Un matin à Ravensbrück

La grandeur de l’Allemagne fédérale est d’honorer la mémoire de celles et ceux que le Ille Reich a jadis martyrisés, dans 44.000 camps, « sous-camps » et autres prisons spécialisées où ils ont été acheminés dans des wagons à bestiaux, les uns pour finir dans des chambres à gaz, les autres pour servir d’esclaves. En présence d’une dizaine de survivants, de grandes commémorations ont été organisées à Ravensbrück à Sachsenhausen pour le 80ème anniversaire de leur délivrance. Une occasion pour certains orateurs d’évoquer la guerre d’agression que la Russie livre à Ukraine et d’évoquer la menace que font peser les extrêmes comme l’AfD qui soutiennent le Kremlin, ou les anciens communistes de RDA. A Ravensbrück, camp de concentration pour les femmes, le témoignage d’Ingelore Prochnow, née dans le camp, la plupart du temps séparée de sa mère, déportée après avoir été dénoncée pour avoir eu des relations coupables avec un Polonais a été bouleversant. A sa naissance, elle a été nourrie et prise en main par des déportées, sa mère étant de corvée. En 1995, elle apprendra qui était son père après son enterrement en Pologne sans qu’il n’ait jamais pu la serrer dans ses bras. Un rendez-vous pour l’Histoire, sans doute le dernier pour les anciens déportés. NDLR

Source : Hedy Belhassine — Paris le 11 mai 2025 —

-
Dans cette foule, 9 survivants sont venus « témoigner » — Photo © E-S

En ce premier dimanche du mois de mai, à Ravensbrück où 133.000 femmes ont été parquées, humiliées, forcées, torturées, affamées, assassinées, gazées, incinérées… une foule s’est rassemblée pour les pleurer. 

-
Ingelore Prochnow, née au camp de Ravensbrück raconte « son histoire » — Photo © Joël-François Dumont

Admirable présence qui invite à méditer. Sommes nous responsables des actes de notre lignée ? Les petits-enfants de bourreaux allemands doivent ils porter éternellement le fardeau des crimes de vos ascendants ?

-
« Mur des Nations » qui borde une immense fosse commune — Photo Britta Pawelke © Gedenkstätte Ravensbrück

Comment ne pas songer aux descendants des 20 millions de morts soviétiques pour libérer l’Europe du joug d’Hitler dont certains sont aujourd’hui mobilisés par Poutine au prétexte fallacieux d’aller libérer l’Ukraine des nazis ?…Et aux six millions de suppliciés dont les héritiers massacrent les femmes et les enfants de Gaza par dizaines de milliers. Les victimes d’hier et les bourreaux d’aujourd’hui ne sont assurément pas du même sang.

-
Les premières déportées françaises sont arrivées en 1942 — Photo — Joël-François Dumont

Sur une esplanade immense recouverte de mâchefer noir, une allée de cendres conduit à une estrade où des musiciens adolescents arrachent des soupirs à leurs instruments. Au micro se succèdent les témoignages, les prières, les discours…

-
Photo de l’album SS de Ravensbrück montrant des détenues et une surveillante dans l’atelier de fabrication de nattes tubulaires de Texled — Photo Archives © Mahn- und Gedenkstätte Ravensbrück (1941-1942)

Des nuages noirs couvrent le ciel, des bourrasques de vent  glacent l’assistance. Chacun est pétrifié d’émotion en lien avec le paysage; le froid qui monte de la terre, la plainte des violoncelles, le récit des souffrances, le chant de marais, celui des déportés, entonné à capella par mille voix :

-
Depuis 1945, le Chant des marais est devenu le chant de mémoire de tous les déportés
-
Le général François Mermet et Hedy Belhassine portent une gerbe au nom de l’AASSDN Photo © JFD

Aucune bannière, aucun drapeau, seulement des femmes, des hommes, des enfants et des vieillards en poussettes avec un bouquet de fleurs ou une rose blanche à la main.

-
François Delattre, ambassadeur de France en Allemagne, dépose une gerbe au pied du monument — Photo © JFD

Nul hymne national ni sonnerie aux morts, aucun uniforme au garde-à-vous ! ici, toutes et tous sont égaux. Rien ne distingue la vingtaine d’ambassadeurs parmi lesquels celui de France, digne et affecté.

-
L’ambassadeur François Delattre avec Marie-France Cabeza-Marnet de l’Amicale française de Ravensbrück — © JFD

Pareillement discrets, des ministres allemands prennent la parole pour dire sobrement leur effroi face au réveil de la bête immonde du fascisme partout dans le monde.

-
Le GAA François Mermet et Hedy Belhassine s’inclinent au pied du monument face au lac Schwedt — Photo ¢ JFD

Très ému, un général français d’un grand âge est allé incliner ses cinq étoiles devant la plaque accrochée au mur des Nations par le neveu d’une héroïne. En mémoire des sous-lieutenantes Marie-Louise Cloarec, Eugénie Malika Djendi, Pierrette Louin, Suzanne Mertsizen Boitte, opératrices radio du corps féminin des transmissions d’Alger surnommées les « Merlinettes » parachutées en France occupée en avril 1944, exécutées ici en janvier 1945.

-
Plaque déposée par Jean-Georges Jaillot-Combelas en l’honneur des « Merlinettes » — Photo © Joël-François Dumont

Enfin, la foule silencieuse en lente procession vint déposer couronnes, gerbes et poignées de pétales, au pied du monument aux mortes, face au lac de Schwedt où entre 1939 et 1945 furent dispersées les cendres de dizaines de milliers de femmes, d’enfants et de nouveaux nés.

Hedy Belhassine

Sur le 80e anniversaire de la libération des camps de concentration et la capitulation de l’Allemagne nazie, voir :