Lettre d’un ami américain à Nicolas Polystratu à propos de l’Irak et autres lieux

L’Afrique noire ne nous sera nécessaire qu’à partir de 2050 par ses matières premières. Laissons les nations mères européennes y intervenir pour empêcher des désastres comme la France tente de le faire en Côte d’Ivoire.

Washington D.C., le 17 février 2003 (©).

            Mon cher Nicolas,

Ton courrier m’a fait d’autant plus plaisir que j’étais de plus en plus étonné par la lecture de la presse et l’écoute des radios de ton cher pays. Seuls me semble-t-il quelques rares hommes de culture et de mémoire tentent de mettre un bémol à ce qui se manifeste par un manque surprenant d’ébranlement et de questionnement entre l’ensemble des tares supposées de mon pays, et la réalité de sa puissance, de son dynamisme, de sa culture… cette dernière toujours mise à son débit. Je reconnais que de notre côté nous ne faisons pas toujours, comment dis-tu? « dans la dentelle » pour nous défendre comme tu as dû le voir récemment dans une déclaration malheureuse de notre ministre de la Défense. Ce genre de réaction, est assez habituel chez les « plus forts, quelles qu’en soient les raisons, surtout s’ils sont maladroits ou brutaux, deux de nos tentations, mais il est préférable comme tu me le demandes pour mieux comprendre ce qui est en jeu de revenir vers l’essentiel du comportement de mon pays. Au centre des préoccupations actuelles de la Planète, il se manifeste par une vision globale poursuivie sans discontinuer dès notre Indépendance à travers une Stratégie Nationale qui inspire en permanence les actions adaptées avec si nécessaire une célérité dont les pays européens ont semble-t-il perdu l’habitude.

Une vision globale

Dès notre Indépendance mon pays va orienter la formidable capacité d’action et de réflexion de ses jeunes populations vers, d’une part la conquête de son territoire proprement dit et, d’autre part, vers le reste du monde pour affirmer son intention de participer dès que possible à la vie internationale et d’y défendre leurs intérêts. Tout est conditionné par deux éléments essentiels : d’une part la puissance industrielle telle que l’a décrite Hamilton dans son « Rapport sur les manufactures en 1791, qui passe essentiellement à cette époque par l’océan et les marines marchandes.

C’est ce qu’écrivait le futur président Jefferson peu après l’Indépendance:

  • « Notre nation est convaincue de la nécessité où elle est de prendre sa part de l’occupation des océans. Des habitudes anciennement contractées la portent à exiger que les mers demeurent ouvertes aux activités de notre nation et que l’on suive la ligne de politique la plus propre à lui assurer l’usage aussi complet de cet élément… Je pense que nous devons nous attacher, même au prix d’une guerre certaine, à maintenir nos concitoyens sur le pied de l’égalité la plus parfaite dans tout ce qui est relatif au transport des marchandises, au droit de pêche et à tous les autres usages de la mer. »

L’application commence immédiatement dans une guerre écourtée avec la Grande-Bretagne en 1812 puis avec la défense de notre pavillon commercial en Méditerranée dès 1815 (bombardement de Tripoli, Alger, Tunis) la conquête de l’Ouest par le cheval à laquelle succédera celle du Pacifique par le vaisseau avec l’ouverture du Japon (1853) et celle des Antilles (1898) au détriment des Espagnols, en attendant les interventions bienvenues dans les conflits mondiaux européens se terminant par le pacte protecteur et paralysant de l’Alliance Atlantique. En même temps que nos succès matériels, technologiques, militaires, etc., tandis que les objets d’une telle vision ne cessent de se multiplier, se développe chez nous une philosophie « mercantilo-idéaliste » reposant sur la conviction que seul un système politique analogue à l’American way of life est capable d’apporter à la planète la paix et le développement, philosophie qui peut dériver vers un certain impérialisme.

C’est dans cette continuité, poursuivie par tous nos gouvernements, que poussés par les Soviétiques, nous sommes partis à la conquête de la dernière frontière la « high frontier » qui via l’effondrement du mur de Berlin nous donne un avantage considérable pour les développements futurs des sociétés de l’information. C’est ce que résume David Rothkopf en retrouvant l’essence de la pensée de Jefferson:

« Pour les États-Unis, l’objectif central d’une politique étrangère de l’ère de l’information doit être de gagner la bataille des flux de l’information mondiale en dominant les ondes, tout comme la Grande-Bretagne régnait autrefois sur les mers » ‘(2) marquant une continuité remarquable, particulièrement depuis un siècle à la suite de la pensée de l’amiral Mahan, dans ce que nous pensons et réalisons au-delà de tout discours politicien, au long des deux siècles de notre existence.

L’essentiel de notre histoire se ramène à quatre propositions que l’on retrouve toujours dans notre façon d’aborder nos relations avec le reste du monde comme d’ailleurs dans la conduite de nos entreprises:

  • • une vision globale dans le contexte du moment, désormais la Planète, la vision mondiale étant toujours supérieure à la vision régionale.
  • • penser toujours sur le long terme, se limiter à l’immédiat ne permettant que la fuite en avant.
  • • une finalité: la liberté des communications, fondement du commerce comme de la culture, communications aujourd’hui de toute nature, et non pas la conquête physique ou l’asservissement des populations.
  • • la rapidité, voire parfois la brutalité, des actions correspondantes une fois décidées.

Cela exprime simplement le concentré de la mentalité océane, celle qui a compris que c’est le contrôle des flux, et non la conquête territoriale, qui a le meilleur rapport coût/efficacité. Il ne faut pas s’étonner que les Britanniques soient régulièrement en accord avec cette façon de voir et d’agir tandis que les nations continentales ont bien du mal à en saisir l’importance et le fonctionnement. Cela est d’autant plus vrai aujourd’hui que l’on ne vit plus dans le monde européen flamboyant du XIXème siècle mais sur une planète aux frontières évanescentes, où personnes, familles, entreprises, peuples et nations se présentent comme des archipels, élémentaires ou complexes, où la « communication et les moyens humains et matériels de connexion nécessaires » sont primordiaux. On nous accuse en ce domaine d’avoir promu l’ « information dominance » comme un moyen de dominer le monde alors qu’il ne s’agit que d’exploiter nos capacités humaines et technologiques chacun étant libre de se doter des mêmes moyens, tandis que les dangers les plus menaçants sont le terrorisme international et l’économie criminelle, de plus en plus liés, et de plus en plus actifs.

• Pour s’affirmer face à ce monde éclaté, l’affrontement brutal de type clausewitzien est de peu de ressources sinon au niveau tactique en veillant à ne pas aller vers des extrêmes dangereux comme s’étaient plu à l’envisager des esprits eux-mêmes dangereux comme Herman Kahn.

Il est bien plus efficace de s’appuyer sur les enseignements de ceux qui se sont trouvés dans des situations analogues au cours des siècles. C’est le cas des pays maritimes depuis les anciens Grecs jusqu’aux Britanniques et à nous-mêmes, leurs fils, et c’est celui pour des raisons différentes de la pensée chinoise surtout dans l’application qu’en a réfléchie et probablement appliquée Sun Tse. Ce que Chinois comme Marins ont compris c’est que la boxe, consistant à frapper son adversaire jusqu’à ce qu’il tombe est bien plus dangereuse pour les deux acteurs que les sports martiaux qui visent au déséquilibre et l’abandon de l’Autre. C’est d’autant plus important que notre monde fermé, hétérogène ne nous laisse plus d’échappatoire vers la violence généralisée comme vous l’avez fait par deux fois au XXème siècle. Le « Go » est supérieur aux « dames » et pour le niveau stratégique aux « échecs » à limiter à l’action violente et brève souhaitée par Sun Tse lorsque l’Autre est décontenancé ou pris la main dans le sac.

Tes concitoyens européens, à l’exception des Britanniques, font une double erreur aujourd’hui dans leur appréciation de la vision et de la stratégie nationale américaines. D’une part ils sont presque tous enfermés dans une vision régionale, et d’autre part ils ont le plus grand mal à penser long terme trop habitués qu’ils sont à la pression de l’immédiat renvoyant questions et réponses fondamentales à plus tard, comme si par miracle, (le syndrome Jeanne d’Arc ?) l’avenir réglerait tout seul les difficultés!…

Je ne sais comment pensent exactement nos responsables aujourd’hui d’autant que, autre leçon de la mentalité océane, le silence est toujours préférable au secret , mais l’on peut probablement schématiser leur raisonnement de la façon suivante:

  • Notre conduite d’aujourd’hui doit être pensée en fonction d’un horizon glissant 2025/2030
  • En 2030, le seul challenge intéressant pour nous, quelle qu’en soit la forme, sera avec les « Chines » (Provinces maritimes, intérieur, en transhumance interne, Taiwan (?), diasporas planétaires…) qui sont les seules ayant une façon de penser correspondant à la situation archipélagique de la Planète, les maîtres du flou face à ceux de l’information et de la mobilité stratégique.
  • Il faut donc préparer dès maintenant, en le faisant évoluer en fonction des événements, le « go-ban » sur lequel le XXIème siècle va se jouer dans toutes les dimensions.
  • Il faut être capable d’agir financièrement, commercialement, diplomatiquement, technologiquement, militairement, etc. partout où l’action sera nécessaire sur la planète pour assurer le succès de nos intérêts et ceux de nos alliés.
  • Si nos alliés naturels ne nous comprennent pas nous nous passerons d’eux, comme nous aurions dû le faire à la fin de la première guerre du Golfe au lieu de nous incliner face à la pression de ton Président.

C’est avec cette vision des choses que l’on peut bâtir le Go ban, très complexe dans un environnement très différent, sur lequel va se « jouer » le XXIème siècle. Il serait dramatique que nous nous y trouvions seuls car le bipolarisme est toujours dangereux. heureusement le monde anglo-saxon est pluriel!

  • Le go ban des années 30

Pour nous trouver dans les meilleures conditions possibles au fur et à mesure du temps et de l’évolution de la Chine, il nous faut, mettre en place progressivement un filet planétaire dont les principaux points d’accrochage seraient les suivants:

• L’Alliance Atlantique est fondamentale mais l’Europe, compte tenu de son passé de massacres et de ce qu’elle est aujourd’hui, ne doit pas interférer dans nos projets. Nous voulons une Europe riche, mais faible, un grand marché, excellent placement commercial, qui ne doit pas nous faire d’ombre. Nous agissons pour cela depuis la fin de la guerre et le Pacte Atlantique outre sa protection face à la Soviétie avait pour but de la paralyser en la faisant s’équiper des moyens d’action immédiate tandis que nous nous réservions ceux de l’Information et de la mobilité stratégique, en-dehors desquels on est impuissant. Vous l’avez plusieurs fois vérifié. En précipitant l’entrée des Européens de l’Est dans l’Otan après la chute du mur, nous vous avons obligé à ne pas retarder leur entrée dans l’Union… il vous faudra longtemps pour la digérer. Cela ira encore mieux dans notre sens, comme l’a bien vu l’ancien Président Giscard d’Estaing, si nous réussissons à y faire entrer la Turquie, cette ancienne puissance coloniale séculaire, toujours oubliée, de l’ensemble des pays arabes à l’exception notable du Maroc, avec en outre la question kurde et ses quatre États intéressés, à laquelle s’ajoute son alliance avec l’Etat d’Israël… vous irez droit dans une situation inextricable spécialement vis à vis du monde arabe, à moins que les deux « vieilles » Nations, France et Allemagne, ne se mettent réellement à penser et agir politiquement et stratégiquement, ensemble!

• Le Proche-Orient, la charnière du monde comme tu l’avais appelée autrefois, est le second point-clé, beaucoup plus délicat, beaucoup plus dangereux et incertain. Il présente, en effet, une double importance stratégique, par l’énergie et l’affrontement monde arabe/ Israël. Nous sommes, certes, intéressés par l’énergie pétrolière car nous en consommons de manière irresponsable, mais je n’ai pas lu beaucoup de réflexion sur l’immense service que nous rendrons à nos alliés et plus encore sur l’insoluble problème que nous poserons à la Chine car c’est là que nous pouvons le mieux agir pour freiner son développement qui nécessitera pour se poursuivre un développement exponentiel de ses capacités énergétiques dans les années à venir. Le nucléaire comme le charbon, pour des raisons différentes, ne pourraient lui suffire à moins de considérer la Chine de l’intérieur comme une simple zone tampon dans l’Ouest. L’action sur l’Irak comme ensuite vers l’Arabie, et ce quelle que soit la ou les formes que nous allons leur donner, n’aura pas pour but de diriger des pays à conquérir mais en aidant des gouvernements responsables et démocratiques à mettre en place, de stabiliser les cours de l’or noir à des niveaux que les besoins de la Chine et des Indes feraient autrement irrésistiblement s’envoler. C’est de plus la seule solution raisonnable pour tenter un véritable accord Israël/Pays arabes, condition irréductible pour la « pacification  » de cette région, la tranquillisation globale de la Méditerranée, avec une possibilité nouvelle de développement entraînant à terme la diminution des terrorismes trop implantés dans cette région. Il restera à aider l’Iran à évoluer vers un système plus intelligent que l’actuel car ce vieux pays est porteur d’un tout autre avenir que celui proposé par ses mollahs.

• Pour la Russie, bien que son avenir soit assez sombre compte tenu de son implosion démographique dont elle ne semble pas avoir réellement pris conscience encore, nous devons la considérer avec amitié dans la proportion où elle inquiétera encore suffisamment la Chine et l’Europe, et nous devons lui assurer une aide et une considération suffisantes pour qu’elle soit toujours à la limite des capacités nécessaires, tout en préservant l’essentiel des ressources énergétiques de son ancien empire. De même elle a un rôle important à jouer vu ses relations particulières avec l’Inde pendant plusieurs dizaines d’années pour calmer les tensions entre l’Inde le Pakistan, l’Afghanistan et l’Iran, bien qu’elle n’en ait pratiquement plus les moyens matériels pour le moment Le plus désagréable serait qu’elle se concentre à l’Ouest de l’Oural pour forcer les portes de l’Union Européenne laissant les richesses potentielles de la Sibérie comme terres d’expansion des Chinois. Impensable a priori aujourd’hui, rien n’est joué pour 2030. Que ferait-elle face à 10 millions de chinois rentrant pacifiquement en Sibérie renouvelant à une toute autre échelle la marche verte des Marocains dans le Sahara? A nous d’y veiller attentivement. C’est pourquoi nous prendrons son parti dans la presque totalité des difficultés qu’elle pourrait avoir sur ses frontières si nous percevons une évolution de la situation qui nous serait globalement défavorable.

• Les Indes, aussi peuplées que le sont les Chinois et capables de remarquables réalisations sont pour encore quelques dizaines d’années handicapées par la double difficulté de leur système des castes avec leur intolérance et leurs intégrismes religieux plus ou moins exacerbés par la présence intérieure et extérieure des Islams asiatiques qui l’entourent par l’ensemble Pakistan/ Iran, à l’Ouest et Bangla Desh à l’Est. Il est pour le moment difficile de pronostiquer l’avenir mais tout doit être fait pour qu’un équilibre relatif soit maintenu entre la Chine/Inde/Pakistan, ces trois puissances nucléaires, et démographiques déséquilibrées pour deux d’entre elles, en veillant à ce que par diasporas interposées les Indes ne se lancent à la conquête de l’Océan Indien leur lieu naturel d’expansion et de toute la frange Est de l’Afrique noire en profitant de son état général de délabrement. Il ne faut pas non plus exclure que la tension ne monte rapidement entre le sous continent indien et la péninsule arabique pour les mêmes raisons de manque de ressources énergétiques qui dans tous les cas entraîneront dans un premier temps un développement du nucléaire civil sans commune mesure avec ce qu’il est aujourd’hui.

• Dans le Sud-Est asiatique qui dépassera bientôt le demi milliard d’habitants l’Indonésie mal en point, mais indispensable par ses détroits au fonctionnement du commerce maritime international particulièrement pour vous les Européens, doit être encouragée à ne plus mettre ses pieds dans la trace des Islams arabes largement minoritaires sur le plan mondial, pour réfléchir et développer des Islams asiatiques modernes, répondant aux désirs d’avenir de leurs populations. Il y a dans cette région un contrepoids formidable à stimuler face aux deux ensembles Chine et Inde. Ce sera difficile mais ce sont des peuples marins et dès qu’ils seront libérés des héritages terriens de l’armée japonaise ou chinoise qui les empêchent pour le moment de vivre en démocratie et de se gouverner en nations-archipel, leurs progrès pourraient être très rapides. Il faut les y aider. Nos alliés du Pacifique Sud ont un rôle particulièrement important à y tenir.

• L’Afrique noire ne nous sera nécessaire qu’à partir de 2050 par ses matières premières. Laissons les nations mères européennes y intervenir pour empêcher des désastres comme la France tente de le faire en Côte d’Ivoire. Cela les empêchera de s’inquiéter de trop près de nos activités. Veillons de loin en appliquant la bonne méthode japonaise d’il y a quelques trente ans… tant que la situation n’est pas urgente, investissons doucement sur des points à bien choisir quant à l’avenir, et quand les bailleurs initiaux seront fatigués et les pays en voie de réel développement alors investissons-nous complètement.

• L’Amérique du Sud est loin de la scène principale qui est désormais le Pacifique et a encore bien du chemin à faire avant de devenir un acteur majeur de l’évolution de la planète, mais de toute manière nous devons agir avec ses différentes composantes pour les garder quoi qu’il arrive de notre côté sans qu’elles se laissent éventuellement séduire par l’Union Européenne. L’Espagne pourrait faire beaucoup dans ce but et une ligne d’accords Union Européenne/ensemble de l’Amérique du Sud nous poserait un certain nombre de problèmes difficiles, nos relations avec nos voisins du Sud n’ayant jamais été réellement très efficaces.

Si l’Alliance Atlantique fait de l’océan de ce nom, du moins dans sa partie Nord le lieu le plus riche de la Planète et si l’océan Indien gardera encore son rôle d’espace des grandes stratégies indirectes face au Proche-orient et à l’Asie du Sud, avec les détroits indonésiens vitaux pour l’Europe, le Pacifique pour lequel nous avons lourdement investi économiquement, puisque tous les riverains s’y retrouvent dans la Zone économique que nous avons créée, doit rester sauf sur sa partie ouest proprement dite, un océan anglo-saxon avec la Nouvelle Zélande et l’Australie qui auront toujours besoin de nous face aux 300 millions d’Indonésiens et nous d’eux par leur position géographique.

Enfin, dans le Nord nous devons soutenir l’ensemble Corée du Sud – Japon en nous efforçant de tenir Taiwan hors des tentations vers le Continent que ce soit pour une symbiose culturelle millénaire avec les Hans ou pour une probable illusion de reconquête de la Chine continentale à partir de l’économie. Quant à la réunification des deux Corées, une fois la Corée du Nord débarrassée de son pitoyable régime, ce qui se fera prochainement avec le concours de la Chine, les difficultés de la réunification de l’Allemagne dans des conditions démographique et économique beaucoup plus simples, illustrent les obstacles à prévoir. Elle pourrait être encouragée éventuellement par la Chine si cette dernière y voyait une possibilité de paralysie à son avantage. Nous aurions intérêt à réfléchir à ses conséquences et de travailler à l’établissement, délicat compte tenu du passé récent, d’une zone de prospérité Corée /Japon /Sibérie qui aurait un poids important et calmerait les envies éventuelles de transformer cette dernière en zone d’expansion démographique chinoise!

Tu penses bien qu’aucun dirigeant de mon pays ne m’a fait de confidences. N’étant pas devin je ne sais ni ce qu’ils décideront, ni comment ils le réaliseront, ni les risques qu’ils accepteront, mais je suis sûr d’une chose c’est qu’ils le feront avec cette idée de la liberté qui nous est congénitale depuis notre Indépendance et que vous ne pourrez jamais nous retirer. Nous ferons des erreurs et nous en ferons d’autant plus que vous ne nous rejoindriez pas, ce qui n’est pas tant une question de moyens, vous êtes aussi développés et aussi intelligents que nous, qu’une question de changement de mentalité. Le XIXème siècle c’est fini, nous sommes au XXIème dans un monde hétérogène, éclaté, difficile où les rapports de force ne seront plus jamais ce que vous en avez fait en Europe au XXème siècle en nous entraînant dans des catastrophes humaines inimaginables que vous paraissez avoir oubliées! Quand Donald Rumsfeld vous a traités, France et Allemagne, de vieilles Nations il y avait, probablement inconsciemment chez lui, cette conviction que vous n’êtes plus à la hauteur des nécessités de l’heure.

On le voit avec l’Irak comme avec l’Union Européenne. Fera-t-on la guerre? Je n’en sais rien, je n’ai pas l’information qui permettrait de le dire. Tout le monde souhaite la paix, c’est évident chez vous comme chez nous, mais dans vos défilés je n’entends rien sur le prix de cette paix… C’est pourtant celui que payent depuis des décennies des millions d’êtres humains soumis à des régimes sans pitié pour eux, mais ils sont loin n’est-ce pas? Quant à l’Europe elle n’aura pas d’existence réelle tant que ce ne sera pas une Europe-archipel avec l’esprit océanique correspondant. La Grande-Bretagne ne vous rejoindra que si vous faites ce changement de mentalité. Si a priori votre faiblesse nous arrange pour le moment, le monde a besoin de vous. Inventez le XXIème siècle dans votre vision du monde, vos organisations, vos relations humaines, vos pistes de développement et votre participation à l’histoire en train de se faire. C’est par le vaisseau que la vieille Europe a unifié le monde au nom des États. Aujourd’hui ce rôle est celui des entreprises-archipels et le rôle des États bascule vers de toutes autres responsabilités. En France vous n’avez jamais cru vos marins et vos commerçants, ouvrez les yeux. Tu sais bien que vous avez toutes les cartes pour cette mutation des mentalités et parfois de meilleures que les nôtres. Que vous manque-t-il? le courage? celui qui vous fuit depuis 1935?

Je suis allé plus loin que je le pensais dans ces considérations, mais nous nous connaissons assez pour savoir que l’un et l’autre sommes en connivence sur la plupart des sujets. Il reste à en convaincre ceux qui nous entourent. Pour finir je m’aperçois avec horreur qu’à l’imitation de tes « augures sur plateaux » qui vont prochainement investir la TV, je n’ai pas joint de carte… comment peut-on traiter ces questions sans carte? Je sais que tu les as dans la tête ce qui me soulage de cet impardonnable péché.

Best wishes

John Smith

P.c.c.. Guy Labouérie, membre de l’Académie de Marine.

Lettres de Nicolas Polystratu, alias Guy Labouérie, membre de l’Académie de Marine :