La guerre d’Ukraine

Au début de l’hiver météorologique 2024-2025, l’hiver est également politique pour l’Ukraine, avec la perspective de l’arrivée au pouvoir de Donald Trump en janvier 2025. L’incertitude sur l’issue du conflit se double d’un fort pessimisme. L’Ukraine pourra-t-elle tenir sans le soutien américain ? Les récentes décisions du président Biden — autorisation de frapper le territoire russe avec des missiles ATACMS et livraison de mines anti-personnel — arrivent bien tard pour produire un réel effet stratégique à court terme. Elles constituent un desserrement des contraintes exercées sur la stratégie ukrainienne par les Occidentaux mais ne traduisent pas son réel affranchissement, souhaité ici depuis plusieurs mois. Il demeure inaccessible à court terme. Point de situation après l’élection de Donald Trump.

par le Vice-Amiral Christian Girard (2S) — Toulon, le 25 novembre 2024 —

Ces décisions ont provoqué, en revanche, la réaction presque immédiate de la Russie qui a renouvelé ses menaces d’étendre le conflit en direction des puissances aidant l’Ukraine à attaquer son territoire. Elle a ainsi procédé à l’essai d’un missile balistique de moyenne portée, apparemment nouveau, sur une cible ukrainienne, non sans en avoir averti les États-Unis préalablement. Cette mesure s’inscrit de façon évidente dans la rhétorique de la dissuasion à des fins d’intimidation. Elle ne peut qu’être enregistrée avec calme et détermination car elle n’a d’autre importance que celle que les Occidentaux lui accorderont. C’est un non-sens tactique rapporté à son objectif militaire, en raison du coût d’une telle arme. Il est de plus à noter qu’il s’agit d’une arme de portée intermédiaire et non de portée intercontinentale. Elle est donc destinée à faire peur aux Européens sans menacer le territoire américain. Elle n’ajoute rien aux capacités actuelles de la Russie à partir notamment de Kaliningrad. Il s’agit bien de semer « la discorde chez l’ennemi ». L’essai et le discours de Vladimir Poutine qui l’a accompagné trahissent en réalité la fébrilité des autorités russes devant l’épuisement de leurs moyens conventionnels, prouvée par ailleurs par le recours aux supplétifs coréens et maintenant houthis. Ils ne traduisent pas plus un véritable risque d’emploi de l’arme sur le terrain que les précédentes déclarations et mesures de mise en alerte des forces nucléaires. La mise en œuvre réelle d’un tel armement ne peut être qu’un aveu d’échec dans le jeu de la dissuasion. Elle susciterait une réprobation internationale unanime et, certainement aussi, des réactions militaires écrasantes de la part des États-Unis au moyen de forces conventionnelles.

Dans ce contexte, le soutien que la France, le Royaume Uni et l’Union européenne, affichent à l’égard de l’Ukraine ne pèse pas d’un grand poids militaire, alors que le chancelier allemand, sous l’influence de l’extrême gauche de son parti et en campagne pour de nouvelles élections reste toujours frileux. Il ménage la Russie, refuse de livrer des missiles Taurus, et reprend même un contact téléphonique direct avec son président.

La perspective d’un cessez-le-feu négocié, et imposé, par les États-Unis se profile donc pour l’année 2025. Il figerait l’abandon à la Russie de 20% du territoire ukrainien et le renoncement aux recours juridiques et moraux auxquels ce pays a droit, en raison de l’agression et des pertes subies, non moins que des malheurs endurés depuis presque trois années. Du côté des Européens, ce serait aussi un abandon et un renoncement pour leur sécurité et dans le domaine du droit et des relations internationales. Il ouvrirait des perspectives stratégiques encore plus négatives que celles que le refus du président Obama d’intervenir en Syrie a enclenchées après l’usage des gaz par le régime de Bachar El Assad contre les populations civiles. Il constitua un feu vert donné à la Russie pour intervenir au-delà de ses frontières, en Syrie d’abord en 2011, puis en Crimée et dans le Donbass en 2014.

Amiral Christian Girard

Peut-on imaginer que la Russie respec-terait dans le temps un tel statu quo ? Ce ne pourrait être en réalité qu’une pause dans le projet géopolitique de reconsti-tution de l’empire russe. Ce serait un nouvel abandon qui ouvrirait d’autres portes à la stratégie de conquête du Kremlin à la périphérie de son immense territoire en direction de l’ouest, Moldavie, Géorgie, pays Baltes sans doute en priorité.

Vice-amiral Christian Girard (2S) — Photo DR.

L’incertitude est donc aujourd’hui, principalement, du côté de la future politique américaine.

Les profils des différents collaborateurs choisis par Trump pour sa future administration ne laissent pas d’inquiéter. Les leçons de géopolitique de l’école américaine peuvent-elles être totalement ignorées, méconnues, piétinées ou abandonnées par ces diverses personnalités dont la caractéristique commune est d’être des fidèles du président élu, mais qui apparaissent dénuées d’expertise dans les domaines concernés ? La volonté de maitriser le « Deep State » pourra-t-elle complètement annihiler toute modération, continuité ou réflexion, provenant des structures administratives face à des décisions irréfléchies aux conséquences qui pourraient être très graves, d’abord pour les intérêts américains. On peut raisonnablement espérer que ce ne sera pas le cas.

Des oppositions devraient se manifester à l’intérieur même de la majorité républicaine.  Dans quelle mesure les grands intérêts économiques, industriels et financiers américains, éminemment représentés par Elon Musk, accepteront-ils le protectionnisme annoncé, alors qu’ils profitent largement de la mondialisation ?  Le caractère ploutocratique et l’inspiration libérale du régime américain n’ont certainement pas disparu après la récente élection présidentielle, bien que cette dernière paraisse à l’évidence être une réaction contre cet état de fait.

Il faut observer également qu’en matière de relations internationales la politique américaine n’a pas véritablement connu de rupture brutale et immédiate à la suite d’un changement de président.

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Dernier meeting de campagne pour le candidat Donald Trump — Capture d’écran

Trump lui-même reste une énigme. A-t-il une réelle vision stratégique au-delà de ses déclarations simplistes dont la finalité de propagande électorale était évidente ? Peut-il se permettre d’abandonner les pays de l’Est européen qui, depuis leur émancipation du communisme, manifestent un fort tropisme américain en donnant en particulier la priorité aux achats de matériel militaire d’outre-Atlantique et qui satisfont à ses exigences pour l’effort de Défense ? En d’autres termes, les États-Unis peuvent-ils se désintéresser de l’Europe au prétexte que leur véritable rival est Chinois, lequel est un aussi un allié de la Russie, tout comme la Corée du nord qui déploie aujourd’hui des troupes en Russie ? Ce serait évidemment un contresens géopolitique qui irait à l’inverse de toute la stratégie américaine née après la Seconde guerre mondiale et conduite depuis. Tout recul occidental en Ukraine ne manquerait pas non plus d’être interprété par la Chine comme un aveu de faiblesse qu’elle pourrait exploiter sur le théâtre indopacifique et à Taiwan en particulier.

Cependant, un ralentissement de l’aide militaire et la recherche d’une ouverture diplomatique pour négocier un « deal » sont probables. Mais le contenu d’un éventuel projet d’accord ne peut être complètement anticipé, tant la psychologie opportuniste de son inspirateur est difficile à cerner.

Volodymyr Zelenski - Photo Dmitri/X
Volodymyr Zelensky — Photo © Dmitri/X (24 juin 2023)

Quel en serait le contenu au-delà du gel de la situation actuelle au moyen d’un accord de cessez-le-feu ? A supposer que ce dernier puisse être formalisé, donc en tenant compte des exigences immédiates de la Russie, comment pourrait-il être accepté du côté ukrainien et de celui des pays européens ? En cas de probable désaccord de ces derniers, Trump serait-il réellement en mesure de l’imposer ? Il est permis d’en douter fortement. Se contenterait-il alors de réduire, voire de supprimer son aide à l’Ukraine et de retirer ses troupes du continent européen, alors que les États-Unis se sont engagés, en marge du sommet de l’Otan à Washington en juillet de cette année, à déployer des nouveaux missiles balistiques en Allemagne à l’horizon de 2026 ?

Ce serait pratiquer une politique à la Ponce Pilate, les États-Unis laissant aux pays européens la charge du soutien de la guerre d’Ukraine. C’est à cette éventualité que les pays de l’UE et le Royaume Uni doivent urgemment se préparer, même si son occurrence n’est pas certaine. Il n’apparaît pas, pour le moment, et malheureusement, que ce soit réellement le cas./.

Christian Girard

Sur la guerre en Ukraine, voir également de l’amiral Christian Girard :