Tel père, tel fils : le premier compagnon et le dernier

Discours du président de la République, Emmanuel Macron, lors de l’hommage national à l’amiral Philippe de Gaulle rendu dans la cour d’honneur des Invalides — Paris, le mercredi 20 mars 2024 — [1]

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De la cathédrale à la cour d’honneur des Invalides pour recevoir l’hommage de la Nation
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« Honneur, Patrie, Valeur, Discipline : les tables de sa loi » (Emmanuel Macron)

L’hommage de la Nation aux Invalides

En ce jour, en cette cour des Invalides, rendant hommage à l’amiral De Gaulle, nous nous rassemblons en un lieu qui était devenu le sien. Oui, dans cet hôtel des Invalides où la nation accueille depuis 350 ans, avec gratitude, ceux qui versent leur sang pour elle, ici, se noue une certaine idée de la France, faite de temps long, de permanence, de dettes reconnues à l’égard de ceux qui ont servi la patrie.

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« Il faut vivre pour plus grand que soi » (Amiral Philippe de Gaulle)

Et en ces dernières années, le marin, le résistant, l’élu de la République avait retrouvé, ici, cette cohorte de blessés et de héros. La chaîne des temps. Il était là, debout, parmi eux.

Connaître toutes les mers du monde, mais choisir la Seine pour dernier rivage

Paris, comme dernier et premier maillon de son existence, laquelle fut une aventure de tant de paysages. Le boulevard de Grenelle, Septfontaines, Mayence, Trêves, le soleil du Liban, la lumière de la Syrie. Au fil des affectations du jeune commandant Charles de Gaulle, l’ombre des forêts de Colombey-les-Deux-Églises, qui résonnèrent de tant de voix et de tant d’échos – les Gaulois harcelant les troupes de César, Bernard de Clairvaux fondant les cisterciens, Napoléon menant en 1814 sa dernière campagne, la Fureur de 70 et celle de 14. Légendes des siècles, que devait prolonger celle du Général.

Connaître toutes les mers du monde, mais choisir la Seine pour dernier rivage. Partir en homme de devoir, risquer sa vie sur 4 continents et aller reposer à Colombey.

L’amiral De Gaulle aura traversé le siècle passé à l’ombre d’un grand homme. Il y aura tracé son propre sillon avec cette rectitude, cette force de l’amour donné et reçu, cet amour qui n’ose se dire et qui pourtant irrigue, amour pudique de ses parents, tendresse pour ses sœurs qui achoppait sur les mots. Plus tard, pour sa femme Henriette, leurs 4 fils, leurs enfants, après eux.

Amour charnel de la France. Dans son enfance à Colombey, le monument aux morts affichait des dizaines de noms, les gueules cassées, les blessés de guerre, peuplaient le village et les promenades avec son père se changeaient parfois en cours de tactique militaire. Alors se grava en Philippe de Gaulle une certitude : lui aussi servirait la nation sur mer, comme son père l’avait fait sur terre.

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« Philippe de Gaulle avait choisi la grandeur comme métier » (Emmanuel Macron)

Quand la guerre éclata, il était au lycée Stanislas, sur le point de préparer les concours de l’école navale. Le 18 juin 1940, il n’entendit pas l’appel du général De Gaulle et pour cause, avec sa mère et ses sœurs, il était déjà à bord du cargo qui l’emmenait vers l’Angleterre, vers son père et vers la Résistance. Il a alors 18 ans et rentre dans les Forces Françaises Libres, rejoignant, depuis Portsmouth, le combat des forces de l’intérieur, quelles que soient leur chapelle ou leur doctrine, réunies dans un même refus de l’étrange défaite, dénonçant comme lui ce qu’il appellera toujours « l’abominable armistice ». Restant debout, quand tous ployaient l’échine, se battre plutôt que subir.

Se battre plutôt que subir

Philippe de Gaulle se forme sur le vieux cuirassé Courbet, participe à la défense aérienne de Portsmouth, à la bataille de l’Atlantique, à la campagne de la Manche.

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Le 1er août 1944, il débarque en Normandie, sur la plage d’Utah, avec un peloton de fusiliers marins de la 2ᵉ division blindée, « la division de fer », celle qui chante de Koufra à Strasbourg, sa fierté d’appartenir aux « gars de Leclerc », Alençon, Argentan, Antony, puis Paris, enfin.

6 fois blessé, 6 fois debout. L’enseigne de vaisseau Philippe de Gaulle reçoit l’ordre, le 25 août, de négocier la reddition des nazis retranchés dans l’Assemblée nationale. Il fait cesser les tirs et s’avance seul parmi les corps tombés des FFI, pénètre dans le Palais Bourbon au milieu de 400 Allemands qu’il convainc de se rendre aux Français.

Le cœur symbolique de la République est délivré. Paris est libérée. La France est relevée.

EdV Philippe de Gaulle — Domaine public

Philippe de Gaulle peut alors rejoindre les siens. Et il y eut chez les De Gaulle cette scène de retrouvailles si singulière, autour d’un repas de famille où l’on discutait comme si l’on s’était quitté le matin même, parlant de tout et de rien, des uns et des autres, des projets, de tout sauf de la guerre et des hauts faits de Charles, Philippe, Roger, Xavier, Alain, Marie-Agnès, Geneviève. Pas plus que la génération d’avant n’avait parlé de la Grande Guerre, ni les précédentes de la guerre de 70. Pudeur d’une grandeur considérée comme une évidence.

La grandeur comme métier

Et comme une évidence, Philippe de Gaulle fit de la grandeur son métier. Pendant un an, en Caroline, il se forma pour devenir pilote de notre aéronavale.

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Le célèbre bagad de Lann-Bihoué interprète « Ar mor Divent » (la mer est immense)

Il fut dès lors investi de missions les plus périlleuses, appontant de jour et de nuit. Il navigua sur nos plus beaux bâtiments, commanda la flottille 6F, l’escorteur rapide Le Picard, la base aéronavale de Dugny, la frégate Suffren, le Groupe naval d’essais et de mesures, l’aviation de patrouille maritime, l’escadre de l’Atlantique, jusqu’au rang d’amiral.

Honneur, patrie, valeur, discipline. Ces 4 piliers de la Marine, gravés sur chacun de ses bâtiments, étaient les tables de sa loi.

Il quitta un jour la tenue 22 aux 5 étoiles, mais jamais, il n’abandonna cette devise.

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Plusieurs sénateurs, comme Jacques Legendre (a.g.) sont venus pour témoigner leur fidèle amitié

Quand Jacques Chirac l’invita à se présenter aux élections sénatoriales, en 1986, il accepta comme une autre manière de se mettre au service de la République. 17 ans durant, il fut sénateur de Paris, apportant sa voix à la commission des Affaires étrangères et de la Défense.

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Dans le sillage de Charles, Philippe et maintenant Yves… — Capture d’écran E-S —

Être de Gaulle après De Gaulle

Comme il est dur, pourtant, d’être De Gaulle après De Gaulle, d’en avoir l’allure, la voix, les gestes et de ne pas être lui.

L’Amiral répondait aux murmures par la rigueur de sa conscience, son indifférence à la mondanité, déclinant toute présidence parlementaire ou honorifique, quelle qu’elle fût.

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« Il aura connu toutes les mers du monde et choisi la Seine pour dernier rivage » (Emmanuel Macron)

Dans son œuvre de mémorialiste, il montrait toujours la grandeur collective, et non la sienne, effaçant ses hauts faits derrière ceux des autres. Le témoin expliquait l’Histoire, l’officier expliquait le combat, l’Amiral expliquait le Général.

Il publia, commenta les 13 volumes des notes et carnets de son père, car il était une mémoire de ces mémoires. Il en connaissait toutes les coulisses et toutes les didascalies : Londres, la campagne de France, le déchirement de la guerre d’Algérie, le basculement de 68. Dans les yeux de Philippe de Gaulle s’était jouée l’Histoire du siècle.

Ses propres mémoires, il les qualifia d’accessoires à tort, parce qu’il avait cette humilité, cette noblesse de toujours se sentir redevable. « Il faut agir au-delà de soi et travailler pour plus grand que soi » : là étaient ses mots, sans jamais attendre récompenses, ni honneurs.

Car ainsi va la vie quand on s’appelle De Gaulle, quand on se sent de France. On naît, on vit, on sert, on meurt.

Et d’autres qui sont nés après nous vivront, serviront, mourront, acceptant la responsabilité comme un honneur, le seul fardeau qui grandit, le seul joug qui libère. Celui qui naquit avec le plus lourd des héritages nous l’enseigne aujourd’hui : nous avons des devoirs.

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Une certaine idée de la France, faite de temps long, de permanence, de dettes reconnues à l’égard de ceux qui ont servi la patrie.
  • Devoir à l’endroit de nos anciens, car chacun de nous est dépositaire et gardien de leur legs de courage, d’abnégation, d’héroïsme.
  • Devoir à l’endroit de nos enfants.
  • Devoir d’espérance. « La France en a vu d’autres, la France s’en sortira, tu verras », tels étaient ses mots répétés, toujours à travers les meurtrissures de l’histoire.

Grandeur d’un sacrifice consenti

C’était sa certitude, partagée avec tous ses compagnons d’armes, tous ses compagnons dont il eut la place s’il n’eut pas le titre, grandeur d’un sacrifice consenti en silence dépassant l’injustice ressentie.

Oui, à jamais, ils seront 1038 compagnons, et 1 ; comme il y eut 3 mousquetaires, et 1. Avec pour distinction suprême et difficile ces paroles du Général : « Tu ne voudrais pas que je te nomme dans un ordre que j’ai moi-même créé. Tout le monde sait que tu as été le premier compagnon ». Car oui, il fut le premier compagnon, et le dernier.

Debout comme les chênes de Colombey

Debout, même au seuil de la mort, à un an sur les genoux de son père, à 20 ans au chevet de la Nation, à 60 ans au sommet de la Marine, à 70 ans dans les travées du Sénat, à 102 ans dans la cour des Invalides. Il a attendu d’avoir tout écrit, tout transmis, mis un point final à ses derniers souvenirs, rédigé ses dernières volontés avec une rigueur d’ordre d’opération, demandé les derniers sacrements, et puis, il a fermé les yeux dans la nuit qui ne connaît pas l’Histoire. Une mort à sa mesure. Une mort de paladin, de chevalier, remettant ses pensées à la France, son âme à son Seigneur et son cœur à sa dame. Car le dernier nom qu’il murmura fut celui d’Henriette, en chevalier, membre de cette confrérie de l’idéal, ceux qui ne vivent que debout, ceux qui ont redressé leur patrie à la face du monde.

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« Un siècle de bravoure française » (Emmanuel Macron saluant le parcours hors-normes de l’amiral De Gaulle)

Ils étaient 150 000, il était de ceux-là. Ils étaient un millier, il était de ceux-là. Et quand ils ne furent plus qu’un, il fut celui-là. Debout, comme sont debout les grands chênes de Colombey, sous le ciel, enracinés dans les profondeurs des âges, déployés sans peur vers l’avenir. Ces chênes, dont on fait les charpentes de cathédrales, les flancs des navires et les croix de Lorraine. Ce bois dont on fait la France.

Des chênes que rien n’abat

Vous nous avez rappelé, Amiral, qu’il est des chênes que rien n’abat, ni le fer, ni le feu, ni l’hiver, ni l’usure. Ces chênes qui passent de la vie à l’éternité.

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Hommage des soignants de l’Institution nationale des Invalides

Leur feuillage ombrage les armes de la République. Et quand autour de nous, les abatteurs menacent, nous savons qu’ils ne peuvent rien contre ces chênes-là et que par eux, par l’idéal qu’ils nous transmettent et que nous reprenons, la France tiendra. Et face aux cognées de la haine, de l’esprit de défaite ou des consciences qui parfois vacillent, s’il ne reste qu’un pays, que la France soit celui-là, debout.

Vive la République, vive la France !

Hommage de la Nation à l'amiral Philippe de Gaulle
L’amiral Philippe de Gaulle reposera aux côtés de son épouse Henriette à Colombey-les-Deux-Églises

[1] Source : Service de Presse de l’Élysée. Les captures d’écran ont été réalisées à partir du podcast diffusé par l’Élysée.