Le piège à miel de Saint-Pétersbourg: l’État-Mafia russe

L’affaire Epstein ressemble désormais à un GPS défaillant qui vous fait faire le tour du monde – de New York à Saint-Pétersbourg en passant par la Floride – pour finalement vous dire « vous êtes arrivé à destination ». Les services secrets occidentaux auraient découvert que Poutine jouait aux échecs pendant que tout le monde croyait jouer aux dames, transformant quelques puissants en pions sur un échiquier géopolitique mouvant…. Apparemment, quand l’ours russe sort son pot de miel, même les grands de ce monde oublient qu’il s’agit peut-être d’un piège à mouches version XXL.

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Le pouvoir russe actuel est une klepto-cratie délibérément conçue. Le système repose sur un nexus symbiotique entre trois entités : le service de sécurité FSB, le crime organisé et le Forum Économique de Saint-Pétersbourg (SPIEF). Dans cette structure, le FSB assure la protection de l’État (krysha), la mafia fournit la force opérationnelle et les fonds illicites, tandis que le SPIEF, vitrine annuelle de cet « État-mafia », offre une façade de légitimité internationale.

Ce modèle s’est forgé par la collaboration entre des fonctionnaires, sous la houlette de Vladimir Poutine entouré des figures du crime pour prendre le contrôle d’actifs stratégiques, tel que le port de la ville.

Illustration © European-Security

Une fois étendu à l’échelle nationale, le système a été formalisé, transformant le FSB en un prédateur économique qui gère le crime plutôt qu’il ne le combat. La présence de hauts responsables du FSB au comité d’organisation du SPIEF démontre cette fusion entre sécurité et économie. Le réseau utilise des mécanismes de contrôle comme le kompromat, parfois obtenu via des réseaux d’escortes, pour assurer la loyauté de l’élite. Qu’elle soit russe ou étrangère…

Le nexus de Saint-Pétersbourg : Une analyse des liens structurels entre le FSB, le SPIEF et le crime organisé

I. Introduction : Le creuset de l’État russe moderne

Le système de pouvoir de l’État russe contemporain a été forgé dans le creuset de ce que l’on a appelé le « Saint-Pétersbourg des bandits » des années 1990. Les relations qui se sont nouées entre les services de sécurité, le monde criminel de la ville et les forums économiques de haut niveau ne sont pas des interactions tangentielles, mais constituent bien le fondement d’un système que la chercheuse Karen Dawisha a qualifié de « kleptocratie ».[01]

Loin d’être une démocratie en échec, ce système a été, dès le départ, une « conception intelligente » visant à créer un régime autoritaire dirigé par une cabale soudée.[01][02]

Le Service Fédéral de Sécurité (FSB), le Forum Économique International de Saint-Pétersbourg (SPIEF) et les syndicats du crime organisé de la ville ne sont pas des entités distinctes qui interagissent de manière ponctuelle, mais sont structurellement et symbiotiquement intégrés.

Dans cette configuration, le FSB fournit la krysha (la protection), la mafia apporte la force opérationnelle et les flux de capitaux illicites, et le SPIEF offre une plateforme de légitimation internationale, de négociation de contrats au plus haut niveau et de réseautage. Il convient d’analyser puis de dissèquer cette structure tripartite, en montrant comment elle a vu le jour, comment elle s’est formalisée et comment elle fonctionne aujourd’hui, y compris à travers des mécanismes de contrôle informels tels que l’utilisation de réseaux d’escortes à des fins de kompromat.

L’ensemble du système repose sur un brouillage délibéré des frontières entre le légal et l’illégal, l’État et le privé, la sécurité et le crime. Ce n’est pas une faille du système, mais sa caractéristique principale.

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Ilya Traber était le supérieur de Poutine à la mairie — Source : Anastasia Kirilenko (The Insider)

Les enquêtes révèlent un schéma constant : des fonctionnaires de l’État, comme Vladimir Poutine, collaborent avec des figures du crime organisé, telles que Vladimir Kumarin et Ilia Traber, sur des projets commerciaux sanctionnés par l’État, comme la Petersburg Fuel Company (PTK) ou le contrôle du port.[03][04] Les services de sécurité, dont le mandat officiel est de combattre le crime,[05][06] voient leurs plus hauts responsables être profondément liés à ce même milieu criminel.[07] Un forum économique de premier plan comme le SPIEF, organisé par l’État et son appareil de sécurité,[08] est également décrit comme un lieu de réseautage illicite.[09] Cette cohérence à travers ces trois piliers indique que l’ambiguïté est intentionnelle. Elle permet une dénégation plausible tout en autorisant le réseau à utiliser simultanément les outils de l’État (autorité légale, couverture diplomatique) et ceux de la pègre (violence, finance illicite). La force du système réside dans sa capacité à opérer dans cette zone grise, ce qui le rend résistant aux pressions conventionnelles, qu’elles soient judiciaires ou diplomatiques.

II. La genèse du réseau : Pouvoir et crime dans le Saint-Pétersbourg des années 1990

A. L’Ascension de la Tambovskaïa Bratva

Le gang de Tambov (Tambovskaïa Bratva) a émergé du chaos de l’effondrement soviétique. Fondé en 1987-1988 par Vladimir Kumarin, il s’est d’abord spécialisé dans les rackets de protection.[10] Ses activités se sont rapidement étendues pour inclure des meurtres sur contrat, l’extorsion, la prostitution et le trafic de drogue, le tout mené avec une violence extrême, comme en témoignent ses affrontements sanglants avec des gangs rivaux, notamment le gang Malyshevskaïa.[03][10]

Au milieu des années 1990, le gang a connu une évolution critique, passant d’une organisation purement criminelle à une entreprise criminelle, commerciale et politique. Il s’est tourné vers des activités semi-légales et légales, en particulier le très lucratif commerce de carburant, et a créé des sociétés de sécurité privées qui servaient souvent de façade pour ses activités de coercition.[10][11] Le leadership de Vladimir Kumarin, également connu sous le nom de Barsoukov, a été central. Sa survie à une tentative d’assassinat en 1994, sa convalescence en Allemagne et sa reprise en main du gang témoignent de sa cruauté et de son influence.[03][10]

B. La mairie comme incubateur de la Kleptocratie

La mairie de Saint-Pétersbourg, sous le mandat du maire Anatoli Sobtchak, a servi d’incubateur à ce nouveau système. Vladimir Poutine, alors un fonctionnaire clé responsable des relations économiques extérieures, a joué un rôle central dans la mise en place de schémas de détournement des actifs de l’État.[03][12]

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Marina Salye, députée de Saint-Pétersbourg qui sera la première accusatrice de Poutine — Document RFL-RE

Deux affaires emblématiques illustrent ce mode opératoire précoce :

  • Le scandale « Pétrole contre Nourriture » : Une enquête menée par la conseillère municipale Marina Salye a révélé que des contrats signés par Poutine pour exporter des matières premières, prétendument pour financer des importations alimentaires pour une ville au bord de la famine, ont abouti à la disparition de plus de 100 millions de dollars sans qu’aucune nourriture n’arrive jamais.[12][13] Ce cas démontre l’utilisation précoce de sociétés-écrans et le détournement de ressources publiques à des fins d’enrichissement privé.
  • L’affaire « Twentieth Trust » : Une enquête fédérale menée par Andreï Zykov a porté sur une entreprise de construction, Twentieth Trust, enregistrée par le comité de Poutine. L’entreprise a reçu des milliards de fonds publics pour des projets qui n’ont jamais été achevés ; l’argent aurait été détourné pour construire des villas de vacances en Espagne pour Poutine et ses associés.[12][13][14]

L’affaire SPAG constitue un exemple crucial de l’internationalisation précoce de ce réseau. La société immobilière allemande SPAG (St. Peterburg Immobilien und Beteiligungs AG), fondée en 1992 avec la participation de la mairie de Saint-Pétersbourg, comptait Vladimir Poutine à son conseil consultatif.[02][03][15] Les services de renseignement allemands (BND) et les procureurs ont par la suite enquêté sur SPAG pour blanchiment d’argent pour le compte du gang de Tambov et du cartel de la drogue colombien de Cali.[02][15][16] Cette affaire établit un lien direct entre Poutine, l’administration de Saint-Pétersbourg et le crime organisé international dans un schéma de blanchiment d’argent.

C. Étude de Cas : La conquête symbiotique du port de Saint-Pétersbourg

Le contrôle du port maritime de Saint-Pétersbourg, un atout stratégique pour le commerce légal comme illicite, est un microcosme parfait de ce nexus.

Viktor Petrovich Ivanov

Sa prise de contrôle a été rendue possible par une alliance entre des figures des services de sécurité et du crime organisé. Viktor Ivanov, un officier du KGB/FSB et collègue de Vladimir Poutine, est connu pour ses liens étroits avec le gang de Tambov et pour avoir soutenu la guerre de Vladimir Kumarin contre le gang Malyshev-skaïa pour le contrôle du port.[10][17]

Le port est alors devenu une plaque tour-nante pour le trafic de cocaïne colombienne vers l’Europe, avec le soutien logistique d’anciens officiers du KGB et de groupes mafieux.[18]

Viktor Petrovitch Ivanov — (Kremlin.ru)

(Voir Desinformatsia : La désinformation stratégique)

Une autre figure clé de cette conquête est Ilia Traber, surnommé « l’Antiquaire », un puissant associé du gang de Tambov et un ami personnel de Poutine.[04] Traber a agi comme intermédiaire entre la mafia et le monde politique. À la demande de Poutine, il a nommé un autre protégé de ce dernier, Alexeï Miller, au poste de directeur du port.[04] Traber et ses associés, comme la famille Skigin, ont pris le contrôle d’infrastructures portuaires clés, notamment le terminal pétrolier de Saint-Pétersbourg (PNT).[19][20]

Le modèle de Saint-Pétersbourg dans les années 1990 n’était pas simplement une affaire de corruption ; c’était un laboratoire pour le développement d’une nouvelle forme de gouvernance. Plutôt que de recevoir passivement des pots-de-vin, des fonctionnaires comme Poutine et Ivanov ont activement utilisé leur autorité pour octroyer des licences, enregistrer des entreprises et diriger la puissance de l’État au profit de leurs partenaires criminels.[04][10] L’objectif n’était pas seulement l’enrichissement personnel, mais la capture d’actifs stratégiques (le port, le marché du carburant) afin de construire une base économique durable pour le réseau. Ce modèle s’est avéré plus efficace que la simple corruption : l’État externalisait la violence à ses partenaires criminels, qui en retour bénéficiaient de la protection de l’État (krysha) et d’un accès à des monopoles lucratifs. Lorsque ces figures ont accédé au pouvoir à Moscou après 2000, elles n’ont pas abandonné ce modèle ; elles l’ont étendu à l’échelle nationale.

III. La formalisation du Nexus : Les institutions de l’État comme Instruments

A. Le FSB : Du bouclier et du glaive au prédateur économique

Officiellement, le mandat du FSB est vaste, incluant le contre-espionnage, l’antiterrorisme et la lutte contre le crime organisé et la corruption.[05][06][21] Cependant, de nombreuses enquêtes révèlent une « symbiose » entre le FSB, le pouvoir politique et le crime organisé.[18] Le FSB est devenu un « État dans l’État »,[18] dont les activités échappent en grande partie au contrôle de la société civile.[05]

Le cas de Sergueï Korolev est emblématique. En tant que Premier Directeur Adjoint du FSB, il est l’un des hommes les plus puissants de l’appareil de sécurité russe. Une enquête approfondie de l’OCCRP et d’iStories a documenté ses liens profonds et continus avec des figures majeures du crime organisé :[07]

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Aslan Gaguiev « Djako » a évité l’extradition d’Autriche « parce qu’il souffrait d’aérophobie » — Photo Interpol

  • Guennadi Petrov : Une figure centrale des opérations internationales de blanchiment d’argent du gang de Tambov, arrêté lors de l’« Opération Troïka » en Espagne. Des écoutes téléphoniques espagnoles ont enregistré Korolev, sous le nom de code « Shakefoot », aidant Petrov.[07]
  • Aslan Gaguiev (« Grand Frère ») : Un chef de gang notoire responsable d’au moins 60 meurtres, qui a affirmé que Korolev (alors chef de la Direction de la Sécurité Interne du FSB) l’avait aidé à fuir la Russie.[07]
  • Oleg Makovoz : Un membre d’un autre groupe criminel puissant, avec qui Korolev était en communication alors que son unité du FSB était chargée de lutter contre le crime organisé.[07]

Ces éléments montrent que le rôle du FSB n’est pas toujours d’éliminer le crime organisé, mais souvent de le gérer, de le contrôler ou de s’associer avec lui, un phénomène décrit comme le FSB « couvrant » des entreprises criminelles.[18]

B. Le Forum comme outil d’État : L’objectif et le pouvoir du SPIEF

Le Forum Économique International de Saint-Pétersbourg (SPIEF) a été créé en 1997 et, depuis 2006, se déroule sous le patronage direct et avec la participation du Président de la Fédération de Russie.[22][23][24] Son objectif officiel est de servir de plateforme mondiale de premier plan pour les chefs d’entreprise et les personnalités politiques afin de discuter des questions économiques clés.[22][25] Il s’agit d’un outil majeur de la politique étrangère russe, conçu pour projeter l’image d’une Russie moderne et ouverte aux affaires, et pour attirer les investissements étrangers.

Le forum est organisé par la Fondation Roscongress, une institution de développement non financière à vocation sociale.[26][27] Malgré cette description bénigne, Roscongress fonctionne comme un bras de l’État, organisant tous les grands forums économiques russes et facilitant la communication entre l’État russe et les élites économiques et politiques internationales.[27][28][29]

C. Le comité d’organisation : La rencontre des mondes

La composition du comité d’organisation du SPIEF fournit le lien structurel le plus direct et le plus évident entre le forum et les services de sécurité. La liste du comité pour l’année 2025 [08] inclut non seulement des ministres de haut rang (Maxim Orechkine, Anton Kobiakov) et des dirigeants de sociétés d’État (Herman Gref de Sberbank), mais aussi, de manière cruciale :

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Vladimir Poutine entouré des principaux responsables du FSB — Source OCCRP

La présence du numéro deux du FSB au sein du comité d’organisation du principal forum économique de Russie est une illustration frappante de la fusion entre la sécurité et l’économie.

NomPosition au sein du Comité du SPIEFAffiliation PrincipaleLiens Connus avec les Services de Sécurité / le Saint-Pétersbourg des Années 1990
Sergueï KorolevMembre du Comité d’OrganisationPremier Directeur Adjoint, FSBDocumenté par des enquêtes de l’OCCRP et iStories comme ayant des liens avec la figure du gang de Tambov Guennadi Petrov et le chef de gang Aslan Gaguiev.[07][08]
Alexander BeglovPrésident Adjoint du Comité d’OrganisationGouverneur de Saint-PétersbourgReprésente la continuité de l’élite politique de Saint-Pétersbourg, le berceau du système.[08]
Anton KobiakovSecrétaire Exécutif du Comité d’OrganisationConseiller du Président de la Fédération de RussieUn fonctionnaire clé du Kremlin supervisant les opérations du forum, incarnant le contrôle direct de l’État.[08][30]
Oleg KlimentievMembre du Comité d’OrganisationPremier Chef Adjoint, FSOReprésente l’implication directe du service de sécurité présidentiel dans l’organisation du forum.[08]

La présence de Sergueï Korolev au comité d’organisation ne peut être expliquée par de simples besoins de sécurité, qui pourraient être gérés par des fonctionnaires de rang inférieur. Sa position est un signal fort envoyé aux participants, russes et étrangers, sur qui détient réellement le pouvoir et quels intérêts sont protégés. Le SPIEF est le lieu où des contrats de plusieurs milliards sont signés.[23][31] Pour le sistema, il est crucial de s’assurer que ces contrats profitent aux bonnes personnes. La présence de Korolev garantit que les intérêts du réseau restent primordiaux.

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Vladimir Poutine au Forum de Saint-Pétersbourg — Photo Kremlin.ru

De plus, le rassemblement de PDG, de politiciens et de journalistes du monde entier [25][32] en fait un environnement de choix pour les opérations de renseignement, de recrutement et d’influence du FSB. Le SPIEF n’est donc pas seulement une scène pour les discours de Poutine ; c’est un environnement opérationnel où le sistema blanchit sa réputation, conclut ses affaires et recueille des renseignements, le tout sous l’œil vigilant de son chef de la sécurité.

IV. Mécanismes de contrôle : Kompromat et le réseau d’escortes

A. La monnaie du Kompromat dans le système russe

Le kompromat — matériel compromettant — est une technologie de pouvoir fondamentale, héritée du KGB et activement utilisée par le FSB.[33][34] Il sert à discréditer les opposants, à assurer la loyauté et à contrôler les personnalités politiques et économiques. Les méthodes vont de la fabrication de dossiers criminels, comme le montre le film Kompromat basé sur une histoire vraie,[33][35] à l’utilisation de poison (Navalny, Skripal) suivie de campagnes de désinformation.[36]

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Devant moi marchait Nathalie, Il avait un joli nom, mon guide, Nathalie… ♫♫♫ Mais je sais qu´un jour à Paris, c’est moi qui lui servirai de guide, Nathalie, Nathalie… ♫♫♫ — Illustration © European-Security

Une forme classique de kompromat est le « piège à miel », qui utilise des rencontres sexuelles à des fins de chantage. Cette tactique du KGB reste d’actualité, comme l’a illustré l’affaire des enregistrements vidéo utilisés pour évincer le procureur général Iouri Skouratov dans les années 1990, une opération liée à l’ascension de Poutine.[37]

B. Allégations de réseaux d’escortes au SPIEF

Des enquêtes journalistiques, notamment celles de The Insider, ont fait état de la présence très organisée d’escortes féminines au SPIEF.[09] Il ne s’agit pas d’actes de prostitution isolés (une activité illégale en Russie),[38] mais d’un phénomène structuré. Les escortes chercheraient à accéder à des soirées privées et à des participants de haut niveau, la demande et les prix grimpant en flèche pendant le forum.[09]

Ce phénomène doit être analysé non pas comme une simple décadence, mais comme une potentielle opération de collecte de renseignements et d’influence. De tels environnements sont idéaux pour identifier les vulnérabilités, enregistrer des rencontres compromettantes et établir des canaux d’influence informels sur de puissants participants russes et étrangers.

C. Étude de cas : L’affaire Rybka-Deripaska – Le Kompromat en action

Cette affaire offre un exemple parfaitement documenté du fonctionnement de ces réseaux. En 2018, l’opposant Alexeï Navalny a publié une enquête basée sur les publications sur les réseaux sociaux d’une « escorte » et « coach sexuelle » biélorusse, Anastasia Vachoukevitch (alias Nastya Rybka).[37][39] Ses photos et vidéos documentaient un voyage en yacht en 2016 avec l’oligarque Oleg Deripaska (une figure ayant eu des liens avec Paul Manafort) et Sergueï Prikhodko, un puissant vice-premier ministre et haut conseiller en politique étrangère.[37][40] Ils y étaient enregistrés discutant de sujets sensibles comme les relations russo-américaines.[40]

Les répercussions ont été immédiates et gérées par l’État. Deripaska a poursuivi Rybka pour violation de la vie privée, et le censeur des médias russes, Roskomnadzor, a immédiatement agi pour bloquer l’enquête de Navalny et forcer Instagram et YouTube à retirer le contenu.[37][41] Rybka a ensuite été arrêtée en Thaïlande, puis de nouveau à Moscou, où elle s’est publiquement excusée auprès de Deripaska, déclarant qu’elle n’était « qu’un outil ».[42][43] Cette séquence d’événements suggère fortement un effort coordonné de l’État et d’un oligarque pour supprimer des informations dommageables révélées par l’intermédiaire d’une escorte.

La présence organisée d’escortes lors d’événements d’élite comme le SPIEF n’est pas simplement une « industrie de services », mais une composante de l’architecture de sécurité informelle du sistema. Elle crée un environnement contrôlé de tentation et de vulnérabilité que le FSB peut exploiter à des fins de kompromat et de renseignement. L’affaire Rybka montre ce qui se passe lorsque ce système informel est exposé publiquement : l’appareil d’État formel (tribunaux, censeurs) est immédiatement déployé pour rétablir le contrôle. Ce réseau d’escortes constitue un outil non officiel mais vital pour maintenir la discipline et recueillir des renseignements au sein de l’élite.

V. Conclusion et implications stratégiques

A. Synthèse : L’architecture d’un « État-Mafia »

L’ensemble des preuves démontre que le modèle de Saint-Pétersbourg — la fusion de fonctionnaires, d’agents de sécurité et de criminels pour s’emparer et gérer des actifs — n’était pas une aberration des années 1990, mais le prototype réussi de la structure de pouvoir nationale construite sous Vladimir Poutine.[18][44][45] Le FSB, la pègre (incarnée par le gang de Tambov et ses successeurs) et les plateformes contrôlées par l’État comme le SPIEF sont les trois piliers d’un régime kleptocratique. Cette conclusion est cohérente avec les analyses d’éminents chercheurs comme Karen Dawisha (Putin’s Kleptocracy),[01][46] Catherine Belton (Putin’s People)[47] et Mark Galeotti (The Vory).[48][49]

Le SPIEF est l’assemblée générale annuelle et le salon professionnel de ce système. C’est là que le réseau renforce ses liens, blanchit sa réputation sur la scène mondiale et mène ses affaires les plus importantes sous la protection et la supervision totales de l’appareil de sécurité de l’État.

B. Implications stratégiques pour la politique et le renseignement

L’analyse de ce nexus a des implications directes pour les gouvernements, les agences de renseignement et les entreprises interagissant avec la Russie :

  • L’engagement est un compromis : Traiter des institutions comme le SPIEF comme des forums économiques standards est une approche naïve. La participation d’entreprises et de responsables occidentaux confère une légitimité au système kleptocratique et les expose aux mécanismes de collecte de renseignements et d’influence du sistema.
  • Ciblage des sanctions : Les sanctions devraient viser non seulement les hauts responsables, mais l’ensemble de l’architecture du réseau, y compris les fonctionnaires de niveau intermédiaire, les entreprises-écrans (comme celles identifiées dans les affaires SPAG et « Troïka » en Espagne) et les membres des familles qui détiennent des actifs.[18][50] Les individus figurant sur le comité d’organisation du SPIEF sont des cibles de choix pour des enquêtes plus approfondies.
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Le gang Tabovskaya en Espagne — Source : The Insider
  • Surveillance de la nouvelle génération : Les enfants de la cabale originelle de Saint-Pétersbourg occupent aujourd’hui des postes de direction dans les grandes banques et entreprises d’État.[18]
  • Le suivi de leurs activités est crucial pour comprendre l’évolution future et la résilience du réseau, qui est conçu pour une succession dynastique.

Joël-François Dumont

Voir également :

Notes