Après de premiers échanges avec les États-Unis, les dirigeants russes essaient de faire progresser, dans un cadre bilatéral, leurs revendications bien établies sur l’Ukraine. Nous analysons les stratégies de négociation et les tactiques utilisées par la Russie. Les événements de ces derniers jours montrent comment les dirigeants autocratiques profitent de leur position pour élaborer un nouveau discours et soigner leur image tant au niveau national qu’international.
Source : EUvsDisinfo | 20 février 2025 —
Sommaire
Un contrôle important sur l’espace informationnel, rendu possible par la répression brutale des médias indépendants, et la diffusion massive de narratifs soigneusement sélectionnés peuvent avoir un effet persuasif.
Lundi, nous avons étudié la façon dont Moscou a présenté la récente Conférence de Munich sur la sécurité. Une rencontre récente entre des représentants russes et américains a été présentée comme un succès diplomatique majeur en Russie, et Moscou continue maintenant de multiplier les demandes dans le but évident de consolider sa position de négociation et de tenir l’Ukraine et l’Europe à l’écart des discussions.
La Russie entrevoit un retour au «bon vieux temps»
Les médias d’État russes cherchent à ressusciter le «bon vieux temps», lorsque l’URSS et les États-Unis dominaient et étaient garants de l’ordre mondial. Ce discours suggère que l’Ukraine a provoqué un problème de sécurité qui a été récupéré par les «néo-nazis» et les bellicistes de toute l’Europe, ainsi que par les anciens présidents américains Obama et Biden. Aujourd’hui, Moscou et Washington, Poutine et Trump, doivent réparer les pots cassés, oubliant la froide réalité selon laquelle Poutine lui-même a provoqué cette situation en envahissant la Crimée en 2014, en commençant une guerre dans le Donbass, et en déclenchant une invasion à grande échelle de l’Ukraine il y a trois ans, le 24 février 2022.
Décryptage des exigences russes
Nous avons déjà été témoins à ce comportement, au cours de la période qui a précédé les accords de Minsk I et II en 2014 et 2015: Moscou négocie ou fait semblant de respecter les accords tout en poursuivant ses attaques militaires.
Le langage caractéristique de l’homme fort russe, au ton dur et brutal, est amplifié pour impressionner l’adversaire en projetant une image d’invincibilité.
Les exigences de Moscou peuvent être traduites ou déchiffrées comme suit.
« L’Ukraine doit se démilitariser et ne doit pas entrer dans l’OTAN » signifie: la Russie se laisse la possibilité de relancer une action militaire ou de menacer de le faire à chaque fois qu’elle le souhaite.
« Une force de maintien de la paix ne peut pas inclure d’États membres de l’OTAN » signifie: tenir les forces américaines à distance, creuser la fracture entre Bruxelles et Washington et espérer faire peur à une coalition d’États européens désireux de fournir des troupes.
« Le président Zelensky n’est pas légitime et des élections doivent être organisées en Ukraine » signifie: essayer d’évincer le président Zelensky. Conclure un accord entre Moscou et Washington en contournant le gouvernement ukrainien élu. Dans une situation fragile, les élections offrent l’occasion de manipuler et d’essayer de diviser la société, et de limiter les groupes politiques et les centres de pouvoir. Voir aussi notre article. Certains commentateurs citent en exemple la Géorgie et le changement de pouvoir politique survenu à Tbilissi.
« Réalités du terrain » signifie: reconnaître l’occupation et l’expansion territoriale de la Russie en Ukraine. Donner un peu de répit aux forces russes pour qu’elles puissent se remettre de leurs pertes colossales.
« Mettre en place des relations économiques entre les États-Unis et la Russie » est un raccourci pour dire: s’il vous plaît, levez de toute urgence les sanctions contre la Russie. L’économie russe est soumise à de fortes pressions, même si Moscou prétend que tout est sous contrôle. La Russie souhaite très fortement revenir à la coopération d’avant-guerre et ne plus être tenue à l’écart par l’Occident.
Voir notre précédent décryptage de la novlangue du Kremlin ici.

Un château dans le ciel
La vision complète du Kremlin se trouve dans les propositions de deux traités que la Russie a présentés fin décembre 2021, l’un entre la Russie et les États-Unis et l’autre entre la Russie et l’OTAN. Ces deux traités visaient clairement à imposer la reconnaissance des sphères d’influence russes en Europe et à restaurer la situation de 1997, avant l’élargissement de l’OTAN. Nous avons analysé les idées du Kremlin ici. Il s’est avéré qu’il s’agissait de prétextes pour lancer l’invasion à grande échelle.

Autres cas de désinformation remarqués cette semaine
Les citoyens européens vont manger des vers à cause des sanctions anti-russes: c’est faux. Il s’agit d’une affirmation stupide mais néanmoins remarquable de la TASS, l’une des principales agences de presse de l’État russe. Elle a pour but de donner l’impression que les sanctions font plus de mal aux Européens qu’aux Russes. Sur le plan national, ce discours est important car il cherche à faire en sorte que Poutine garde auprès de la population russe l’image d’un dirigeant passé maître dans la gestion de tous les problèmes et d’éviter les critiques venues de l’intérieur. Au niveau européen, ce discours vise une nouvelle fois à essayer de saper le soutien apporté par l’opinion publique à la politique adoptée par les gouvernements européens à l’égard de la Russie.
L’USAID a versé 20 millions de dollars à Angelina Jolie pour qu’elle se rende à Lviv: c’est faux, il s’agit d’une histoire fabriquée de toutes pièces, mais qui peut être utile pour générer des clics sur les plateformes pro-Kremlin. L’histoire est fausse et la vidéo n’a été ni produite ni diffusée par E! News. La chaîne a confirmé à l’AFP que la vidéo «n’est pas authentique et ne provient pas de E! News». Elle n’a été publiée ni sur le site web de E! News ni sur ses comptes de médias sociaux. Il n’existe aucune preuve que l’USAID a financé les voyages de célébrités en Ukraine. Ceci montre bien comment s’opère la manipulation: choisissez un sujet d’actualité, inventez une histoire susceptible de déclencher des émotions en utilisant le nom des célébrités que vous voulez discréditer. Prétendez que l’information provient d’un média crédible et faites-la circuler dans plusieurs langues en utilisant de faux comptes. C’est tout. Le temps que ces fausses informations soient démenties, les premiers mensonges ont fait l’actualité et ont circulé.
Vous, cher lecteur, ne croirez pas à ce mensonge, mais il se pourrait bien que d’autres y croient. Ces histoires chargées en émotions sèment un léger doute dans les esprits. C’est ce qu’on appelle l’«effet d’assoupissement». On détourne notre attention, et pendant ce temps-là les forces russes s’en prennent à des cibles civiles en Ukraine. Nous devons tous faire en sorte de choisir avec soin les informations que nous consultons et éviter de tomber dans les pièges à clics.
Les dirigeants moldaves ne souhaitent pas la fin de la guerre en Ukraine: également faux. Il s’agit d’une déformation des faits et d’un mensonge pur et simple, même si l’auteur de l’affirmation le sait pertinemment. La véritable déclaration de la présidente Maia Sandu lors de la Conférence de Munich sur la sécurité est simple: «Personne ne veut plus la paix que l’Ukraine. En Moldavie, nous voulons aussi la paix – nous voulons une paix durable grâce à laquelle nous pourrons rester dans le monde libre».
Ne vous laissez pas abuser!
Voir également : « Moscow’s attempt to reshape the world order » by EUvsDisinfo — (2025-0220) —