Délibérer est le fait de plusieurs… Agir est le fait d’un seul (De Gaulle)

En relisant les mémoires du général de Gaulle et de Winston Churchill, les deux derniers géants de ce siècle pour les Européens, en réécoutant leurs discours, comment ne pas se dire que l’Europe a perdu de grandes occasions de rester la première puissance du monde…

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Des décisions sages, prises « au bon endroit et au bon moment », nous auraient épargné certainement des guerres, souvent des défaites cinglantes, et surtout de rares humiliations comme celles de 1870 ou de 1940 que l’on traîne derrière soi pendant longtemps et qui peuvent transformer un État voisin en ennemi séculaire.

Depuis deux siècles, une même question se pose en France — mais pas seulement — Pourquoi avons-nous des politiques qui ont toujours « une guerre de retard » et « en même temps », pourquoi nos militaires ont-ils pour obligation d’avoir toujours « une guerre d’avance » ?

Sans oublier de nous demander pourquoi l’opinion publique donne si souvent la priorité à des débats futiles au regard des enjeux, particulièrement au moment où les bruits de botte se font entendre aux frontières.

Timbre à l’effigie de Winston Churchill

De quoi éclairer la guerre que mène la Russie en Ukraine en nous posant une autre vraie question sur les qualités qu’on est en droit d’attendre d’un chef de l’État pour faire face à des satrapes criminels que l’on aurait pu stopper avant qu’ils ne déclenchent des guerres infernales. Les Tchèques sont aujourd’hui face à ce choix crucial.

Ils voteront demain pour choisir leur président de la République, en désignant soit un ancien chef d’état-major des armées, qui a occupé de hautes fonctions à l’OTAN, considéré comme un héros par les Français, soit un indic pour ne pas dire plus de la tristement célèbre StB qui a fait fortune en politique, grâce à cette police politique de sinistre renommée, dont d’anciens membres se sont reconvertis en mafia pro-russe. Voilà le candidat qu’Emmanuel Macron a invité à l’Élysée trois jours avant le premier tour ? [1] C’est à se demander qui le conseille !

Timbre à l’effigie du général de Gaulle

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par Joël-François Dumont — 24 janvier 2023 —

Règle n°1 : Ne jamais tourner le dos à un danger pour tenter de le fuir

Méditons cette première citation de Winston Churchill: « On ne devrait jamais tourner le dos à un danger pour tenter de le fuir. Si vous le faites, vous le multiplierez par deux. Mais si vous l’affrontez rapidement et sans vous dérober, vous le réduirez de moitié.»

Des précédents fâcheux : 1805, 1815, 1870, 1914, 1940, 2022

1805 — A Austerlitz, trois souverains se retrouvent sur le champ de bataille, d’où le surnom de « bataille des Trois Empereurs ». Une guerre terrestre financée par l’Angleterre qui, en octobre 1805, avait remporté à Trafalgar la guerre sur mer et dont les deux contingents de soldats n’ont pas eu à affronter directement la Grande Armée à Austerlitz.

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Monument de la paix à Austerlitz : — Photo © Joël-François Dumont

La victoire des « grognards de la Grande Armée » de Napoléon 1er à Austerlitz, le 2 décembre 1805, restera au delà d’un grand succès militaire comme un fait d’arme exceptionnel : en un jour, les armées de deux empires, supérieures en nombre, vont être laminées par une armée motivée et organisée, avec à sa tête un stratège exceptionnel, Napoléon 1er. Une guerre encore considérée comme un « chef d’œuvre tactique », au point d’être enseignée dans toutes les académies militaires du monde.[2] Napoléon a choisi le lieu, la colline de Žuráň, où il voulait combattre l’ennemi en lui imposant son plan pour le battre à plate couture, une façon de compenser l’infériorité numérique des Français. Chaque année, le 2 décembre, des milliers de figurants en costumes d’époque évoquent cette grande victoire française, Á Slavkov u Brna (Austerlitz) en l’absence de Français à part ceux qui sont résidents en République tchèque.

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Monument de Josef Fanta élevé entre 1909 et 1912 — Photo © Joël-François Dumont

Après Austerlitz, Napoléon ne perd pas de temps. Il met un terme aux hostilités et manifeste sa mansuétude auprès des Autrichiens et des Russes. Le risque de voir arriver des renforts autrichiens et la Prusse rejoindre la coalition : Frédéric-Guillaume avait juré à Potsdam d’entrer en guerre contre la France avant le 15 décembre, jour choisi par son ministre des Affaires étrangères, Christian August Heinrich Curt von Haugwitz, pour signer un traité d’alliance avec la France envisageant de déclarer la guerre à l’Angleterre en échange de la cession du Hanovre…

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Table d’orientation au tertre de Žuráň, PC de Napoléon, fait toujours partie du territoire français

Avec le Comte de Montgelas,[3] Napoléon décide dans la foulée d’organiser le couronnement du Roi de Bavière le 1er janvier 1806 et de précipiter la réorganisation des provinces allemandes sous protectorat français. Une réorganisation qui suscite les foudres du Roi de Prusse, Frédéric-Guillaume III. 

Règle n°2 : Ne jamais humilier un adversaire pour ne pas s’en faire un ennemi

1806 — Cette fois, la coupe est pleine, c’en est trop pour les Prussiens : le roi de Prusse transmet à la France, le 1er octobre 1806 (Napoléon n’en aura connaissance que le 7), un ultimatum lui enjoignant de retirer ses troupes de la rive droite du Rhin. Napoléon qui est à Bamberg, en Bavière, répond en ouvrant les hostilités le 8. Les Prussiens commandés par le général de Hohenlohe et le Duc de Brunswick vont se retrouver face à face avec une Grande Armée en parfait ordre de marche, alors qu’en France les finances sont au plus bas. « Le 10 octobre, à Saalfeld, un premier engagement voit la victoire de Jean Lannes face à l’avant-garde prussienne commandée par le prince Louis-Ferdinand de Prusse, qui trouve la mort  sur le champ de bataille.»[] Quatre jours plus tard se produit l’affrontement. Le 3e corps d’armée de Davout détruit celui de Brunswick et, par la même, l’armée prussienne « sur le sol allemand ».

Les suites de la bataille d’Iéna ne pouvant être dissociées de celles de la bataille d’Auerstedt, qui a lieu le même jour, le 14 octobre 1806, seront désastreuses pour Berlin. « Ces deux défaites combinées provoquant le découragement total de ce qui reste de troupes prussiennes[4]

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Entrée de Napoléon à Berlin par Richard Knötel (1857-1914) — Source: Université de Braunschweig

Le 27 octobre suivant, trois semaines après le début de la campagne, Napoléon entre à Berlin. Le 28, Hohenlohe et les rescapés de son armée se rendent au maréchal Murat. Le 7 novembre, la capitulation de Blücher offre Lübeck aux Français. Le lendemain, Ney obtient celle de la garnison de Magdebourg (qui n’évacuera la ville que le 11), récupérant 20 000 prisonniers et plusieurs centaines de canons. Un armistice est signé le 30 novembre, mais un armistice ne met pas fin à la guerre, il suspend les hostilités. Le roi Frédéric-Guillaume III, dont le salut dépend de l’intervention des Russes, en constatant leur défaite comprend que la cause est perdue. Il perdra la moitié de son territoire, plus de 5 millions d’habitants et la quasi totalité de ses places fortes, assortie du paiement d’une indemnité de 120 millions de francs, somme colossale pour l’époque. Toutes conditions qu’il se verra forcé d’accepter par le traité de Tilsitt, le 9 juillet 1807.

Pire que défaite, la Prusse est humiliée

A plus long terme, le choc de cette terrible défaite sera l’une des causes de l’unification allemande. L’humiliation ressentie déclenchant à la fois une vague de nationalisme allemand, un sentiment anti-français le tout favorisant un rapprochement avec la Russie avec la prise de conscience d’une urgente nécessité: unifier et réformer le pays pour éviter une nouvelle défaite qui aura des répercussions considérables. En Prusse, la reine Louise en mourra de chagrin !

Côté français, si l’on avait épargné cette humiliation à la Prusse, celle-ci n’aurait sans doute pas rêvé que de revanche avec la France. Celle-ci viendra plus vite qu’on ne le pense.

Règle n°3 : Ne jamais partir en guerre sans imaginer une sortie de guerre honorable

La Prusse mettra du temps pour se venger. Mais sa vengeance sera terrible. En France, personne n’a voulu le voir ni même y penser.

Victoires, défaites et humiliations

En 1812, la Russie ne respectant pas les clauses du Traité de Tilsitt, Napoléon lance la campagne de Russie. Le 17 août 1812, il s’empare de Smolensk que les Russes ont incendiée comme ils ont incendié Moscou. Le 7 septembre, à la bataille de la Moskova à Borodino, l’affrontement avec Koutouzov ne sera qu’un épisode de plus, en attendant la Bérézina (Biélorusie), les 27 et 28 novembre. Un nom qui restera comme une profonde blessure dans l’imaginaire français, après « un désastre national au cours duquel la neige a enseveli les rêves de conquête de Napoléon ».

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Napoléon traversant la Bérézina — Huile sur toile de Janvier Suchodolski (Musée national de Poznań)

Un mot passé dans le langage courant comme synonyme d’échec cuisant, en dépit de la victoire de l’armée française remportée lors de cette bataille et du sauvetage héroïque des grognards par 400 pontonniers volontaires du Jean-Baptiste Éblé, général du génie, (trois survivront)[5] qui, dans l’eau glacée de la Bérézina, une rivière marécageuse (la Raspoutiza)[6] bâtiront deux ponts de 90 mètres de long et 5 de largeur…

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Traversée de la Bérézina. par Lawrence Alma-Tadema — Musée d’Amsterdam 

Des 450.000 hommes qui avaient franchi le Niémen, 100.000 hommes de la Grande Armée entrent à Moscou, en flammes. Le chemin du retour sera une des pires retraites de notre histoire militaire, un « calvaire » pour nos soldats ! 50.000 hommes et femmes resteront en Russie, des milliers se noieront dans la glace. Un désastre qui va altérer l’image de l’empereur en France.

Malgré cette campagne désastreuse, Napoléon repart en campagne, pour affronter en 1813 l’Europe coalisée : Lützen (2 mai 1813), Bautzen 20-21 mai), Dresde (26-27 août), des victoires alternant avec un revers cuisant à Leipzig lors de la bataille des Nations (18-19 octobre), avant une nouvelle victoire à Hanau (30 octobre).

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Annonce de la victoire contre la France à Leipzig — Peinture de Johann Peter Krafft

Le 31 mars 1814, après la difficile campagne de France, Paris tombe entre les mains des Russes et des Prussiens. Napoléon est alors contraint d’abdiquer par le Sénat le 3 avril 1814 et de s’exiler pendant 300 jours à l’île d’Elbe, mais c’est mal connaître napoléon qui reste bien décidé à en découdre. Profitant de l’absence de son geôlier, le colonel Sir Neil Campbell parti honorer sa maîtresse à Libourne, Napoléon s’évade et regagne la France. Le 25 février, l’aigle est de retour avec 1000 hommes qui lui sont resté fidèles, parmi lesquels un régiment de lanciers polonais. Toujours avec la même obsession, remporter sa revanche.

Malade, l’empereur n’est plus physiquement l’homme qu’il était. Il ne peut même plus monter à cheval, sans l’aide de son fidèle écuyer. Napoléon regagne Paris et instaure avec ses partisans un régime constitutionnel, le 21 mars 1815, après la désertion de Louis XVIII.

Une nouvelle fois, Napoléon se remet en campagne, une campagne qui lui sera fatale.

Sur le terrain, l’Armée du Nord constituée par Napoléon n’est qu’une pâle copie de la Grande Armée. Elle va devoir faire face à la puissante armée des Alliés, une coalition dirigée par le duc de Wellington, composée de Britanniques, d’Allemands (contingents du Hanovre, du Brunswick, du Nassau) et de Néerlandais (unités belges et hollandaises), rejointe par l’armée prussienne commandée par le maréchal Blücher. L’affrontement se produit le 18 juin 1815 à 20 kilomètres au sud de Bruxelles sur la plaine de Waterloo, dans l’actuelle province du Brabant wallon, par un désastre militaire et une nouvelle humiliation de la France. Waterloo, morne plaine mais surtout « mère de toutes les batailles perdues ». A l’issue de cette bataille, déclaré hors la loi, il est donc exilé — définitivement — sur l’île de Sainte-Hélène, militairement surveillé par les Britanniques. Jusqu’à sa mort, le 5 mai 1821, Napoléon se consacrera à ses mémoires et apprendra l’anglais !

On pourrait croire que ces leçons auraient servi. Et bien non…

En 1870, la France est de nouveau en guerre contre l’Allemagne dirigée par un chancelier qui a été ambassadeur à Paris, Otto von Bismarck. Une Allemagne qui a attendu plus de 50 ans ce moment, pour laver l’humiliation d’Auerstedt. Une Allemagne qui s’est unifiée pour devenir le Reich allemand, dirigé par la Prusse, qui rassemblera toutes les forces allemandes, y compris la Bavière, avec la Russie. Et à Paris, le pouvoir ne doute de rien : « on n’en fera qu’une bouchée !»

1870 — Il n’y a qu’à regarder la presse française de 1868 à 1870. Elle non plus n’a « rien vu venir » tellement elle était occupée à relayer les débats de l’époque.

Ce sera une défaite cuisante, l’occupation de Paris par les Prussiens et les Russes, et l’Alsace-Lorraine sera rattachée au Reich allemand.

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Napoléon III remettant son épée à Guillaume Ier, au château de Bellevue — Bibliothèque du Congrès, Washington

En 1870, à Sedan, Bismarck est venu rappeler à Sedan : « il y a eu Sedan parce qu’il y a eu Auerstedt ». Hitler s’est rendu spécialement à Sedan en 1940 pour répéter cette même phrase !

Les militaires qui avaient créé en 1870 un embryon d’unité de renseignement qui avait « alerté » le pouvoir en place se sont vus récompenser. On dotera la défense en 1872 d’une cellule spécialisée sans même utiliser le terme de renseignement. Une démarche de pure forme: trois ans plus tard, elle sera dissoute !

Règle N°4 : « Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre » (Winston Churchill)

« Belote en 1914 » !

Entre la Prusse et la France, l’état de guerre est latent. L’unité allemande s’est faite contre la France. En 1870, l’affrontement semble inévitable. Alors que les chefs militaires, côté français, conseillent la prudence, ne se sentant « pas prêts », les politiques, eux, semblent convaincus du contraire. A leur tête, un peu malgré lui, un maréchal promu ministre de guerre le 21 août 1869, Edmond Le Bœuf, polytechnicien, qui déclare : « Nous sommes prêts et archiprêts. La guerre dût-elle durer deux ans, il ne manquerait pas un bouton de guêtre à nos soldats ». Cette phrase deviendra mythique pour symboliser l’impréparation d’un pays à la guerre.

Là encore, on ne peut pas dire qu’on puisse avoir été davantage surpris, après avoir compté pas moins d’une trentaine de « faux départs » de guerre, notamment en 1894 et en 1905. Une fois n’est pas coutume, tous les experts prédisaient ce nouvel affrontement qualifié d’inéluctable… Et cette fois, c’était dans tous les journaux de l’époque. Heureusement avec ses Alliés, la France a réussi à s’opposer aux Allemands, mais le Traité de Versailles sera considéré comme une humiliation à Berlin ! Là encore, le renseignement jouera un rôle décisif.

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L’Histoire recommence par André Galland (1936) — Musée de la Libération

Et puis il y aura 1933 où l’on aurait très bien pu stopper « Monsieur Hitler », le réarmement de l’Allemagne, l’occupation de la Rhénanie et Danzig ! En 1936, là encore, au lieu de profiter de sa supériorité militaire, la France s’est couchée. Le grand débat du moment dans le pays, ne portait pas sur les retraites mais sur les congés payés. Si on peut très bien comprendre que les Français saignés en 1918 aient eu comme priorité de reconstruire le pays, parfois même de survivre, et même le désir de vivre mieux, cela n’a pas empêché les années folles après des vagues pacifistes, menées par des socialistes qui, pour la plupart, entendaient se démarquer des « antimilitaristes » que l’on retrouvait, notamment, chez les anarchistes.

Et rebelote en 1940 !

La chanson : « J’irai pendre mon linge sur la ligne Siegfried » est interprétée par Ray Ventura et ses collégiens. La version originale « We’re Going to Hang out the Washing on the Siegfried Line » est une chanson irlandaise chantée pendant la Seconde Guerre mondiale en Europe à partir de 1939, emblématique de la « drôle de guerre ».

Règle n°5 : La ligne Siegfried n’est pas le meilleur endroit pour pendre son linge

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Le 1e classe Anthony Mesinko de Cleveland, Ohio, utilise les barbelés de la ligne Siegfried déclarée « imprenable » pour étendre ses vêtements — Photo U.S. Army Signal Corps Wescott (National Archives and Records Administration)

Il n’y a, décidément, pire sourd que celui qui refuse d’entendre… Alors, comment ne pas injurier l’avenir ?

Règle n°6 : Le temps long permet de ne pas injurier l’avenir

Intervention à Bon-Encontre du général d’armée aérienne (2S) François Mermet, président d’honneur de l’AASSDN — Des propos à méditer…

Règle N°7 « La guerre est horrible, mais la servitude est pire » (Winston Churchill)

Alors, aujourd’hui, comment ne pas établir un parallèle avec cette guerre en Ukraine, à nos frontières. L’Europe a découvert qu’elle « n’avait pas les moyens de faire une guerre de haute intensité », avec des matériels certes « sophistiqués » mais « échantillonnaires » et très peu, voire pas, de munitions (on l’a vu en ex-Yougoslavie). De quoi résister 5 à 6 jours, de l’aveu même de nos propres chefs militaires !

La guerre d’Ukraine

Cette guerre d’un autre âge « ne date pas d’hier ». L’effondrement de l’URSS a été vécu après la « Der des der » comme une invite à partager « les dividendes de la paix » à transformer le « dialogue avec Moscou » , bâtir des oléoducs qui ne soient pas percés, développer leur agriculture (quand on massacre les paysans, mieux vaut se passer d’agriculture, heureusement la Pologne et l’Ukraine voisines étaient des greniers à blé, sans parler — un comble — de moderniser les systèmes d’armes russes, tout cela en refusant d’admettre des évidences pendant plus de 20 ans. Difficile de dire que les complices de cette soumission rampante de l’Ouest étaient tous des malades mentaux.

Alors, que penser de l’élection qui se joue en République tchèque ?

Le débat télévisé hier soir à Prague entre les deux candidats Andrej Babiš et Petr Pavel, arrivé en tête au premier tour et sur lequel presque tous les autres candidats ont déclaré reporter leurs voix au second, n’a pas été triste. Après le premier tour, Andrej Babiš a été confondu, même par l’actuel président de la République. Le propre fils de Babiš a déclaré voter pour le général Pavel !

Babiš, ancien Premier ministre, milliardaire et chef d’un parti qu’il a fondé qui va se déchirant a menti sur son passé de collaborateur de la StB à Bratislava. Babiš est slovaque. Pas un dirigeant européen ne peut ignorer qu’il a appartenu à une police secrète d’État qui n’avait rien à envier à la Gestapo du IIIe Reich, au NKVD ou au KGB russe, à la STASI est-allemande, à la Securitate roumaine, à l’AVH hongrois ou encore au SDB yougoslave…

Au moment où le pays est en première ligne derrière l’Ukraine, qui vaut-il mieux à la tête du pays ? Un milliardaire longtemps soupçonné de corruption, de détournement de fonds européens, dont il vient tout juste de voir le dossier classé par la justice tchèque à la veille du premier tour, décision suivie par un aller-retour à l’Élysée qui sera la goutte qui fera déborder le vase. Babiš, l’homme de Moscou, l’ami d’Orban serait aussi l’ami de Macron, comme il l’a encore rappelé hier, et avec son ami Erdogan, il propose de négocier la paix avec Vladimir Poutine ? Mais pour négocier, il faut être deux et Poutine, comme le veut la tradition bolchevique, ne négocie que ce qui vous appartient.

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Il y a 25 ans, à Prague, j’ai eu l’honneur de dîner et d’échanger avec un secrétaire d’État tchèque qui m’a rappelé cette magnifique fraternité d’armes entre Tchèques et Slovaques avec la France.[6] Mitterrand marchant sur les traces de De Gaulle avait compris qu’il fallait que ces pays d’Europe centrale retrouvent toute leur place dans le grand concert européen, bientôt suivis par les Pays Baltes.

Au dessert, il m’a recommandé de chercher le livre de Petr Cibulka, un gros livre de plusieurs centaines de pages. « Le gouvernement auquel » il « avait l’honneur d’appartenir s’était juré de publier la liste de tous ces collabos et assassins, en distinguant ceux qui avaient été des officiers de renseignement et ceux qui étaient des sbires de la gestapo locale ». Du coup on a tous les détails de l’affectation de chaque agent !

L’homme qui a été le maître d’œuvre de cette publication est David Eleder qui a travaillé, dès novembre 1989, à la Commission des citoyens du ministère de l’Intérieur et qui a eu accès aux documents de l’ancien StB. David Eleder, est mort tragiquement en Croatie dans des circonstances mystérieuses et encore inexpliquées. Athlète et excellent nageur, il a été retrouvé noyé par des amis à un endroit où l’eau lui arrivait à peine aux genoux.

Petr Cibulka, un dissident membre de la Charte 77, devenu homme politique et éditeur du journal Necenzurovany a publié cette liste et vient de la rendre disponible sur Internet.

Petr Cibulka — Photo — DR/Twitter RT

Petr Cibulka, ancien dissident et membre de la Charte 77

Un exemple que l’on aimerait voir repris dans tous les pays où ce genre de polices politiques ont sévi sur le modèle de la maison mère le NKVD devenu le KGB de sinistre réputation. Au nom de la transparence et en mémoire des martyrs qui ont perdu la vie.

Plusieurs ministres de Vaclav Havel s’étaient juré de publier tous les noms des « collabos » de la StB. Plusieurs personnes associées à ce projet ont été curieusement retrouvés sans vie peu de temps, dont deux en Croatie, le premier noyé en surface, le second coincé au fond lors d’une plongée sous-marine…[5] Des ressortissants français, travaillant à l’Ambassade de France, se trouvent même répertoriés dans ces archives… Il n’est pas trop tard pour le dire, enfin !

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Extrait du registre slovaque des collaborateurs du StB Section Slovaquie — Document officiel slovaque

Le livre de Petr Cibulka,[7] aujourd’hui homme politique tchèque et ancien dissident de la Charte 77, a été réédité plusieurs fois. Il est depuis peu diffusé en version Web. Sa consultation récente a atteint des sommets… Les candidats à la présidence de la République ont tous bien sûr étaient scrutés à la loupe.

La France a de nombreuses raisons de se souvenir des meurtres commis sur son sol contre des Français , mais pas seulement… Pour n’en citer qu’un, le 17 mai 1957, l’envoi par le StB d’une boite de cigares piégée au préfet de Strasbourg, a tué son épouse Madame Henriette Trémeaud. Les polices politiques et services des pays « satellites de l’URSS » Tchécoslovaquie, de Pologne, de Roumanie et d’Allemagne de l’Est ont souvent commis des basses œuvres en France, pour ne pas mouiller le KGB et faire du tort au parti communiste français.

De quoi nourrir une prochain article, le temps de fêter un grand moment à Prague en voyant qui « ira au château » et qui « ira à la poubelle », pour reprendre le slogan de jeunes manifestants tchèques. Comme quoi, comme le dit un vieux dicton russe, « on change la peau d’un serpent, pas sa nature »…

A suivre…

Joël-François Dumont

[1] « Il ne faut pas humilier la République tchèque » in European-Security (2023-01-11).

[2] « La bataille d’Austerlitz » — Site Napoléon & Empire.

[3] « Maximilian Joseph de Montgelas : un Savoyard père de la bavière moderne » : Une page d’histoire qui relate comment un Français, Premier ministre de Bavière, sera, avec Otto von Bismarck, Chancelier du Reich, un des deux hommes d’État qui marqueront l’Allemagne au 19e siècle. Entretien avec Pierre Wolff (2022-01-15).

[4] « La bataille d’Iéna » — Site Napoléon & Empire.

[5] Voir « Les pontonniers du général Éblé sur la Bérézina » — Source Iliade (novembre 1812) —

[6] Voir « Raspoutitsa, quand tu nous tiens ! » — European-Security (2022-03-05) —

[7] Petr Cibulka : http://www.cibulka.cz

Voir également : « Úmysl je dílem mnoha… čin je dílem jednoho (De Gaulle) » — Traduit en tchèque par Joël Bros — & « Beraten wird von vielen… Handeln wird nur von einem getan (De Gaulle) » — (2023-01-26) —