Esclale chez les Lotophages

Notre dépendance à la machine s’accroit chaque jour. L’informatique interconnectée fait parti de notre quotidien et transfère à la machine une partie croissante de nos fonctions cérébrales, ce qui induit « la paresse cognitive, antichambre de l’atrophie fonctionnelle irréversible De renoncement en renoncement, cette dépendance risque, selon Quentin Dickinson, de devenir totale. Les conséquences sont multiples, notamment, « l’acceptation automatique de toute information qui paraît sur un écran, petit ou grand. Le monde perçu n’a plus que deux dimensions. C’est la validation de données anonymes, invérifiées, non-datées et hors-contexte. Dans un second temps, l’amoncellement de données contradictoires et le cyber chaos généralisé aidant, vient l’ère du doute universel : tout ne serait plus que tentative de manipulation à des fins politiques ou commerciales, et la réaction instinctive est de rejeter en bloc le contenu des écrans ; puisque tout est suspect, rien n’est donc vrai.» Last, but not least, « nous autoprogrammons le recul de notre santé physique, directement tributaire de notre santé mentale »…

Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l’actualité européenne sur euradio

Source : euradio — Bruxelles, le 13 février 2025 —

Laurence Aubron : Cette semaine, sous forme de mise en garde, vous voulez nous emmener dans un avenir plus ou moins proche…

Quentin Dickinson : … en commençant cependant par un coup d’œil dans le rétroviseur. Dans les années 1920, alors que l’éternel culte de la modernité, toujours éphémère, imposait de se faire installer chez soi le téléphone, la plaisanterie suivante circulait : « Votre téléphone retentit ; vous vous précipitez pour décrocher – pas de doute, on vous sonne, et vous voilà devenu le domestique d’un nouveau maître ».

Laurence Aubron : C’est en effet plaisant – mais où voulez-vous en venir ?…

Digital-Eye-— Photo-BS © Michal Mrozek
« Digital-Eye » -— Photo-BS © Michal Mrozek

Quentin Dickinson :Comme chacun d’entre nous, vous aurez constaté que, depuis que l’informatique interconnectée est entrée de plain-pied dans notre quotidien, nous avons renoncé au calcul mental, aux plans de ville et aux cartes routières, à la mémorisation d’adresses et de numéros de téléphone, pourtant souvent utilisés, et aux petits carnets manuscrits, où nous consignions naguère l’identité de nos fréquentations personnelles et professionnelles, afin de ne pas nous tromper dans l’orthographe de leur patronyme, ni pour ce qui est de leur prénom et de celui de leur conjoint éventuel – cette liste des habitudes disparues n’est évidemment pas limitative.

Laurence Aubron : Ce n’est pas faux, mais qu’en déduisez-vous Quentin Dickinson ?…

Quentin Dickinson : On peut en conclure que nous sommes proches de la totale dépendance de l’Homme à la machine ; et que cela fait apparaître d’ores et déjà les prémices de deux conséquences majeures.

Laurence Aubron : …qui sont, selon vous ?…

Quentin Dickinson :D’abord, dans un premier temps – c’est-à-dire actuellement – c’est l’acceptation automatique de toute information qui paraît sur un écran, petit ou grand. Le monde perçu n’a plus que deux dimensions. C’est la validation de données anonymes, invérifiées, non-datées et hors-contexte.

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Photo Christina Mori – Pexels

Dans un second temps, l’amoncellement de données contradictoires et le cyber chaos généralisé aidant, vient l’ère du doute universel : tout ne serait plus que tentative de manipulation à des fins politiques ou commerciales, et la réaction instinctive est de rejeter en bloc le contenu des écrans ; puisque tout est suspect, rien n’est donc vrai.

Laurence Aubron : Et quelle est, selon vous, l’autre conséquence ?…

Quentin Dickinson :C’est la plus inquiétante. Comme chacun des organes du corps humain, le cerveau a besoin d’exercice pour conserver sa force et sa souplesse. Mais déléguer à la machine une partie croissante des fonctions cérébrales induit ce que l’on peut appeler la paresse cognitive, antichambre de l’atrophie fonctionnelle irréversible.

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L’œil digital dans le cyberespace — Photo BS © Serge

En clair, nous nous autoprogrammons le recul de notre santé physique, directement tributaire de notre santé mentale, ainsi que l’inversion probable de l’actuelle tendance à la longévité.

Laurence Aubron : Dans ce futur franchement terrifiant, vous n’avez pas une seule fois fait allusion à l’intelligence artificielle – pourtant elle ne devrait pas manquer de renforcer cette lame de fond que vous décrivez.

Quentin Dickinson :Commençons par répondre que ce futur ne sera pas perçu comme ‘terrifiant’ par les humains de demain, puisque ce sera pour eux la banalité de la norme, et que tous survivront dans une société indolente, dépourvue de mémoire, sans ressort ni imagination, à l’égal des Mangeurs de lotus rencontrés par Ulysse.

Quant à l’intelligence artificielle, dont la formalisation remonte tout-de-même à 1956, elle ne constitue en rien les Portes de l’enfer ; l’emballement anxiogène du moment à son propos est considérablement exagéré. Son avenir est de rendre infiniment plus rapide les processus informatiques que nous utilisons déjà tous les jours, ni plus, ni moins.

L’utilisation de cette accélération de la réponse numérique que voudraient en faire les riches et les puissants de ce monde relève d’un tout autre débat.

Et là, une extrême vigilance est de mise.

Quentin Dickinson

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