiques et trop souvent militaires n’ont pas compris ce qu’est une marine et ce qu’un pays peut en attendre et en faire. Pourtant depuis la dernière guerre mondiale européenne non seulement la Marine fut présente partout en soutien de l’armée de terre avec ses forces aéronavales, en Indochine aussi bien que dans les opérations et évacuations successives de l’Afrique du Nord, les indépendances de certaines colonies, les affaires toujours présentes du Liban, la sécurité du trafic pétrolier dans le détroit arabo-persique, la première guerre du Golfe, etc. mais aussi des opérations humanitaires de grande ampleur en divers endroits du monde après tremblements de terre, cyclones, tsunami, etc. avec des forces dont le nombre ne cessait de diminuer posant de difficiles questions de maintenance. Assez curieusement d’ailleurs on ne voyait en même temps personne s’inquiéter sur le fait que s’il est a priori intéressant de remplacer deux frégates par une seule plus grosse et mieux armée, ce que l’on mettait volontiers en exergue, cette dernière ne possède pas l’ubiquité ce qui divise par deux en fait les possibilités de déploiement sur l’océan et par suite limite les possibilités du Politique. On touche ici une caractéristique souvent oubliée des moyens maritimes au bénéfice des seuls indices budgétaires. Les navires sont chers, l’aberration trop longtemps supportée de nos arsenaux d’État n’arrangeant pas les choses, jamais construits en séries significatives car toujours diminués en nombre avec les années. C’est assez différent dans les autres armées dont les moyens matériels se prêtent mieux, à leur corps défendant, aux élucubrations des financiers dont on n’a jamais vu un seul manifester une quelconque compétence justifiant leurs déclarations et leurs ukases finaux. Aussi au lieu de la solution unique habituelle nous serions plus avisés de regarder de près ce que veut notre pays en fait de capacité d’influence mondiale et le cas échéant d’intervention ciblée pour en tirer les conclusions applicables à la Marine afin qu’elle dispose effectivement des moyens humains et matériels correspondants.
Mais ne nous trompons pas. Si nous n’avons pas de projet politique majeur concernant l’Océan, si nous ne voulons rien changer à notre esprit égalitariste, à nos diminutions en homothétie négative alors nous nous dirigerons vers une marine à deux dimensions : une force de dissuasion totalement à part et, porte-avions ou pas, une force côtière… Cela nous ramènera définitivement au rôle de valet d’armes des États-Unis et éventuellement de l’Europe. En effet, au-delà d’une certaine perte de corpulence des différentes composantes d’une Marine elle n’a plus de signification politique, diplomatique, stratégique, opérationnelle quelle que soit la valeur de ses personnels.
Pour y réfléchir et décider en connaissance de cause il est nécessaire de se poser une question centrale : qu’est-ce qu’une Marine militaire au début du XXIème siècle, ce dont les Français n’ont globalement à peu près aucune idée malgré toutes les activités et opérations menées depuis des années… Et pourtant ! Instrument de souveraineté, de sécurité, de manifestation diplomatique et culturelle, de surveillance océanique, d’atteinte en silence et en sécurité des quelques 160 pays qui disposent d’un accès à la mer, y compris la quasi totalité des autres par l’aviation embarquée et les missiles, une marine militaire est un remarquable instrument de mobilité, de durée, privilégiant les stratégies indirectes à faible coût, la longue durée, les frappes instantanées ainsi que pour ceux qui en ont compris le nouvel usage la projection avec le débarquement de forces terrestres embarquées (en France ce pourraient être la Légion et la Coloniale à refonder) là et quand le pouvoir le décide. Sur ce dernier point nous sommes en France très loin des concepts américains ou Britanniques. Mais nous n’avons ni le même passé, ni les mêmes intérêts, ni les mêmes hommes et la force nucléaire irremplaçable à l’heure actuelle nous donne une autonomie voire d’indépendance de comportement qu’il serait regrettable de perdre par manque de moyens, nous ramenant au rôle de subordonné de pays mieux équipés que nous.
Une Marine est fondamentalement l’outil du mouvement, de la surveillance de l’ensemble des flux humains et matériels qui parcourent l’océan, en même temps qu’un remarquable observateur de bien des indices de difficultés et de crises un peu partout dans le monde. C’est un monde mobile autonome qui, se déplaçant dans un univers encore « res nullius » pour ceux qui en ont les moyens, peut approcher au plus près les frontières et les moyens d’autres pays sans que pour cela se déclare un état de guerre ce qui serait le cas avec les armées de terre et de l’air. Pendant des décennies les marins approchaient en mer à quelques dizaines de mètres des unités soviétiques, le cas échéant en participant même à leurs exercices pour leur plus grande fureur, alors que les moyens terrestres et aériens étaient par la force des choses immobiles et en attente sans pouvoir prendre d’initiatives qui auraient inévitablement déclenché une « guerre ». Dans la mesure où son gouvernement lui donne outre les moyens de combat l’ensemble des moyens de logistique mobile et d’Intelligence indispensables il ne manque guère à une Marine moderne qu’une aviation lourde de transport mise en œuvre par les armées de l’air à laquelle chez nous nous avons préféré trop longtemps de magnifiques intercepteurs nous obligeant à faire appel à des pays étrangers mieux pourvus que nous.
En ce début de XXIème siècle nous constatons de plus en plus que le monde précédent sur lequel nous avions assis nos réflexions, nos habitudes, nos administrations, nos réflexes, nos armées, notre économie, etc. est en voie de disparition et qu’un nouveau lui succède au milieu de multiples désordres humains, financiers, spirituels avec toutes les violences conséquentes. Le temps de l’immobilisme tranquille mâtiné d’explosions guerrières est terminé, nous sommes dans celui du mouvement dans tous les domaines avec tous ses dangers, ses risques mais aussi ses chances. Les décolonisations sont finies et il est temps de penser et d’agir autrement dans le monde, y compris en Europe, y compris vis-à-vis de l’Alliance et de son outil militaire en fonction de nos capacités et de nos intérêts à moins de se satisfaire comme le chien de la fable d’un certain servage. L’Océan va avoir une importance de plus en plus grande dans ce monde fermé, hétérogène et flou car outre ses richesses immédiates et potentielles il est le « patrimoine commun de l’humanité » donc le meilleur moyen de communiquer, de collaboration internationale et le cas échéant d’action dont les nuances peuvent être considérables et dont notre absence serait très préjudiciable pour nous comme pour ceux qui attendent beaucoup de nous. Encore faut-il en avoir les moyens. Il faut espérer que notre pays en prenne vraiment la mesure désormais car sur ce point aussi il y a une véritable rupture intellectuelle, politique et militaire à faire. Il faut admettre que Clausewitz n’est plus une référence acceptable sur la Planète-Archipel hétérogène du XXIème siècle, l’armée de terre américaine l’a payé durement en Irak avant de commencer à le prendre en compte.
Il faut désormais « penser et agir autrement. » Cela exige de repenser entièrement ce qu’est une véritable politique maritime, sans oublier celle qui en est à la fois, outre ses missions d’État, la sécurité et le creuset des hommes indispensables pour toutes ses capacités : la Marine Nationale. Osera-t-on?
Nicolas Polystratu
[1] cf. Penser l’Océan : publié aux Éditions L’Esprit du Livre le 5 novembre 2007 (22 rue Jacques Rivière 92330 Sceaux). « L’Esprit du livre« , avec sa collection « Stratégie et défense », s’est proposé de relever ce défi en se donnant pour « vocation de contribuer à l’élaboration et à la diffusion de la culture française de défense par l’édition d’ouvrages historiques, de témoignages ou de réflexions. » Dans une époque marquée par une « pipolisation » outrancière, où la vie politique est perçue dans les grands médias « avec une vision réductrice » trop souvent « rabaissée à une sorte de Star Academy » et où « le spectacle prévaut sur le débat et l’image sur l’idée » comme le regrette Jacques Rigaud dans Le prince au miroir des médias, Machiavel 1513-2007, ce challenge ne laisse pas indifférent. Pour commander sur Internet: aller sur le site http://www.espritdulivre-editions.com (paiement sécurisé via Paypal); par courrier (chèque ou mandat postal), ou encore en passant commande chez son libraire habituel.
[2] Discours à Lanvéoc Poulmic le 15 février1965.
[3] Brest le 1 février 1969.
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Lettres de Nicolas Polystratu, alias Guy Labouérie, membre de l’Académie de Marine :
- Politique maritime et Marine Nationale – Lettre de Nicolas Polystratu (2008-03-20)
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