Guerre d’Ukraine : Le temps de la diplomatie ?

Sur injonction du tsar américain nouvellement réélu, l’heure semble venue de la diplomatie pendant que la guerre se poursuit en Ukraine dans l’indifférence de la plupart des opinions européennes, tant sur le front qu’à l’intérieur du pays avec le bombardement des populations civiles et celui des infrastructures industrielles.

par l’amiral Christian Girard (2s) [*] — Toulon, le 15 mai 2025 —

Insidieusement en Europe et particulièrement en France, au-delà du lamento sur l’horreur de la guerre, argument éternel des pacifistes, qu’il vaudrait mieux appeler des défaitistes, — parti qui surgit inévitablement lors des guerres conduites par les démocraties et exista, par exemple, en France à la fin de la Première Guerre mondiale, Clemenceau sut le combattre —, une partie notable de ces derniers se présente comme des « réalistes ». L’impasse militaire dans laquelle se trouve l’Ukraine, dans l’incapacité de bouter l’envahisseur russe hors de son territoire, justifierait qu’elle agite le drapeau blanc du pape François. Les mêmes, qui ne sont pas à une contradiction près, célèbrent la vision de De Gaulle qui, dès juin 40, la France étant militairement à genoux, a repris le flambeau abandonné par le régime de Vichy et a poursuivi la guerre avec les Alliés jusqu’à la Libération et la défaite de l’ennemi nazi. L’argument du blocage stratégique — inégal en tout état de cause —, était, jusqu’il y a peu, celui de l’administration américaine, utilisé pour enjoindre à la partie ukrainienne d’accepter des négociations avec la Russie à des conditions ignominieuses.

Le temps des négociations

Le temps des négociations est-il vraiment venu ? La situation stratégique a-t-elle suffisamment évolué pour qu’elles puissent déboucher sur un arrêt durable des combats, si tant est qu’elles se déroulent et produisent des effets concrets comme la rencontre du 15 mai à Istamboul le laisse envisager ?

Côté américain : une incertitude complète

Le seul facteur géostratégique nouveau ne vient pas de la situation militaire mais de la politique américaine.

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Trump : Entre revirements tactiques et vision de long terme, Make Business Great Again… — Capture d’écran

Cette dernière semble vouloir rapprocher les États-Unis de la Russie, au détriment de l’Ukraine. Elle a entraîné la décision de l’arrêt du soutien militaire pour forcer l’Ukraine à la négociation, pendant un temps heureusement assez bref, mais qui a eu des conséquences sur le terrain, avec un effet dévastateur immédiat dans le domaine du renseignement.

Côté russe, un projet géopolitique clair

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Conférence de presse de nuit au Kremlin de Vladimir Poutine — Capture d’écran

L’asymétrie de ce conflit, précédemment analysée sur le plan de la stratégie militaire, se trouve encore davantage déséquilibrée au niveau politique par la nouvelle donne : du côté russe, un projet géopolitique clair, inscrit dans la géographie et la continuité de l’Histoire, très loin d’avoir atteint ses objectifs, notamment en Ukraine ; du côté des soutiens de l’Ukraine, toujours la même absence d’objectif et de stratégie positive, la même volonté faible d’empêcher la Russie de l’emporter sans affirmer clairement la nécessité de sa défaite, malgré le  relatif durcissement des dernières déclarations du président français et le renforcement des politiques de défense dans les pays européens, ainsi que la montée en puissance des industries homologues. Ces derniers facteurs ne peuvent cependant produire des résultats qu’à moyenne et longue échéances. Enfin, apparaît une incertitude complète sur le jeu américain concernant l’avenir de son appui à l’Ukraine

La volonté américaine d’imposer une négociation a priori, ne peut être interprétée par la partie russe que comme un avis de faiblesse dans le rapport de forces. Le refus d’accepter un cessez-le-feu en apporte la preuve. Sa stratégie reste inchangée. Elle demeure celle de la poursuite de l’affrontement militaire jusqu’à l’effondrement de l’armée ukrainienne.

Côté européen

Les pays européens et l’Ukraine elle-même, conscients de leur faiblesse à court terme sans le soutien américain, veulent paraître s’inscrire dans la poursuite de l’objectif du cessez-le-feu immédiat, espérant par cet alignement sur l’objectif du président Trump que dans un énième revirement il cessera d’adopter le « narratif » russe et accroîtra le soutien dont l’Ukraine a plus que jamais besoin. Pour habile que cela puisse paraître sur le plan de la communication, cette politique n’est, pour la Russie, qu’un aveu de faiblesse supplémentaire. La possibilité d’un basculement de la stratégie américaine est parfaitement aléatoire. C’est une erreur de penser que les multiples revirements, que l’on pourrait qualifier de « tactiques » du président américain, traduisent l’absence d’une vision de long terme. Il est de fait que l’enjeu de l’Ukraine est pour les États-Unis, quels qu’en soient les dirigeants, d’une importance très relative dans leur vision géopolitique mondiale. La notion même de camp occidental n’est plus pertinente dans les conditions actuelles ainsi que cela a été précédemment analysé. L’Ukraine n’apparaît être pour le président américain que l’objet d’un nouveau « deal » destiné à le mettre en valeur face à son opinion publique.

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Un ménage géopolitique à trois ? Rencontre de Kiev le 10 mai — Photo Présidence ukrainienne

C’est donc aujourd’hui une sorte de ménage géopolitique à trois partenaires inégaux, trois au moins car la Chine et la Turquie pourraient en faire partie, qui se met en place. Le jeu est donc encore plus complexe. Ce serait une erreur de penser que les déterminants n’en sont que de l’ordre de la psychologie des dirigeants, même si celle-ci peut avoir son importance.

VA Christian Girard — Photo © DR

Les espoirs mis dans une coalition des démocraties volontaires pour le soutien de l’Ukraine s’essoufflent faute de propositions concrètes, à courte échéance, et indépen-dantes du projet américain à moyen terme. Ces mêmes nations hésitent à se position-ner de façon autonome par rapport aux États-Unis, c’est particulièrement le cas du Royaume-Uni, élément central de la coalition. Par ailleurs, les opinions publiques européennes, en dehors de celles de voisins immédiats de la Russie, n’ont pas réellement pris conscience de, ou refusent de voir, la gravité des enjeux liés au conflit ukrainien. Parallèlement, l’activisme diplomatique du président Trump impose son tempo.

Amiral Christian Girard — Photo © DR

Cela ne signifie pas que la coalition volontaire ne puisse jouer un rôle à moyenne échéance. Mais, elle doit afficher des objectifs clairs et positifs, pour la sécurité de l’Europe et pour l’avenir de l’Ukraine, face à la Russie, indépendamment des États-Unis.

Dans l’attente du prochain sommet de l’OTAN

L’Otan reste la référence stratégique de la plupart des pays alors que son organisation demeure sous le contrôle américain. Il est douteux que la réflexion ici souhaitée puisse surgir de l’intérieur de la part d’un éventuel pilier européen, « caucus » toujours récusé par la partie anglo-saxonne. Le prochain sommet de l’Otan en juin constituera un test déterminant à cet égard.

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Un sans faute pour Zelensky, une volonté à toute épreuve qui cache mal une certaine solitude — Capture d’écran

Il paraît donc urgent pour la coalition des volontaires de reprendre l’initiative et de ne pas se laisser prendre au jeu d’initiatives diplomatiques qu’elle ne contrôle pas, en particulier dans l’hypothèse d’un accord négocié directement entre les présidents américain et russe par dessus les intérêts et avis des pays européens et surtout de l’Ukraine. Il s’agit donc, à court terme, d’aider militairement l’Ukraine avec les moyens de l’Otan, si cela est possible, c’est-à-dire si les Américains ne s’y opposent pas, mais sans les moyens de l’Otan dans l’alternative.

Une idée, proposée en Grande Bretagne, est celle de moyens de défense aérienne déployés de façon permanente dans les espaces des pays voisins de l’Ukraine qui interviendraient en soutien des systèmes ukrainiens face aux attaques de missiles et de drones russes, ainsi que cela fut fait pour la défense d’Israël récemment.

Un renforcement des moyens miliaires terrestres déployés dans les mêmes pays voisins de l’Ukraine renforcerait également le rôle dissuasif des forces déjà présentes.

Les conditions d’une négociation diplomatique produisant des effets positifs concrets ne paraissent pas réellement réunies aujourd’hui. L’attitude des États-Unis face à son échec probable est difficile à anticiper. En revanche, la nécessité de trouver des moyens d’action pour permettre à l’Ukraine de tenir face à l’agression russe demeure une ardente nécessité pour la coalition des volontaires.

Christian Girard

Voir également :

[*] Le vice-amiral (2s) Christian Girard : Breveté de l’École supérieure de guerre navale, dont il a été professeur, a également été conseiller militaire à la direction des affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement du ministère des Affaires étrangères. Spécialiste des opérations maritimes, il a été responsable de l’entraînement des navires de surface auprès de l’amiral commandant la force d’action navale, dont il a été également ultérieurement l’adjoint pour la direction générale, fonction qu’il a créée. Ses dernières fonctions dans la Marine ont été celles de sous-chef d’état-major opérations et logistique de l’État-major de la Marine. A ce titre, il a été le premier ALOPS, amiral chargé des opérations de la Marine.

L’amiral Christian Girard est l’auteur de quatre livres : « L’île France – Guerre, marine et sécurité » publié en 2007 aux Éditions L’Esprit du livre dans la Collection Stratégie & Défense. En 2020, « Enfance et Tunisie » (non-commercialisé). En 2022, « Ailleurs, récits et anecdotes maritimes de la fin du XXe siècle », enfin, « Cailloux stratégiques ». Pour se procurer « Ailleurs, récits et anecdotes maritimes de la fin du XXe siècle » et « Cailloux stratégiques » commander sur Amazon.

Analyses de l’amiral Christian Girard (2s) :