À quand un Prix Nobel de la Connerie ?

Si tous les cons volaient en escadrille, dit l’adage, pas un avion ne pourrait décoller. Mais après le vol rocambolesque des bijoux de l’impératrice Joséphine au Louvre, force est de constater qu’ils ont trouvé un terrain d’atterrissage de choix : l’un des musées les plus prestigieux du monde.[1] Et là, mes amis, nous ne sommes plus dans la simple anecdote belge (toutes nos excuses à nos voisins, qui doivent bien rire de nous en ce moment). Nous sommes face à un cas d’école qui mériterait d’être étudié dans toutes les académies de la bêtise humaine.

Quand le Louvre devient le théâtre d’une farce nationale

Le professeur Alain Bauer, éminent spécialiste de la sécurité, va devoir ajouter un chapitre substantiel à son ouvrage « Les criminels les plus cons de l’histoire ».[2] Mais cette fois, ce ne sont pas les voleurs qui remportent la palme – ces pieds nickelés ont simplement profité d’une aubaine. Non, le véritable exploit revient à ceux qui étaient censés protéger le patrimoine national. Car lorsqu’on apprend que le mot de passe informatique du Louvre était… « LOUVRE », on ne sait plus s’il faut rire ou pleurer.[3] C’était tellement énorme que beaucoup ont cru à un canular. Hélas, la réalité a dépassé la fiction la plus grotesque.

La connerie comme dispositif : l’analyse de Maxime Rovere

Pour comprendre ce qui s’est passé, il faut se tourner vers le philosophe Maxime Rovère et son brillant essai « Que faire des cons ? ».[4] Rovère nous explique que la connerie n’est pas simplement une absence d’intelligence, mais un véritable dispositif dans lequel nous tombons tous… « Le problème n’est pas la connerie, ce sont les cons »,[4] écrit-il avec une lucidité désarmante. Et il ajoute cette observation cruciale : « Les cons ne nous laissent pas tranquilles, et ils accablent particulièrement ceux qui voudraient vivre loin d’eux ».[4]

Au Louvre, nous avons assisté à la mise en place parfaite de ce dispositif. Car la connerie, nous dit Rovere, possède une propriété essentielle : elle est contagieuse. « Plus vous savez et sentez que le con est un con, plus vous perdez votre pouvoir de bienveillance, plus vous vous éloignez de votre propre idéal humain, et plus vous vous transformez vous-même… en un con ».[4] C’est exactement ce qui s’est produit : une chaîne de responsabilités diluées, où chacun a probablement pensé que quelqu’un d’autre s’occuperait du problème. Le responsable informatique qui choisit « LOUVRE » comme mot de passe ne travaillait pas seul dans son coin – il faisait partie d’un système où la médiocrité s’était installée confortablement, comme un chat sur un radiateur.

L’obstination des cons : un moteur historique

Maxime Rovère nous met en garde : « Les cons s’obstinent ».[4] Et c’est là que réside toute la difficulté. Car la connerie n’est pas un résidu qu’on pourrait éliminer avec un bon coup de balai. Au contraire, elle est « l’un des principaux moteurs de l’Histoire, une force qui – malgré ou plutôt grâce à son aveuglement – a remporté une grande partie des luttes du passé et en remportera beaucoup à l’avenir ».[4]

Au Louvre, cette obstination a pris la forme d’une accumulation de négligences. Chaque révélation apporte son lot de stupéfaction : le mot de passe ridicule n’était que la cerise sur un gâteau déjà bien indigeste.[3] Les disfonctionnements s’empilaient depuis des années, chacun trouvant probablement normal de ne rien faire tant que rien de grave ne se produisait. Jusqu’à ce dimanche matin où des malfaiteurs, probablement aussi surpris que ravis, ont découvert qu’ils pouvaient se servir comme dans un libre-service.

Devenir moins con : la méthode Delval appliquée aux institutions

Quentin Delval, dans son ouvrage publié aux éditions bien nommées « Hors d’atteinte », propose une approche pragmatique : « Comment devenir moins con en dix étapes ».[5] Sa première leçon pourrait s’appliquer directement au cas du Louvre : reconnaître qu’on a un problème. Car c’est bien là que le bât blesse. Combien de réunions, de rapports, d’alertes ont été nécessaires avant qu’on ne se rende compte que quelque chose clochait ?

Delval insiste sur un point crucial : la connerie masculine (puisqu’il s’adresse principalement aux hommes) se caractérise par un refus d’admettre ses failles. « Être un homme, c’est aussi et surtout être détaché de ses émotions et de sa sensibilité »,[5] écrit-il. Transposé au niveau institutionnel, cela donne des organisations où personne ne veut être celui qui sonne l’alarme, où l’on préfère maintenir une façade de compétence plutôt que d’avouer qu’on ne maîtrise plus la situation.

Le mot de passe « LOUVRE » n’est pas une simple erreur technique. C’est le symptôme d’une culture organisationnelle où l’on fait semblant que tout va bien, où l’on esquive les responsabilités, où l’on se dit « j’allais justement m’en occuper » sans jamais passer à l’acte. Delval décrit parfaitement ce mécanisme : « Je traîne sur les tâches […] La tension monte […] Au lieu d’accepter le conflit qui permettrait de sortir de la situation, j’admets tout et je promets que ça va changer ».[5] Remplacez « je » par « l’institution » et vous avez le portrait exact de ce qui s’est passé au Louvre.

La France, championne du monde de la connerie ?

Alain Bentolila, dans son essai au titre provocateur « Comment sommes-nous devenus si cons ? », pointe du doigt une dérive collective.[6] « De mensonges en manipulations, de complaisances en lâchetés, notre intelligence collective se délite jour après jour »,[6] écrit-il. Et il ajoute cette observation glaçante : « Nous sommes devenus cons parce que nous avons renoncé à cultiver notre intelligence commune comme on cultive un champ pour nourrir les siens ».[6]

Le cas du Louvre illustre parfaitement cette déliquescence. Comment un pays qui se targue d’être la patrie des Lumières, qui possède l’un des patrimoines culturels les plus riches du monde, peut-il en arriver là ? La réponse est dans la complaisance généralisée. Bentolila parle de notre « peur de regarder plus loin que nous », de notre renoncement à « transmettre à nos enfants, par l’exemple des combats que nous aurons menés pour le vrai et le beau, le désir de construire un monde meilleur ».[6]

Au Louvre, personne n’a voulu regarder plus loin que le bout de son nez. Chacun s’est contenté de faire son petit boulot, sans se préoccuper de la cohérence d’ensemble. Le résultat ? Une sécurité digne d’un musée de province des années 1970, dans un établissement qui accueille des millions de visiteurs et abrite des trésors inestimables.

Le cercle vicieux de la médiocrité institutionnelle

Rovere nous met en garde contre ce qu’il appelle « les sables mouvants » : plus on se débat contre la connerie, plus on s’y enfonce. « Il est structurellement impossible d’être un simple témoin de la connerie »,[4] écrit-il. Au Louvre, chaque acteur qui a constaté un dysfonctionnement s’est probablement dit : « Ce n’est pas mon problème », « Quelqu’un d’autre s’en occupera », ou pire, « Si je dis quelque chose, je vais me mettre tout le monde à dos ».

Cette attitude crée ce que Rovere appelle un « dispositif » : un système où la connerie se nourrit d’elle-même, où chaque lâcheté individuelle renforce la médiocrité collective. Et le philosophe de conclure : « Vous n’êtes pas le prof des cons. Changez les situations, pas les personnes ».[4] Autrement dit, ce n’est pas en pointant du doigt les responsables qu’on résoudra le problème, mais en transformant radicalement le système qui a permis cette catastrophe.

L’humour comme dernier rempart

Face à cette débâcle, l’humour devient notre seule arme. Car comme le dit Rovere, la connerie nous blesse, et cette blessure nous contrarie.[4] Le rire permet de reprendre le contrôle, de sortir du « cercle vicieux » où la colère contre les cons nous transforme nous-mêmes en cons. Les Français, champions du sarcasme, ont immédiatement réagi sur les réseaux sociaux avec une créativité réjouissante. Certains ont proposé d’autres mots de passe tout aussi sécurisés : « MUSEE », « PARIS », ou encore « MOTDEPASSE ». D’autres ont suggéré de rebaptiser le Louvre en « Passoire Nationale ».

Mais derrière le rire, il y a une vraie souffrance. Le Figaro a consacré une page entière aux dysfonctionnements, et chaque jour apporte son lot de nouvelles révélations.[3] La France se sent « offensée et ridiculisée », et à juste titre. Car ce qui s’est passé au Louvre n’est pas un simple fait divers, c’est le symptôme d’un mal profond qui ronge nos institutions.

Conclusion : vers un sursaut collectif ?

Alors, les Français sont-ils plus cons que les autres ? La question est mal posée. Comme le rappelle Rovere, « on est toujours le con de quelqu’un ».[4] Mais ce qui distingue les nations, ce n’est pas l’absence de cons – ils existent partout – c’est la capacité à les empêcher de nuire. Et sur ce point, force est de constater que nous avons échoué de manière spectaculaire.

Le scandale du Louvre devrait être l’occasion d’un électrochoc national. Pas seulement pour améliorer la sécurité des musées, mais pour repenser en profondeur notre rapport à l’excellence, à la responsabilité, à l’exigence. Bentolila nous rappelle que « transmettre, ce n’est pas étaler des connaissances apparemment infinies […] Transmettre, c’est faire un tri, sélectionner ce que l’on veut conserver pour mieux agir, pour mieux comprendre ».[6]

Il est temps de faire le tri. De sélectionner ce que nous voulons conserver de notre héritage culturel et institutionnel, et d’avoir le courage de jeter le reste. Car si nous continuons sur cette pente, le Prix Nobel de la Connerie ne suffira bientôt plus : il faudra créer toute une académie.

En attendant, si vous cherchez un mot de passe sécurisé, évitez « LOUVRE ». Essayez plutôt « JeSuisUnCon123! » – au moins, ce sera honnête.

Joël-François Dumont

Sources et références

[1] Information concernant le vol des bijoux de l’impératrice Joséphine au musée du Louvre, événement largement relayé par la presse française.

[2] Bauer, Alain, Les criminels les plus cons de l’histoire, Éditions First, 2020. (une actualisation s’impose)

[3] « Un royal échec » : Le Figaro daté du 7 novembre 2025 consacre trois pages aux graves dysfonctionnements après « l’humiliant cambriolage » commis au Louvre le 19 octobre dernier, avec l’édito d’Yves Thréard. « Chaque autorité se renvoie la patate chaude tout en faisant en sorte que les responsabilités soient incertaines et diffuses

[4] Rovère, Maxime, Que faire des cons ? Pour ne pas en rester un soi-même, Éditions Flammarion, Paris, 2019, ISBN : 978-2-0814-5207-7.

[5] Delval, Quentin, Comment devenir moins con en dix étapes, Éditions Hors d’atteinte, 2023.

[6] Bentolita, Alain, Comment sommes-nous devenus si cons ?, Éditions First, un département d’Édi8, 2014, ISBN : 978-2-7540-7032-4.

Note : Ce texte est une analyse critique croisant trois approches philosophiques de la connerie (Rovere, Delval, Bentolila) appliquées au cas du vol au musée du Louvre et aux dysfonctionnements de sécurité révélés par la presse française.