L’histoire de la France contemporaine ne se limite pas à trois dates : le 14 juillet — jour de la fête nationale, le 11 novembre — jour où fut signé l’armistice de 1918 qui mit fin aux combats de la Première Guerre mondiale (1914-1918) — et le 8 mai 1945 — jour de la capitulation sans condition de l’Allemagne nazie — trois dates « inscrites dans le marbre ».
Trois jours qui ont en commun de rassembler les Français autour de leur armée pour honorer la mémoire de nos anciens tombés au champ d’honneur.
Trois jours célébrés aux côtés de nos plus fidèles alliés rejoints par la République fédérale d’Allemagne, qui a succédé à l’empire allemand, notre ennemi d’hier.
par Joël-François Dumont — Berlin, le 11 novembre 2023 —
Sommaire
Trois grandes célébrations organisées chaque année autour de l’Arc de triomphe — mais aussi à l‘étranger — par nos compatriotes expatriés autour des missions militaires françaises et alliées et de nos « associations patriotiques » qui gardent fidèlement cette mémoire.[1]
Trois « journées de mémoire et de recueillement » mais « aussi un moment privilégié pour témoigner à nos armées et tous ceux qui nous protègent notre reconnaissance pour leur engagement et notre soutien.»[2]
Nous avons quitté le temps de la mémoire pour entrer dans le temps de l’histoire
« Avec le temps et après la disparition du dernier poilu en 2008, Lazare Ponticelli, nombreux sont ceux qui ont eu peur que la mémoire ne s’efface. En fait, nous avons quitté le temps de la mémoire pour entrer dans le temps de l’histoire »…[2]
Général d’armée aérienne Jean-Paul Paloméros, ancien chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace. — Photo AA&E —
Le 11 novembre que nous célébrons revêt-il aujourd’hui encore la même signification que celui que nous avons célébré pour la première fois le 11 novembre 1922, lorsqu’une Loi en a fait un jour férié ? Assurément non : « autres temps autres mœurs ». Depuis que les derniers survivants de 14-18 nous ont quitté, nous ne pouvons malheureusement plus « mettre de visage » derrière ces héros d’une époque tragique, beaucoup d’entre eux appartenant à la génération de nos grands-pères. Mais ce serait oublier que cette Loi du 14 octobre 1922 se voulait non seulement un hommage national au 1.750.000 morts civils et militaires, à 4.000.000 millions d’anciens combattants démobilisés, parmi lesquels des centaines de milliers de blessés, — parmi lesquels « les gueules cassées » —, mais aussi une volonté de commémorer « la victoire et de la paix ».
Ce serait aussi oublier aussi que nos anciens nous ont légué en héritage notre liberté en écrivant quelques-unes des plus belles pages de notre histoire commune, des pages tragiques certes, avec leur sang. Comment oublier que plus d’un million et demi de nos compatriotes — de jeunes hommes pour la plupart — sur les 8 millions d’hommes appelés sous les drapeaux pour défendre la patrie ont été sacrifiés, sans parler de ceux qui ont connu « l’enfer de Verdun ». « Un jeune Français sur quatre a laissé sa vie dans cette première guerre du 20ème siècle.»[2]
Alors pour les jeunes générations qui ont connu près de 80 ans de paix, rappelons quelques points d’histoire pour mieux éclairer l’avenir, à un moment où la guerre fait rage à nos portes, une guerre qui a fait l’objet de plus de vingt d’ans de préparation et que tant d’entre nous ont refusé de voir venir…
Signature de l’armistice : la mémoire d’un jour
En signant un armistice, les belligérants s’engagent à suspendre provisoirement les hostilités jusqu’à la signature d’un Traité de paix à la suite duquel les soldats faits prisonniers seront rapatriés dans leurs pays respectifs. La France, pour sa part, comptait 500.000 prisonniers de guerre en Allemagne. Des prisonniers malades ont été rapatriés par la Suisse.
L’armistice n’est donc pas la paix, mais il est la première étape qui marque sur le terrain la fin des combats. Les malheureux qui tomberont en ce 11novembre 1918 seront déclarés officiellement morts le 10 !
L’armistice de 1918 a été signé à 5 heures 30 du matin à Rethondes dans le wagon-salon du train de commandement du Maréchal Foch, acheminé et aménagé à la hâte dans une clairière de la forêt de Compiègne, le lieu ayant été « choisi pour son isolement, afin de tenir éloignés les journalistes »…[3]
Côté allié : la France était représentée par le maréchal Foch, généralissime des armées alliées et par le général Weygand, la Grande-Bretagne par trois marins britanniques, les deux amiraux Rosslyn Wester Wemyss, 1er Lord de la Flotte et George Hope, ancien aide de camp du roi George V, 1er Lord adjoint et du Capitaine de vaisseau Jack Marriott. Assistant Mer du 1er Lord.
L’Allemagne en pleine tourmente, deux jours après l’abdication de l’empereur Guillaume II, désigne un civil pour conduire sa délégation : Matthias Erzberger, ministre d’État, accompagné du Comte Alfred von Oberndorff, diplomate, de l’amiral Ernst Vanselow et du général d’armée Detlef von Winterfeldt.
A gauche : Extrait des trente-quatre articles ratifié par les plénipotentiaires stipulant la « cessation des hostilités, sur terre et dans les airs, six heures après la signature de l’armistice ». Sur le champs de bataille, les clairons sonneront à 11h précises l’entrée en vigueur de l’armistice avec un cessez-le-feu immédiat. A droite, les signataires britanniques et français sortant du wagon. A droite, au premier plan de g. à d., l’amiral Hope, le général Weygand, l’amiral Wemyss, le maréchal Foch, le capitaine de vaisseau Marriott — Photos SHD —
Le premier hommage rendu aux victimes de la Première Guerre mondiale sera rendu discrètement, le soir même du 11 novembre 1918, avec l(observation d’une minute de silence dans la chapelle des Invalides, en présence du maréchal Foch. L’année suivante, la cérémonie prendra aura une dimension nationale. Le 11 novembre 1919, l’hommage de la Nation sera rendu solennellement à tous les anciens combattants qui obtiendront du Parlement que le 11 novembre soit déclaré fête nationale, ce que dira la Loi du 24 octobre 1922.
La journée du souvenir : Bleuet vs. Coquelicot
Le Bleuet de France, créé en 1920, est le symbole de la mémoire et de la solidarité envers les anciens combattants et victimes de guerre, les veuves et les orphelins. Il se porte sur le côté gauche, côté du cœur, le 8 mai et le 11 novembre. Sa couleur bleue est un clin d’œil aux « Poilus » qui portaient l’uniforme bleu horizon.
Les Britanniques lui ont préféré en 1921 le coquelicot (« red poppies »). Au mois de novembre on le trouve partout en Grande-Bretagne en prévision du Remembrance Day que l’on commémore dans toutes les villes et villages du royaume. « Deux minutes de silence, à la 11e heure du 11e jour du 11e mois ». On le porte sur le cœur. Il est assorti d’une devise :« Lest we forget », un hommage national à tous ceux qui sont morts ou qui ont combattu pour la Nation.
La Loi du 26 février 2012
La Loi du 28 février 2012 est venue modifier et compléter la Loi de 1922. Le 11 novembre, fête nationale, jour anniversaire de la signature de l’armistice de 1918 et de la « commémoration de la victoire et la paix » voit l’hommage national étendu désormais à « tous les morts de France » des conflits anciens et actuels, qu’ils soient civils ou militaires, une façon de rendre enfin un hommage mérité à tous ceux qui ont péri au cours d’opérations militaires extérieurs (OPEX) ou victimes du terrorisme.
Le 11 novembre est devenu en France l’équivalent du Memorial Day aux États-Unis [3] ou le Volkstrauertag en Allemagne.[4]
Le 11 novembre, jour de mémoire pour les expatriés
Il n’est pas un pays dans lequel nos missions militaires avec l’appui d’associations patriotiques ne célèbrent pas ces trois grandes dates de notre histoire. Dans certains pays, c’est le service minimum, vu la nature des relations bilatérales. Dans d’autres où l’on partage davantage la tradition du culte des morts pour la patrie, les cérémonies sont parfois très émouvantes.
Citons quelques exemples :
Le 11 novembre 2023 au Japon
A ma grande surprise, j’ai appris un jour par notre attaché de défense au Japon, le capitaine de vaisseau François Duhomez, que le cimetière français de Yokohama gagnait à être mieux connu. Au cimetière des étrangers, en effet, dans le quartier de Yamate, un monument commémore les militaires français et d’autres monuments les Alliés morts pendant la Première guerre mondiale. Les tombes sont parfaitement entretenues. Et le discours de Matthieu Séguéla délégué général du Souvenir Français au Japon, il y a trois ans, est un témoignage qui aurait gagné, lui aussi, à être plus largement diffusé.
Cette année, comme le veut la tradition, l’ambassadeur de France, Philippe Setton, a rappelé à Yokohama le sens de la commémoration de cette fête nationale, « l’occasion de nous souvenir de ce que fut la Grande guerre, de ce que fut l’unité de la Nation durant quatre années, et de ce qu’est le sacrifice de ceux qui donnèrent alors leurs vies pour que la France demeure et que la République perdure. C’est d’abord à ces combattants que nous rendons hommage aujourd’hui. Le fait qu’il n’existe plus aujourd’hui de vétéran de la Première Guerre mondiale ne retire rien à la valeur et à la résonnance de cette commémoration : la date du 11 novembre 1918 demeure profondément gravée dans la mémoire collective et nous en restons les héritiers.»
En Grande-Bretagne, au Canada, en Nouvelle-Zélande, en Australie, comme aux États-Unis ou en Belgique, le 11 novembre est honoré comme il se doit.
Le 11 novembre 2023 en Pologne
Si on devait prendre un autre exemple qui sort de l’ordinaire, je citerai la Pologne, où il existe plus de 60 lieux mémoriels français, le plus connu étant le cimetière militaire de Gdańsk avec le regroupement de 1359 Français dont 832 identifiés. La majorité sont morts lors de la Seconde Guerre mondiale. C’est sans aucun doute le plus important cimetière militaire français à l’étranger.
La gardienne de cette mémoire est une femme d’exception, Grazyna Matkowska, délégué générale du Souvenir Français pour la Pologne. Une femme mais aussi une voix, celle d’Édith Piaf !
Le lendemain, notre ambassadeur en Pologne a présidé la cérémonie commémorative de l’Armistice au cimetière militaire de Powązki à Varsovie en présence des autorités civiles et militaires polonaises et d’une communauté française venue en nombre. En Pologne, le souvenir Français et l’Union des Français de l’Étranger sont très implantés dans un pays où la France n’a jamais été indifférente.
Le 11 novembre en Finlande
De loin, c’est la cérémonie la plus simple que l’on puisse imaginer mais, assurément, l’une des plus émouvantes. La tombe qui réunit chaque année nos représentants officiels en Finlande pour commémorer à Helsinki ces trois jours de mémoire est celle d’un soldat qui n’est pas – ou plus – un inconnu. C’est celle du quartier-maitre Kerdraon, commis aux vivres à bord du contre-torpilleur Intrépide, neuvième du nom, décédé le 23 mai 1919 dans le port d’Helsinki, alors qu’il n’avait que 19 ans et qui sera enterré en sol finlandais.
Dans ce cimetière orthodoxe d’Hietaniemi à Helsinki où les tombes mal – ou pas – entretenues sont vite remplacées, c’est tout d’abord un commandant de la marine impériale russe qui avait fuit Saint-Petersbourg en octobre 1917 avec sa famille qui l’a entretenue jusqu’à ce qu’il passe le relai à un ami marin français, lequel, comme le dit un ancien Pompon rouge a fleuri cette tombe comme celle d’un parent : on appelle cela un frère d’armes chez les militaires. En 1977 la délégation du Souvenir Français prend le relai pour ne plus le quitter. « Cette tombe est devenue notre monument aux morts, pour nous Français » comme l’a rappelé le LCL jean-Luc Lopez, notre attaché de Défense en Finlande en 2016.
En ce 11 novembre, l’ambassadrice de France, Agnès Cukierman et la LCL Claire Bertaux, attachée de Défense, ont déposé une gerbe sur la tombe du quartier-maitre Kerdraon en présence de Claude Antilla, déléguée générale du Souvenir français en Finlande.
On ne sait pas qui remercier dans cette histoire pour nous permettre de la conter aujourd’hui, mais elle nous a permis de découvrir pour quelle raison ce marin breton de L’Intrépide — difficile de trouver mieux — était parti naviguer dans cette Baltique lointaine dans laquelle notre Royale ne s’était que trop rarement aventurée…
En lisant les archives de Cols Bleus et les discours de nos derniers attachés militaires en poste en Finlande, qui tout en étant aviateurs ont le pied marin, on confirme que « longtemps, la France s’est désintéressée de la Baltique, mer lointaine et périphérique. Or, en décembre 1918, après une longue absence de la marine de guerre française , Georges Clemenceau, président du Conseil, et Georges Leygues, ministre de la Marine, décident l’envoi d’une mission navale chargée de défendre les intérêts nationaux dans la zone… Quand s’ouvre la conférence de la Paix en janvier 1919, son statut de vainqueur oblige la France à intervenir en Baltique. Il revient à la Marine d’y assurer, aux côtés de la Royal Navy, l’exécution des clauses navales de l’armistice… De surcroît, le bouleversement de l’équilibre géopolitique régional (redécoupage territorial, naissance de nouveaux États et guerre civile en Russie) y rend souhaitable la présence française… »[5]
Propos complétés par le regard d’un historien, Philippe Lasterle, qui précise : « A l’exception des négociants qui la fréquentent depuis l’époque de la Hanse, les cercles militaires et diplomatiques méconnaissent la Baltique. Malgré l’activisme d’un lobby balte dirigé par Jean Pelissier et relayé par les milieux universitaires baltophiles parisiens (E. Denis, H. Hauser, C. Seignobos), Paris décide en conséquence l’envoi sur place, en mai 1919, de quatre missions militaires. Les lieutenants-colonels du Parquet, Hurstel , Reboul et Gendre prennent la tête des missions dépêchées respectivement à Riga (Lettonie), Reval (Estonie), Kovno (Lituanie) et Helsinki (Finlande), afin d’aider les gouvernements ententophiles à constituer des armées nationales.»
Le quartier-maître Kerdraon a repris du service « pour le meilleur ». Il nous permet de nous retrouver, chaque année, avec nos amis finlandais et britanniques qui eux, ont toujours gardé l’œil rivé sur la Baltique… Sans oublier les enfants de l’école Jules Verne d’Helsinki qui honorent sa mémoire fidèlement en lisant des poèmes écrits son intention en attendant, plus tard, de transmettre à leur tour cette émouvante page d’histoire aux « générations futures ». — Photo Ambassade de France, Helsinki —
Le 11 novembre en Estonie
D’Helsinki à Tallinn, par le ferry il faut 40 minutes, mais par la pensée, on y est tout de suite. Depuis qu’ils ont — enfin — pu recouvrer leur indépendance, les Estoniens n’arrêtent pas de savourer leurs retrouvailles avec la grande famille européenne dont ils avaient été arbitrairement séparés si durement.
Les Estoniens n’ont pas mis longtemps à se faire apprécier pour leurs qualités, au nombre desquelles, un sens aigü de l’hospitalité au service d’une volonté farouche de demeurer libres. Il n’y a pas qu’à Riga, en Lettonie voisine, pour trouver de grands musées baltes pour raconter le calvaire que ces pays de l’Europe du Nord ont pu connaître sous le joug de Moscou. Une dictature soviétique omniprésente, meurtres, déportations massives au Goulag…
Ce pays a été le premier à se tourner vers les Européens pour demander leur assistance de leurs armées de l’Air, ce qui fait que celles-ci exercent à tour de rôle la police dans les airs pour faire respecter des frontières qui ont peu de signification pour des voisins connus pour ne pas s’embarrasser de scrupules. La France est aussi présente avec son armée de Terre, c’est ainsi qu’un détachement français était présent dans l’ambassade pour célébrer ce 11 novembre en présence de nos amis estoniens et de nos alliés traditionnels.
Cette cérémonie du 11 novembre a été présidée dans l’enceinte de l’ambassade de France en Estonie par notre ambassadeur, Emmanuel Mignot, entouré de nombreuse personnalités civiles et militaires.
Le 11 novembre en Lituanie
En Lituanie, ce 105e anniversaire de l’Armistice de 1918 a été célébré dans le carré militaire français du cimetière d’Antakalnis à Vilnius, en présence de la communauté diplomatique et militaire.
La cérémonie était présidée par Madame Alix Everard, ambassadrice de France, entourée par les membres de la mission militaire française, des représentants de la communauté française vivant en Lituanie et un groupe d’élèves du Lycée français.
Le vice-ministre de la Défense nationale lituanienne, Mme Greta Monika Tučkutė, a pris la parole à son tour, représentant le gouvernement lituanien, un partenaire très proche de la France, qui partage la même volonté d’aider les Ukrainiens à recouvrer leur indépendance.
Pays meurtri et occupé, la Lituanie a d’abord été envahie par les troupes allemandes en 1915. Bien que son territoire fut occupé militairement, le Conseil de Lituanie signera sa déclaration d’indépendance le 16 février 1918 et proclamera celle-ci le 2 novembre. Fin décembre 1918 elle sera envahie par l’Armée rouge…
La Lituanie sera la première des républiques socialistes soviétiques à proclamer son indépendance le 11 mars 1990. Moscou décide d’un blocus avant de déployer ses troupes. La population, bien que désarmée, entre en Résistance. 17 personnes seront tuées. Le nouveau président, Vytautas Landsbergis, tiendra bon : la Russie finira reconnaître cette indépendance en février 1991 !
Depuis la Lituanie a rejoint la famille européenne, l’UE et l’OTAN. Aussi farouche que leurs voisins baltes, les Lituaniens savent à quoi s’en tenir sur les visées impérialistes de Moscou, d’où leur volonté réaffirmée de jouer un rôle plus actif dans la défense de Europe.
Le 11 novembre en Allemagne
La seule fête que les Allemands commémorent le 11 novembre, c’est la Saint-Martin, ancien évêque de Tours, mis au tombeau le 11 novembre 397. Les Catholiques principalement, les Protestants respectant d’avantage la tradition du rôti d’oie avec du choux rouge et du fenouil comme pour Noël… Ce jour-là, les enfants forment des cortèges portant des lanternes ou des lampions en entonnant des chants en l’honneur de Saint-Martin le Miséricordieux (Martinslieder).
Les Allemands n’ont aucune raison de célébrer l’Armistice de 1918
Pas plus que les Français ne célèbrent Mai 1940…
Si pour les Alliés d’hier, l’armistice de 1918 est vécu comme une victoire, outre-Rhin il symbolise au contraire une lourde défaite. Deux millions de morts, une armée, colonne vertébrale d’un État militarisé, décimée après avoir connu dans les tranchées l’enfer de Verdun. Depuis que la défaite semble inéluctable, l’empire commence à vaciller et à s’installer chaque jour davantage dans une instabilité qui menace le pouvoir en place.
L’histoire a jugé plus sévèrement Guillaume II qu’Hindenburg et Ludendorff qui, pourtant, ont porté une très lourde responsabilité dans la conduite de cette guerre dévastatrice pour l’Europe.
Le 19 septembre 1918, Hindenburg cherche à négocier un armistice. La multiplication des mutineries dès l’automne 1918, après l’échec de la grande offensive d’été seront suivies de l’instauration de conseils ouvriers (Arbeiter und Soldatenräte) dans les grandes villes du pays. La révolution spartakiste gronde. Tous les indicateurs sont au rouge. Face à cette situation intérieure préoccupante, comment reprendre la main ?
Guillaume II, troisième et dernier empereur d’Allemagne et neuvième roi de Prusse, commandant en chef des armées, entend pour sa part « mâter » ces révoltes. Mais la vérité est qu’il n’exerce plus, depuis 1916, la réalité du pouvoir. Celui-ci a glissé — lentement mais sûrement — d’une monarchie à une dictature militaire, exercée par Hindenburg et Ludendorff. On reproche à l’empereur ses foucades, ses maladresses, son attitude intransigeante dans la crise de juillet 1914.
Depuis 1916, le maréchal Paul Hindenburg, vainqueur de la bataille de Tannenberg et chef du Grand État-Major de l’Armée impériale allemande — véritable mythe pour les Allemands — est devenu le chef d’une dictature militaire qui ne dit pas son nom, pouvoir qu’il partage avec Erich Ludendorff, son bras droit. Ils exigent le 8 novembre l’abdication de Guillaume II, lequel s’y oppose jusqu’à ce qu’elle soit annoncée par le chancelier Maximilien de Bade. Le 9, Guillaume II n’aura d’autre choix que d’abdiquer.
Les Alliés, les Britanniques en tête, considérant que Guillaume II portait la responsabilité de ce conflit mondial, entendaient le juger. Pensant à la fin tragique de son cousin russe, le Tsar Nicolas II en juillet 1918, Guillaume II, au lieu de rentrer à Berlin, préfère se réfugier aux Pays-Bas, pays neutre, qui refusera la demande d’extradition présentée le 23 janvier 1920. La reine des Pays-Bas accueillera sur son sol également les principaux sujets belges germanophiles de 1914-1918, les plus notoires étant condamnés à mort par contumace. Pour autant Guillaume II ne sera lamais reçu à la cour.
Le 11 novembre 2023 en Allemagne
Les troupes françaises et alliés d’occupation à Berlin, dés leur installation dans l’ancienne capitale du Reich, célébreront, ensemble, les 8 mai, 14 juillet et le 11 novembre et les autres fêtes nationales alliées.
Après la réunification, les Alliés ont remis aux autorités fédérales les casernes, logements et toutes les facilités mises à leur disposition à Berlin qu’avaient financées Bonn. Lorsque les Français ont transféré à la Bundeswehr leur ancien Quartier Napoléon, siège des Forces Françaises de Berlin, le petit monument érigé dans l’enceinte du Quartier sur l’initiative du colonel Bertrand Pflimlin a été disposé devant la nouvelle caserne Julius-Leber.
Il y a quelques années, le général Nicolas Richoux, attaché de défense français en Allemagne, qui s’était beaucoup investi dans l’amélioration de la relation bilatérale a obtenu l’envoi de l’AMX-30 « Reinickendorf » qui avait été en service à Berlin au 11e RC.
Le général Henne, commandant les forces dans Berlin, puis son successeur le général Uchtmann ont nommé la place qui fait face à leur état-major « Place franco-allemande », ont fait réinstaller sur son socle le monument à la mémoire de tous les Français morts pour la Liberté de Berlin.
C’est là que se déroule avec les honneurs militaires rends par le régiment de la Garde nos trois grands rendez-vous mémoriels annuels, en présence de tous les attachés militaires alliés à l’exception de l’attaché de défense russe à Berlin,..
Cette année l’ambassadeur de France en Allemagne, François Delattre a présidé cette cérémonie avec le général de brigade Franz Chapuis qui a pris ses fonctions cet été.
En Allemagne, le « jour du souvenir » (Nationaler Trauer Tag) a été créé en 1919 pour honorer la mémoire des victimes de la Première Guerre mondiale et faire preuve de solidarité envers les survivants. La tradition veut que le Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge, fondé en 1919 à cet effet, organise cette journée nationale de commémoration, après diverses cérémonies, dans des lieux de mémoire emblématiques de Berlin. Le Wachbataillon et l’un des grands orchestres de la Bundeswehr encadrent ces manifestations.
Cette journée nationale se déroule toujours deux dimanches avant le premier dimanche de l’Avent. Après la Deuxième Guerre mondiale, cette commémoration s’est étendue aux victimes de la tyrannie.
Véritable institution mémorielle en Allemagne, le Volksbund est le pendant allemand du Souvenir Français, qui est, en France, la plus ancienne association patriotique française représentée dans de très nombreux pays du monde. La première a été fondée en 1927, près la guerre franco-allemande de 1870, pour donner des sépultures dignes aux soldats morts à l’étranger pour la France et les entretenir.[6]
Les attachés de défense alliés sont toujours côte à côte lors de ces grandes commémorations. Au-delà du témoignage d’estime et de respect pour des frères d’armes alliés qui se sont sacrifiés ensemble pour défendre nos systèmes démocratiques, c’est un moyen d’afficher notre solidarité face aux menaces actuelles.
Autres fidèles de ces manifestations, citons les associations d’anciens légionnaires ou militaires regroupés dans Rhin et Danube ou l’Union Nationale des Combattants, sans oublier les associations de réservistes, parmi lesquels des anciens des FFB, au premier rang desquelles la section « France » (RK05) de l’association des réservistes de la Bundeswehr.
Last, but not least, l’Union des Français de l’Étranger, association crée en 1926 pour venir en aide à nos compatriotes dans le besoin au-delà de nos frontières est connue à Berlin pour son dynamisme, comme c’est aussi le cas dans de nombreuses capitales ou grandes villes du monde. En 1936, Léon Blum reconnaîtra l’UFE d’utilité publique, consacrant ainsi une de ces « associations patriotiques », pour les actions qu’elle mène au profit de nos expatriés dans le besoin.
Ces associations qui n’ont rien de politique font partie de ces « gardiennes » de notre mémoire collective et au delà, comme des outils de rapprochement avec le pays d’accueil et ses institutions.
Les prises d’armes constituent des occasions pour distinguer civils et militaires. Parmi les personnes décorées en 2023 par le général Chapuis, le général de brigade Karl Uchtmann, commandant le « Landeskommando Berlin.»
La tradition enfin de voir des jeunes des écoles venir chanter les hymnes nationaux est désormais bien ancrée un peu partout. A Berlin, c’est l’école Voltaire qui est à l’honneur, qui regroupe des jeunes polyglottes de grande qualité.
La participation de ces jeunes est également respectée dans de nombreux pays: en Pologne, en Espagne, au Portugal ou au Japon pour ne citer que ces pays.
Le 11 novembre, jour de mémoire, voit donc les traditions respectées à Berlin comme pratiquement partout dans le monde.
En Algérie, la réaction d’Echourok en ce 11 novembre 2023 prouve que l’histoire n’avance pas partout au même pas… « Sans égard au passé colonial français en Algérie et ses conséquences sur les relations bilatérales plus de soixante ans après l’indépendance, l’ambassade de France en Algérie a célébré « la mémoire de tous ceux qui, quelle que soit leur nationalité, sont tombés pour la France ». L’ambassade de France fait ici l’éloge des harkis qu’elle appelle « Goumiers », mais aussi des « Tirailleurs » et des « Zouaves », des mots, qui pour la mémoire collective des Algériens, font remonter le souvenir d’un passé douloureux, d’atrocités, de génocides, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. L’ambassade de France honore ceux qui ont trahi les leurs pour la défendre.» Fin de citation.
Le 11 novembre, jour de mémoire et de paix, est enfin un rendez-vous rare, celui où la politique s’efface, le temps d’une célébration d’un bien commun partagé: la liberté, un bien fragile qui doit être défendu ! Comment ne pas partager cette pensée sans rappeler utilement ce conseil énoncé à Berlin lors du 100e anniversaire du 11 novembre par le général Nicolas Richoux : « Si vous ne vous intéressez pas à la guerre, elle, s’intéressera à vous ».
Joël-François Dumont
[1] Voir : « Seule l’histoire permet de comprendre le présent et de préparer l’avenir » in European-Security — (2018-1111) —
[2] Voir « 11 novembre 1918 – 11 novembre 2018 ─ La mémoire et la reconnaissance » par le GAA Jean-Paul Paloméros — (2018-1111) —
[3] Le Memorial Day est un jour de congé officiel aux États-Unis qui est célébré chaque année le dernier lundi du mois de mai pour rendre l’hommage de la Nation aux membres des Forces armées des États-Unis morts au combat toutes guerres confondues. A ne as confondre ce jour avec le Veterans Day qui rend hommage aux anciens combattants.
[4] En Allemagne, le Jour de deuil national (Volkstrauertag) fait désormais partie des « fêtes silencieuses ». Depuis 1922, cette fête organisée deux dimanches avant le premier dimanche de l’Avent, commémore « les victimes des guerres et de la violence ». Le jour du Souvenir, une heure de commémoration a traditionnellement lieu au Bundestag. Le président fédéral, le chancelier fédéral, le cabinet et le corps diplomatique participent à l’heure du souvenir. Souvent, le président fédéral prononce un hommage officiel aux morts en se référant aux thèmes et aux développements actuels. Le 19 novembre 2023, c’est la princesse héritière Victoria de Suède qui prononcera le discours commémoratif lors de la cérémonie centrale du Jour du Souvenir au Bundestag. (Source Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge).
[5] Site du Souvenir Français en Finlande — (2013-0429) —
[6] Voir « Le Souvenir français, gardien de notre mémoire » — (2022-0111) —