Le 27 janvier prochain, la Pologne va commémorer sous l’égide de l’ONU le 80e anniversaire de la libération du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau où 1.100.000 juifs ont été assassinés, parce qu’ils étaient juifs.[1] Pour organiser ce génocide, le IIIe Reich n’a reculé devant aucune ignominie et s’est donné des moyens considérables. A Auschwitz comme à Ravensbrück, les geôliers nazis jetaient les cendres de leurs victimes brûlées dans des fours crématoires. Au moment où l’antisémitisme fait de nouveaux ravages dans le monde, y compris en Europe, il est bon de rappeler le fonctionnement de ce système concentrationnaire hors-norme développé par le IIIe Reich allemand.
Il faut saluer le travail de mémoire considérable a été effectué en Allemagne pour décrire le système concentrationnaire nazi. « Dans la culture mémorielle allemande, la commémoration des victimes des guerres, des régimes totalitaires et des crimes à caractère idéologique du XXe siècle joue un rôle central.»[1] Il en va de même pour la dictature du SED en RDA : la liste des lieux de mémoire et autres musées et imposante, mais le sujet est rarement abordé…
Internet, permet en tout cas à celui qui veut savoir de savoir, à condition bien sûr de le vouloir. De nombreux camps ont été transformés en musées pour « témoigner » durablement de cette folie meurtrière qui s’est emparée de l’Allemagne nazie pour que, « sur le sol allemand », pareille infamie ne se reproduise plus jamais. Pour cela les autorités allemandes ont œuvré pour « maintenir vivant le souvenir de l’Holocauste » et les initiatives originales ne manquent pas.[2]
par Joël-François Dumont — Berlin, le 17 janvier 2025 —
Sommaire
Les nazis, dès l’accession au pouvoir d’Adolf Hitler en 1933 ont établi un réseau de camps spécialisés reliés entre eux par voie ferrée. Les 2 premiers camps de concentration « modèle » ont été construits à Dachau et à Sachsenhausen. Les détenus, sous-alimentés et mal soignés ont d’abord du construire les baraquements, avant de s’attaquer aux routes pour faciliter en Pologne l’avancée des troupes allemandes vers la Russie, ou pour déblayer les gravats après les bombardements anglo-américains.
Entre 1933 et 1945, l’Allemagne nazie a méthodiquement mis en place plus de 44 000 camps et autres lieux d’incarcération, des « ghettos ». des prisons comme Plötzensee où en mars-avril 1945, on pendait jour et nuit.
La création des camps
Les premiers camps devaient servir à mettre hors circuit, en attendant de les éliminer, les opposants politiques déclarés à Hitler, imaginé comme un instrument de « rééducation » pour les Allemands rébarbatifs au nazisme. la première étape était la détention arbitraire au titre de la « détention préventive » (Schutzhaft).[3] justifiant par la suite toute sorte de persécutions. Parmi les premières lois votées en 1933, la « loi sur la prévention des maladies héréditaires »[4]

Très rapidement on a construit à partir de « camp modèle » comme Dachau près de Munich ou Sachsenhausen aux portes de Berlin, toutes sortes de camps, dont la responsabilité est très vitre passée du ministère de l‘Intérieur aux Waffen-SS.
On comptait 115.000 prisonniers dans les camps en 1941 contre 700.000 en 1944. Dès leur arrivée, les déportés étaient dépouillés de tout ce qu’ils avaient. Ils recevaient un numéro matricule pour leur faire oublier leur nom : tout était fait pour les déshumaniser. Sur les conditions d’hygiène et
Le deuxième objectif était d’imposer l’Allemagne nazie en terrorisant les populations des pays occupés.

Le troisième était de profiter de millions d’hommes et de femmes comme une main d’œuvre gratuite pour remplacer dans les usines comme dans les campagnes les hommes envoyés au front. Pour construire des camps, réparer ou agrandir des routes en Pologne pour faciliter l’acheminement des unités de la Wehrmacht en Russie (Opération Barbarossa).
Le dernier était de spécialiser des camps pour organiser des meurtres de masse. Les plus sinistres de ces Konzentrationslager (« KL »), étaient des camps d’extermination créés pour mettre en œuvre « la solution finale » décidée le 20 janvier 1942, en moins de deux heures, lors à la conférence de Wannsee pour exterminer 11 millions de juifs d’Europe.
Un système tentaculaire : 44.000 camps !
Ce système tentaculaire a été mis en œuvre dès l’accession au pouvoir d’Adolf Hitler, en 1933, avec la construction du premier camp « modèle » à Dachau.
Entre 1933 et 1945, l’Allemagne nazie et ses alliés ont mis en place plus de 44 000 camps et autres lieux d’incarcération, des « ghettos ». des prisons comme Plötzensee où en 1945, dans les derniers mois, on pendait jour et nuit. La conception même de cet univers concentrationnaire répondait à quatre objectifs.
Prétendre qu’en 1934, en Europe et aux États-Unis, on ne pouvait pas savoir ce qui se passait dans ces camps en Allemagne nazie est un mensonge qui n’honore pas tous ceux qui ont choisi de fermer les yeux. Occulter leur utilisation après 1945 jusqu’en 1950-1951 en est un autre.
- Les camps de concentration : y étaient détenus les civils qui, selon le régime, présentaient un certain risque. On dénombre 938 de ces camps et sous-camps.
- Les camps de travail forcé et les camps de transit : les premiers servaient à imposer des tâches inutiles et humiliantes à des prisonniers privés de matériel adéquat, de vêtements, de nourriture et de repos. Les seconds faisaient office de locaux temporaires pour les Juifs qui allaient être déportés. En général, ils constituaient leur dernière étape avant le centre de mise à mort. On compte 1830 camps de travail forcé et camps de transit.
- Les camps pour prisonniers de guerre : pour les détenus alliés et soviétiques. Ils étaient au nombre de 559, mais ce chiffre n’inclut pas les dizaines de milliers de sous-camps.
- Les centres de mise à mort : leur principale, parfois leur unique fonction étaient le meurtre de masse à la chaîne d’un vaste nombre de personnes, et ce dès leur arrivée sur le site. Il y avait cinq centres de mise à mort.
Il existait des dizaines de milliers de sites d’incarcération d’autres types, notamment des centres d’euthanasie, des camps de détention pour la police SS, et des centres de germanisation. Les premiers juifs gazés l’ont été dans des camions ! L’utilisation en Ukraine de cinq camions transformés crématorium mobiles l’armée russe lors de l’attaque de Marioupol, montre que les Russes dans ce domaine n’ont pas été en reste ![5]
Vinrent enfin :
- Les camps pour prisonniers de guerre : pour les détenus alliés et soviétiques. Ils étaient au nombre de 559, mais ce chiffre n’inclut pas les dizaines de milliers de sous-camps. Les soldats russes, en particulier, ont été victimes de sévices voire d’exécutions sommaires, de la part de leurs gardiens.

— Document © Bundesarchiv —
Libération et Dénazification
La plupart des camps et sous-camps ont été libérés par les armées américaines ou soviétiques entre mars et fin avril 1945. Certains camps libérés par les Alliés — mais aucun camp de concentration — ont été maintenus en activité pour garder « en détention automatique » des anciens nazis pendant que la dénazification était lancée par les Alliés avant d’être rapidement confiée à des commissions spécialisées allemandes dès l’hiver 1945.
Dès la fin de la guerre, « les Alliés révoquèrent de leurs postes les nazis et responsables actifs – tout particulièrement ceux de l’appareil policier, de la SS et de l’administration. Entre 1945 et 1950, les Alliés internèrent plus de 400.000 Allemands de façon préventive ».[3] Mais aucun prisonnier n’y est mort de faim, de mauvais traitement ou n’a été exécuté sommairement sans jugement. On ne peut pas en dire autant, côté soviétique.
Dix camps spéciaux sans parler des prisons du NKVD en RDA
Les Soviétiques, ont créé dix grands « camps spéciaux » dans leur zone d’occupation (SBZ) dans la partie orientale de l’Allemagne qui deviendra la RDA, en sélectionnant des camps emblématiques du génocide perpétré par les nazis, camps placés sous l’autorité du NKVD. Les camps spéciaux de Buchenwald, Sachsenhausen et Jamlitz ont été installés dans les anciens camps de concentration de Buchenwald, Sachsenhausen et Lieberose, que les forces d’occupation soviétiques ont continué à utiliser à partir d’août 1945 jusqu’en septembre 1948.[4] Ensuite, seuls les camps de Sachsenhausen, Buchenwald, et Bautzen ont été conservés jusqu’en 1950.


Dans la prison du NKVD puis de la STASI à Hohenschönhausen, la salle du supplice de la goutte d’eau — Archives © Joël-François Dumont —
Le camp spécial n° 7 (n° 1 depuis 1948) de Sachsenhausen était de loin le plus grand de ces camps, avec 60.000 détenus. Entre 1945 et 1950, 12.000 personnes y sont mortes de faim et de maladie. La réduction des rations déjà maigres a notamment entraîné une véritable hécatombe lors de « l’hiver de la faim » de 1946/47.
Plusieurs centaines de milliers de prisonniers politiques pour la grande majorité ont ainsi été incarcérés en RDA, sans jugement. 14.000 « détenus » se trouvaient encore dans les trois derniers camps en 1950.
Entre 1945 et 1950, 1.250.000 personnes sont mortes en Europe dans ces anciens camps de concentration nazis, en RDA mais aussi dans les pays voisins occupés par l’armée rouge.
Le comble est que les détenus des camps spéciaux n’ont pas pu être réhabilités en vertu de la loi susmentionnée, car ils n’avaient pas été condamnés…
Le 4 mai dernier à Sachsenhausen, lors de la cérémonie du 80e anniversaire de la libération du camp, deux gerbes et des bouquets de fleurs ont été déposés en mémoire des victimes de cette seconde période par les autorités communistes des « pays frères » sous le contrôle des forces soviétiques. Mais aucune mention de cette deuxième période concentrationnaire n’a été faite publiquement ou dans la presse, pas plus en Allemagne que dans les autres pays, même dans ceux qui n’avait pas, comme en France, un parti communiste fort. Les faits restent les faits.
Joël-François Dumont
[1] En 1996, le 27 janvier, date de la libération du camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau, a été déclaré « Journée de commémoration des victimes du national-socialisme » devenant une « composante importante de la culture allemande du souvenir » … « Dans la culture mémorielle allemande, la commémoration des victimes des guerres, des régimes totalitaires et des crimes à caractère idéologique du XXe siècle joue un rôle central. Tirer les leçons de son passé criminel est un principe fondateur de la République fédéral d’Allemagne, souvent résumé par la formule « Plus jamais ça ». Il est particulièrement important à cet égard de recueillir les récits des témoins de l’époque afin que les crimes nazis conservent une réalité tangible pour les générations futures. Dans toute l’Allemagne, de nombreux monuments et musées consacrés aux différents groupes de victimes contribuent à en perpétuer le souvenir. Parmi les plus importants figurent le Mémorial aux Juifs assassinés d’Europe et le Musée juif de Berlin.» Source : Ministère allemand des Affaires étrangères.
[2] On peut citer l’initiative à Berlin des « Stolpersteine », ces pavés de cuivre placés sur les trottoirs devant les maisons où résidaient des juifs déportés. Source : berlin.de
[3] « La « détention préventive » était l’un des instruments les plus efficaces mis en œuvre par le régime nazi pour museler contre ses opposants. Grâce à la « détention préventive », dont la base juridique formelle était le « décret sur l’incendie du Reichstag » du 28 février 1933, la police secrète d’État (Gestapo) s’est créé un espace d’arbitraire étatique affranchi de toute contrainte juridique. Les premières victimes de la « détention préventive » furent principalement des fonctionnaires du mouvement ouvrier et des Juifs, qui furent d’abord internés dans des camps de concentration « sauvages ». Fin juillet 1933, plus de 26.000 personnes étaient en « détention préventive » dans toute l’Allemagne.». Source : Lebendiges Museum Online.
« Avant même la capitulation de la Wehrmacht en 1945, les puissances victorieuses et alliées de la Seconde Guerre mondiale avaient conscience qu’il faudrait éradiquer les influences et empreintes nazies de la société allemande et « rééduquer » les Allemands à la démocratie. Abroger les lois nazies, éliminer les symboles de pouvoir de l’espace public, retirer les livres des bibliothèques, masquer les croix gammées sur les formulaires et changer les noms des rues était une tâche relativement aisée. Un problème bien plus considérable était de savoir comment agir avec les 8,5 millions de membres du parti nazi, le NSDAP, comme avec les nombreux autres millions de membres d’organisations nazies parmi les 70 millions d’Allemands au total, et comment les dénazifier. Source : Musée Allié de Berlin.
[4] « La « loi sur la prévention des maladies héréditaires » (GzVeN), adoptée le 14 juillet 1933, concernait les personnes handicapées, atteintes de maladies mentales ou d’infirmités diverses — l’alcoolisme étant considéré comme l’une d’elles. Ces maladies qualifiées d’héréditaires justifiaient les stérilisations forcées pour protéger le patrimoine génétique de la « race supérieure ». Jusqu’en 1945, environ 400.000 personnes ont été stérilisées de force. Elles ne pouvaient alors plus avoir d’enfants. Plusieurs milliers de personnes sont mortes lors des opérations. Inaptes au travail, ces personnes constituant « un fardeau » pour la société étaient comme considérées des « inutiles ». Les médecins des camps de la mort ont multiplié les expériences sans même endormir leurs patients pour perfectionner la race arienne !
Au total, il y avait dix camps spéciaux dans la zone d’occupation soviétique, situés aux endroits suivants : Mühlberg, Buchenwald, Berlin-Hohenschönhausen, Bautzen, Ketschendorf, Jamlitz, Sachsenhausen (Oranienburg), Weesow (Werneuchen), Torgau et Fünfeichen (Neubrandenburg). « Dans les territoires orientaux du Reich allemand, il existait toute une série d’autres camps spéciaux qui servaient à l’échange de prisonniers à grande échelle. À Bautzen, Sachsenhausen et Torgau, des lieux de détention pour les personnes condamnées par le Tribunal militaire soviétique (SMT) ont également été construits sur le même site ; cependant, les détenus des camps spéciaux représentaient ici aussi la grande majorité des personnes internées. Il existait en outre plusieurs prisons du NKVD, telles que la prison n° 5 Strelitz et la prison n° 6 Berlin-Lichtenberg.» Source : Wikipedia.
- Mü – Camp spécial n° 1 Mühlberg (septembre 1945 à octobre 1948)
- Bu – Camp spécial n° 2 Buchenwald / Weimar (août 1945 à février 1950)
- Ho – Camp spécial n° 3 Hohenschönhausen / Berlin (mai 1945 à octobre 1946)
- Ba – Camp spécial n° 4 Bautzen (mai 1945 à février 1950)
- Ke – Camp spécial n° 5 Ketschendorf / Fürstenwalde (avril 1945 à février 1947)
- Ja – Camp spécial n° 6 Jamlitz (septembre 1945 à avril 1947 ; auparavant à Francfort-sur-l’Oder)
- We – Camp spécial n° 7 Weesow / Werneuchen (mai 1945 à août 1945, puis transféré à Sachsenhausen)
- Sa – Camp spécial n° 7 Sachsenhausen / Oranienburg (août 1945 à mars 1950)
- To – Camp spécial n° 8 Torgau (Fort Zinna et caserne Seydlitz) (août 1945 à mars 1947)
- Fü – Camp spécial n° 9 Fünfeichen / Neubrandenburg (avril 1945 à octobre 1948)
- To – Camp spécial n° 10 de Torgau (Fort Zinna) (n° 8 : août 1945 à janvier 1947 ; n° 10 : mai 1946 à octobre 1948) ; le camp spécial n° 10 de Torgau a été créé à partir de la prison n° 7 du NKVD à Francfort-sur-l’Oder.
[5] Voir « L’armée russe utilise-t-elle des crématorium mobiles ?» — (2022-0227) —