Au tout début des années 80, la Russie s’était préparée à une intervention militaire en Pologne. Pour le Kremlin, pas question de refaire le coup de Prague de 1968 ou l’intervention des chars à Budapest en 1956 ou à Berlin en 1953. Il fallait « faire soft », ce qui n’est toujours pas une spécialité russe ! Le Département A du KGB a alors lancé une gigantesque campagne de désinformation pour nous donner envie de comprendre le contraire de ce qu’était le projet soviétique en cours d’exécution…

Introduction : « Un serpent change de peau, mais il ne change pas de nature »
Le ministre de la défense André Giraud a eu toutes les peines du monde à créer un observatoire spécialisé. Finalement il a dû y renoncer. C’est ainsi qu’est né l’Institut d’Études de la Désinformation. 80 journalistes français et étrangers ont décidé de traquer celle-ci, ce qui leur a valu à l’époque d’être catalogués d’extrême-droite ! Pour la gauche la Russie n’était pas une menace et pour l’extrême-gauche, elle restait le phare qui éclairait les travailleurs ! A l’époque Valeurs Actuelles dénonçait la menace soviétique, tandis que le Monde Diplomatique voyait en nous « des délateurs zélés qui auraient fait merveille sous l’occupation ». Ce qui a valu au directeur du Monde Diplomatique, Claude Julien, d’être condamné « comme agent du KGB » et au directeur du Monde, André Fontaine, comme « complice ». Le jugement en appel a été encore plus dur que le premier.[*]
Aujourd’hui, c’est le Monde qui mène la course en tête. La plupart des journalistes orientés à gauche condamnent l’invasion russe en Ukraine alors que nombre de journalistes classés de droite voient au contraire en Vladimir Poutine un modèle ! O tempora… Heureusement il y a toujours des exceptions pour confirmer les règles.
Il n’y a qu’à lire sur ce site les papiers de Françoise Thom depuis les années 2000 pour se rendre compte que ceux qui voulaient pouvaient savoir. Poutine n’a jamais caché ses objectifs tout comme Hitler. Il y a ceux, dans les années 30, qui ont baissé la garde alors que la menace était bien réelle, ceux qui prétendaient entre 1985 et 2017 « engranger les dividendes de la paix » (fallait la trouver celle-là) ! Aveuglement pour les uns, wishful thinking pour les autres, voire trahison pour les derniers qui ont trouvé là des sources de profit inavouables.
Dans ce concert des années 80, la voix de Mitterrand a fait scandale (à gauche) quand il a énoncé, avec un courage et une lucidité rares chez un homme politique, cette vérité première : « le pacifisme est à l’Ouest, et les euromissiles sont à l’Est » !
Il est beaucoup trop tôt pour dresser un bilan de l’action d’Emmanuel Macron, mais au moins sur deux plans, il suscitera un jour prochain le respect pour avoir à la fois interrompu cette spirale qui, année après année, aura diminué les budgets de nos armées au point de ne plus laisser qu’une force de frappe que nous a heureusement léguée le général de Gaulle et à laquelle personne n’a osé toucher. Il faut dire que, sans celle-ci et sans ce siège à l’ONU que le général nous a obtenu grâce à l’aide de Churchill, la voix d’un président français ne compterait pas beaucoup dans le monde.
Aujourd’hui « on nomme » enfin l’adversaire voire l’ennemi… Quelle rupture après tant d’années ! Les deux interventions de Nicolas Lerner sur LCI et du GA Thierry Burkhard montrent que « quelque chose change ». Une valse à trois temps médiatique que Céline Berthon, directrice générale de la sécurité intérieure, (DGSI) avait ouvert dans l‘émission C dans l’air sur France 5 le 15 juin 2025.
Les mauvaises langues diront que les patrons des grands services étrangers interviennent quand la situation l’exige et que la France a compris à son tour que le message passait sans doute mieux quand il émanait des opérationnels que lorsqu’il venait de responsables politiques ! Espérons qu’il ne soit pas trop tard pour nous préparer à une nouvelle guerre où comme dab nous savions tout à l’avance et où nous n’avions rien fait ![**]
Joël-François Dumont
Le dossier de la semaine de la rédaction d’European-Security est consacré à ce moment de « clarté stratégique » à l’ère d’une confrontation qui se rpécise chaque jour davantage en espérant qu’elle n’aura pas lieu. L’Europe est-elle à un tournant de son histoire ? Le sentiment d’être « lâchée » après 80 ans d’une relation transtatlantique qui avait garanti à notre continent la paix et la prospérité en nous épargnant des conflits mondiaux. Les interventions publiques du DGSE et du CEMA en France et leur résonance médiatique montrent que quelque chose bouge, que la fin de la récrée a enfin été sifflée.
Sommaire
I) Un tournant coordonné dans la communication stratégique française
Un enchaînement d’événements médiatiques exceptionnels a marqué le paysage stratégique français en juillet 2025. En l’espace de quelques jours, le Directeur Général de la Sécurité Extérieure (DGSE), Nicolas Lerner, a accordé un entretien télévisé à la chaîne LCI – une seconde occurrence seulement en quarante ans pour un patron du service en exercice – suivi de près par une rare et vaste conférence de presse du général d’armée Thierry Burkhard, Chef d’État-Major des Armées (CEMA).[01][02] Loin d’être une coïncidence, cette séquence s’apparente à une campagne de communication stratégique méticuleusement orchestrée.[02]
Ces interventions signalent un changement fondamental dans la politique de l’État français, s’éloignant de la culture traditionnelle du secret de « la Grande Muette » pour adopter une nouvelle doctrine de « lisibilité stratégique ».[03]
L’objectif est triple : préparer et inoculer la société française contre les menaces hybrides, adresser un message de dissuasion clair aux adversaires, et signifier la résolution et l’orientation stratégique de la France à ses alliés.
Ces prises de parole s’inscrivent dans un contexte mondial que le général Burkhard qualifie de « moment de bascule »[02][04] caractérisé par un recours décomplexé à la force et un « effet cliquet » de crises qui se superposent et s’excluent mutuellement tout retour en arrière.[02]
En définitive, les interventions de Nicolas Lerner et de Thierry Burkhard représentent un effort unifié et délibéré de l’appareil sécuritaire français pour articuler une nouvelle réalité stratégique, plus conflictuelle, principalement motivée par la « menace existentielle » que représente la Russie, et pour aligner publiquement les postures du renseignement et des armées en réponse à cette réalité.
II) La doctrine du renseignement dévoilée : Analyse de l’interview de Nicolas Lerner (LCI, 8 juillet 2025)

2.1 La fin de la « Grande Muette » : La portée politique d’une DGSE exposée au public
L’entretien de Nicolas Lerner constitue une rupture culturelle et institutionnelle. La DGSE, historiquement surnommée « la Piscine » en référence à son siège du boulevard Mortier, a toujours cultivé l’ombre. Cette apparition est perçue par des médias comme le site marocain le1.ma comme un acte politique fort, un signal que « la maison est debout », réarmée et recentrée sous l’impulsion du président Emmanuel Macron.[03] Il s’agit de montrer un service qui a surmonté ses difficultés passées et qui est désormais en pleine possession de ses moyens.
Cette nouvelle posture illustre une prise de conscience : dans un monde où le champ informationnel est devenu un théâtre d’affrontement à part entière, la communication n’est plus seulement un exercice de transparence, mais une arme de contre-influence.[03] En s’exprimant publiquement, par exemple pour réfuter les allégations du fondateur de Telegram, Pavel Dourov, la DGSE cherche à reprendre le contrôle du narratif et à contrer les campagnes de déstabilisation.[03] Ce changement de paradigme est soutenu par un renforcement massif des capacités du service. Depuis 2017, la DGSE a vu ses effectifs augmenter de 1100 agents, avec 500 recrutements supplémentaires prévus, et bénéficie d’une augmentation substantielle de ses crédits, notamment pour financer son déménagement colossal au Fort Neuf de Vincennes d’ici 2030-2031.[03][05][06][07] Cette puissance matérielle confère un poids tangible à la parole de son directeur.
2.2 Russie : Anatomie d’une « menace existentielle »
Le message central de Nicolas Lerner, repris par l’ensemble des médias, est que la Russie constitue une « menace existentielle à moyen et long terme pour l’Europe, pour nos démocraties, pour nos valeurs ».[08][09][10] Il ne s’agit plus d’une simple compétition stratégique, mais d’un conflit de systèmes.

Le chef de la DGSE déconstruit la doctrine du Kremlin, identifiant deux piliers fondamentaux : une « paranoïa » défensive face à l’essor des démocraties à ses frontières et une « nostalgie de l’empire russe ».[03][09] Il affirme que la Russie « prépare idéologiquement une possible intervention militaire » contre l’OTAN, faisant d’une attaque asymétrique contre un État balte une « hypothèse à envisager très sérieusement ».[08]
Cette analyse marque un durcissement significatif de la posture française. La menace russe n’est plus seulement un problème à gérer mais un danger existentiel à affronter. Ce changement de perspective justifie non seulement l’augmentation des ressources allouées au renseignement, mais aligne aussi son diagnostic sur celui de l’armée, qui se prépare à des conflits de « haute intensité ». Nicolas Lerner détaille également l’évolution de la guerre hybride menée par Moscou.

Avant l’invasion de l’Ukraine en 2022, environ 80 agents russes étaient actifs en France, dont 50 ont été expulsés depuis.[03][10] Aujourd’hui, le Kremlin opère de plus en plus par « proxies » et « agents jetables » [11] – des intermédiaires locaux rémunérés pour mener des actions clandestines et des opérations de sabotage physique, comme l’épisode des cercueils déposés près de la Tour Eiffel.[10] Le DGSE insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’opérations d’amateurs, mais d’actions sophistiquées visant à « miner la confiance dans nos institutions »[08][10] Ce point a particulièrement retenu l’attention de la presse internationale spécialisée comme The Record.[10]
2.3 L’échiquier mondial : Iran, diplomatie stratégique et autonomie européenne
Sur le dossier nucléaire iranien, Nicolas Lerner livre une évaluation empreinte de la prudence caractéristique du renseignement. Il confirme que les récentes frappes américano-israéliennes ont « sérieusement endommagé » le programme et lui ont fait prendre « plusieurs mois » de retard.[12][13][14] Cependant, il tempère immédiatement ce constat en soulignant une incertitude majeure : la localisation de la majeure partie du stock d’uranium hautement enrichi reste inconnue en raison du blocage de l’accès des inspecteurs de l’AIEA.[12][15] Il martèle qu’« aucun service de renseignement du monde » ne peut prétendre à une évaluation parfaite et totale de la situation [09][14] un message qui a constitué le principal angle de traitement pour les médias israéliens et certains titres américains.[12][13][15]

Parallèlement, le directeur de la DGSE expose une doctrine de « canaux permanents », affirmant que son service maintient le dialogue avec « la quasi-totalité des services de sécurité du monde », y compris ceux de pays adverses comme la Russie ou l’Algérie.[03] Cette « diplomatie du renseignement » est présentée comme un outil d’État crucial, qui perdure lorsque les relations diplomatiques formelles sont au plus bas. Elle s’avère particulièrement vitale dans la lutte contre le terrorisme, un domaine où la coopération reste une constante quasi universelle.[03][09] Enfin, un fil rouge de son intervention est l’appel à une plus grande autonomie stratégique européenne. Notant que les États-Unis, sous l’administration Trump, se recentrent sur leurs priorités internes, le directeur géénral de la DGSE affirme que l’Europe doit « apprendre à ‘faire plus’ » dans le domaine du renseignement, tout comme elle doit le faire en matière de défense [03][09] Il lie ainsi explicitement le renforcement de la DGSE à la doctrine française d’autonomie stratégique européenne.
2.4 Dans les coulisses de « la Piscine » : L’éthos et les méthodes de l’espionnage français moderne
Dépassant les stéréotypes à la James Bond [16] Nicolas Lerner esquisse le portrait d’un agent de la DGSE. Il le décrit comme devant être « malin, curieux, manipulateur, prudent ».[03] Il évoque aussi les quatre motivations classiques qui peuvent mener à la trahison, résumées par les « 4M » anglo-saxons : Money (l’argent), Morality (la morale, ou son absence), Mesmer (l’idéologie ou l’ego) et Motive (le mobile personnel).[03]

Tout en reconnaissant la puissance des outils technologiques et de l’intelligence artificielle, il insiste sur leur rôle d’assistance : ils sont là pour « aider à trier », non pour remplacer l’analyse humaine. Il met en garde contre l’infobésité – « trop de données tuent l’information » – réaffirmant ainsi la primauté de l’esprit humain et l’humilité opérationnelle du service.[03] Enfin, face aux craintes d’un « État profond », Nicolas Lerner s’attache à présenter la DGSE comme un service qui n’est pas hors de contrôle. Il souligne que ses actions sont strictement encadrées par la loi, soumises au contrôle politique et à la surveillance d’autorités indépendantes, un message clairement destiné à rassurer une opinion publique nationale méfiante à l’égard d’éventuelles dérives des services de renseignement.[03][09]
III) Le diagnostic militaire : La vision stratégique du général Burkhard (Conférence de presse du 11 juillet 2025)
3.1 Le nouveau paradigme de la menace : « Ce qui est le plus dangereux devient le plus probable »
La déclaration la plus marquante du général Burkhard, et qui résume sa pensée, est un véritable changement de doctrine : « Ce qui est le plus dangereux est aussi ce qui devient le plus probable ».[17][18] Cette formule renverse la matrice de risque traditionnelle qui classait les menaces selon leur probabilité et leur impact. Elle signifie que les armées françaises se préparent désormais activement à un conflit de haute intensité non plus comme une éventualité lointaine, mais comme un scénario plausible.

Cette évolution est la conséquence de ce que le CEMA nomme un « effet cliquet » : un monde de crises multiples et superposées [02] où aucun retour en arrière n’est possible. Il pointe une « accoutumance à la violence », illustrée par le fait qu’une attaque de 300 missiles par un État contre un autre puisse être considérée comme « pas très grave » au prétexte que la plupart ont été interceptés.[17] Cette banalisation d’actes extrêmes redéfinit l’environnement stratégique. Le général dresse ensuite un panorama complet des menaces qui s’exercent dans tous les champs et tous les milieux : sabotage des câbles sous-marins, militarisation de l’espace avec des manœuvres hostiles de satellites russes, cyberattaques massives et guerre informationnelle omniprésente.[04][17][19][20]
3.2 La France dans le viseur : « Principal adversaire » de la Russie en Europe
L’affirmation centrale du général Burkhard, largement reprise, est que le Kremlin « a fait de la France une de ses cibles prioritaires » et l’a désignée comme son « principal adversaire en Europe ».[01][02][11][19][20][21] Cette hostilité est directement liée, selon lui, au soutien de Paris à l’Ukraine.

Dans cette confrontation, le CEMA identifie explicitement la « cohésion nationale » comme un centre de gravité stratégique que les adversaires cherchent à attaquer par tous les moyens.[17] Il relie directement ce concept aux campagnes de désinformation (comme les affaires des punaises de lit ou des étoiles de David taguées) [11] et à l’instrumentalisation des flux migratoires.[17] Ce faisant, il fournit la justification militaire à l’effort de résilience sociétale que la communication de la DGSE vise à construire. Pour le général Burkhard, l’enjeu en Ukraine est absolu : une victoire russe serait une « défaite européenne »[04] [19] et l’objectif final de Vladimir Poutine est d’« affaiblir l’Europe et démanteler l’OTAN ».[19]
Le soutien à Kiev n’est donc pas un choix, mais une nécessité stratégique pour la sécurité même de la France.
3.3 L’adaptation des armées françaises : Doctrine, posture et présence
La conséquence militaire concrète de ce nouveau paradigme est le pivot vers la préparation à la « guerre de haute intensité ».[18] Le général Burkhard martèle que cette préparation est le meilleur moyen de dissuader un tel conflit de se produire. Cette orientation est en parfaite adéquation avec les réformes budgétaires et capacitaires engagées dans le cadre de la Loi de Programmation Militaire (LPM) 2024-2030.[06][22]

Le CEMA a également fourni une explication franche et inédite du changement de posture en Afrique. Il a soutenu que le modèle traditionnel des bases militaires permanentes était devenu un handicap, un symbole de souveraineté contestée qui générait « plus d’inconvénients que d’avantages » dans le contexte actuel.[17]
Cette analyse marque une évolution majeure de la pensée stratégique française sur son rôle sur le continent.
Enfin, si la Russie est l’adversaire principal, le général Burkhard n’omet pas les autres compétiteurs. Il identifie la Chine comme un « compétiteur global et structurant » menant une compétition économique et informationnelle (par exemple en cherchant à discréditer l’avion de combat Rafale) [11][17] et l’Iran comme une puissance régionale aux ambitions mondiales qui pratique le « terrorisme d’État ».[17][18]
La convergence des diagnostics du chef de la DGSE et du CEMA est si totale qu’elle constitue une véritable « doctrine française de la confrontation », présentée publiquement pour la première fois.
Qu’il s’agisse de la nature de la menace russe (« existentielle » pour Nicolas Lerner, « la plus dimensionnante » pour Thierry Burkhard), de ses méthodes (proxies et désinformation) ou des enjeux stratégiques (autonomie européenne et centralité de l’Ukraine), les messages sont identiques sur le fond. Un tel alignement n’est pas fortuit ; il est le fruit d’une décision coordonnée au plus haut niveau de l’État pour présenter une vision unique et cohérente de la menace, façonnant ainsi les conditions politiques et sociales nécessaires à une posture de défense plus robuste et coûteuse.
IV) L’écho médiatique : Réceptions françaises et internationales
4.1 Le regard depuis la France : Entre pédagogie et alarme
En France, la couverture médiatique de ces interventions s’est faite à deux vitesses. Les médias spécialisés dans la défense, comme OpexNews ou Armees.com, se sont concentrés sur la substance stratégique et doctrinale. Ils ont souligné la convergence des deux discours [08] le changement de paradigme incarné par la formule « le plus dangereux devient le plus probable » [18] et les détails techniques des menaces. Leur ton était analytique, s’adressant à un public déjà averti.
À l’inverse, les médias généralistes (LCI, BFMTV, Public Sénat) ont amplifié les déclarations les plus percutantes et anxiogènes : « principal adversaire de la Russie »,[02][21] « menace existentielle » [08] « cercueils à la Tour Eiffel ».[10] Leur couverture, visible dans les titres et les extraits vidéo [19] visait à sensibiliser le grand public, adoptant parfois un ton plus sensationnaliste centré sur le sentiment de danger immédiat. Les sources disponibles pour cette analyse ne font pas état de réactions spécifiques des figures de l’opposition politique française, comme Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon, à ces interventions précises de juillet 2025.[23]
4.2 Le prisme international : Les intérêts géopolitiques façonnent le récit
À l’international, la réception des messages français a été filtrée et réinterprétée à travers le prisme des intérêts et des préoccupations de sécurité de chaque région.
Pays/Région | Média(s) clé(s) | Axe thématique principal | Ton dominant | Citation/Idée clé | Identifiants |
Israël | The Jerusalem Post, The Times of Israel | Le programme nucléaire iranien. Focalisation quasi-exclusive sur l’évaluation par Lerner des dommages aux installations iraniennes et de l’incertitude sur le stock d’uranium. | Factuel, préoccupé, analytique. | « Incertain de la localisation du reste de l’uranium hautement enrichi de l’Iran. » | [12][13][15][10] |
États-Unis / Royaume-Uni | The Record, AP News, RFI English Service, Defense One | L’escalade de la guerre hybride russe contre l’Europe/l’OTAN. Cadrage des avertissements français dans le contexte d’une campagne de sabotage russe à l’échelle du continent. | Alarmé, urgent, axé sur la défense collective. | « Le chef du renseignement français met en garde contre l’évolution des opérations hybrides russes, une ‘menace existentielle’ pour l’Europe. » | [10][11][20][24][25] |
Maroc | le1.ma | La manœuvre politique et stratégique de l’État français. Analyse approfondie de l’interview comme un acte calculé de pouvoir, de communication et de repositionnement stratégique. | Sophistiqué, analytique, interprétatif. | « Cet entretien marque… une évolution méthodique : la volonté d’assumer une forme de lisibilité stratégique. » | [03] |
Turquie | Anadolu Agency | Le large spectre des menaces et l’appel à une défense européenne. Compte-rendu des avertissements de Burkhard sur la Russie comme « menace durable » et la nécessité de renforcer les capacités de défense européennes. | Informatif, géopolitique. | « Le chef de l’armée française met en garde contre une menace russe ‘durable’ et appelle à une défense européenne plus forte. » | [01][11] |
Cette fragmentation de la réception est révélatrice. La presse anglo-américaine, comme The Record [10] ou AP News,[24] a immédiatement intégré les propos de Lerner dans un narratif plus large et alarmant d’une campagne de sabotage russe à travers l’Europe, citant des incidents en Pologne, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. Cela reflète la préoccupation principale du cœur de l’OTAN. À l’inverse, la presse israélienne a presque entièrement ignoré la dimension russe pour se concentrer exclusivement sur les déclarations relatives au programme nucléaire iranien [12][13][15] démontrant un filtrage de l’information basé sur ses priorités de sécurité nationale. Le média marocain le1.ma a offert l’analyse la plus holistique, voyant dans l’événement non seulement un avertissement, mais aussi une manœuvre politique complexe de l’État français pour réaffirmer sa puissance et sa clarté stratégique.[03] Cette perspective reflète le point de vue d’un partenaire clé dans une région où l’influence française est contestée. Ainsi, bien que la France tente de projeter une doctrine universelle de clarté stratégique, son message est inévitablement décomposé et réinterprété par ses destinataires.
V) Conclusion : La doctrine de la lucidité et la voie à suivre
Les interventions successives de Nicolas Lerner et Thierry Burkhard ont cristallisé un moment de basculement. L’État français, par la voix des chefs de son renseignement et de ses armées, a publiquement articulé un diagnostic unique, cohérent et sans fard de l’environnement sécuritaire mondial. L’ère de l’ambiguïté est révolue ; l’âge de la confrontation a été formellement déclaré.
Cette nouvelle « doctrine de la lucidité » comporte des avantages et des risques. D’un côté, elle peut renforcer la conscience publique et la résilience face à la désinformation, envoyer des signaux de dissuasion plus clairs aux adversaires et accroître la crédibilité et le leadership de la France en Europe. De l’autre, elle risque d’accroître l’anxiété de l’opinion, d’enfermer la France dans une posture conflictuelle avec peu de marge pour la désescalade, et expose le pays à une perte de crédibilité si les paroles fortes ne sont pas suivies d’actions et d’investissements à la hauteur.
Une variable majeure plane sur toute cette stratégie : le facteur américain. La poussée française pour l’autonomie stratégique européenne [03][11] est une assurance contre un éventuel désengagement américain. Le succès de cette nouvelle posture française dépendra en grande partie de l’avenir de la relation transatlantique et de la capacité réelle de l’Europe à « faire plus ».
En définitive, ces interventions ont marqué un tournant. Elles ont dévoilé publiquement une France qui se perçoit comme une cible prioritaire dans une nouvelle ère de compétition mondiale et qui réoutille fondamentalement son appareil de sécurité et son état d’esprit collectif pour une lutte qui s’annonce longue. La voie à suivre exigera de traduire cette clarté stratégique en une volonté politique, une capacité industrielle et une résolution sociétale durables.
European-Security
[*] Claude Julien a été condamné comme « agent du KGB » par un jugement en première instance rendu par le Tribunal de Grande Instance de Paris le 6 mai 1988, jugement confirmé par la Cour d’Appel de Paris lors de son audience du 21 septembre 1988. Le premier journaliste condamné pour espionnage au profit de l’Union Soviétique en France, après l’enquête menée par la DST, sera Charles Pathé. « Le 23 mai 1980, la Cour de sûreté de l’État condamne Pierre-Charles Pathé à cinq ans de détention criminelle pour avoir remis durant une vingtaine d’années des analyses politiques et des notes de synthèse à des agents d’une puissance étrangère. Pierre-Charles Pathé est libéré de prison fin juin 1981, après avoir été gracié.» (Source DCRI). Les journalistes qui ont servi Moscou moyennant rétribution ont en commun de ne jamais été en prison, à part Pathé, et d’être tous morts dans leur lit ! Les derniers mis à jour ont subitement disparu du monde médiatique…
[**] Voir « Bon-Encontre : le chemin de l’honneur et de la Résistance » Intervention du GAA François Mermet lors du congrès de l’AASSDN — (2021-1011)
Voir également :
- « Russia: An Existential Threat to Europe » — (2025-0712) —
- « Rußland: Existenzielle Bedrohung für Europa » — (2025-0712) —
- « La Russie : une « menace existentielle » pour l’Europe » — (2025-0712) —
- « Росія: екзистенційна загроза для Європи » — (2025-0712) —
Notes
- [01] Burkhard : « Le Kremlin a fait de la France une de ses cibles prioritaires » | Anadolu Ajansı, (12 juillet 2025),
- [02] « Le Kremlin a fait de la France une de ses cibles prioritaires »… | (12 juillet 2025),
- [03] « La DGSE se relève et parle » | le 1.ma (12 juillet 2025),
- [04] Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées : « La défaite de l’Ukraine serait une défaite européenne » | Yahoo, (12 juillet 2025),
- [05] Assemblée Nationale « Tome II – Défense : Environnement et prospective de la politique de défense » | (12 juillet 2025),
- [06] Sénat : Renseignement et prospective : garder un temps d’avance, conserver une industrie de défense solide et innovante | Sénat, (12 juillet 2025),
- [07] « DGSE, quel est l’impact des services de renseignement ? » | YouTube, (12 juillet 2025),
- [08] « Nicolas Lerner (DGSE) : la Russie prépare une intervention militaire » | (12 juillet 2025),
- [09] « Exclusif : Pour la 1ere fois le patron de la DGSE ouvre les portes de l’institution à une télévision » | YouTube, (12 juillet 2025),
- [10] « French intel chief warns of evolving Russian hybrid operations » … | (12 juillet 2025),
- [11] « French army chief warns of ‘lasting’ Russian threat, urges stronger European defense » | (12 juillet 2025),
- [12] « French Intelligence: Iran’s Uranium Stockpile Location Unknown » | Kurdistan 24, (12 juillet 2025),
- [13] « French intelligence chief said some of Iran’s uranium destroyed » | The Jerusalem Post, (12 juillet 2025),
- [14] « Selon la DGSE, le programme nucléaire iranien a beaucoup de retard » | Armées.com, (12 juillet 2025),
- [15] « French spy chief: Uncertain where Iran’s remaining highly enriched uranium is located » | (12 juillet 2025),
- [16] « La communication au secret : comment la DGSE a remodelé son image publique » | (12 juillet 2025),
- [17] « Menace russe, nucléaire, terrorisme »… La conférence de presse du chef d’état-major des armées | YouTube, (12 juillet 2025),
- [18] « Le général Thierry Burkhard alerte sur la Russie, la Chine et l’Iran » | Opex News (12 juillet 2025),
- [19] Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées : « La défaite de l’Ukraine serait une défaite européenne » | Vidéo Dailymotion, (12 juillet 2025),
- [20] « Russia sees France as its ‘chief enemy’ in Europe, says head of French army | Yahoo, (12 juillet 2025),
- [21] « La Russie juge « la France comme son principal adversaire en Europe » (chef d’état-major) | (12 juillet 2025),
- [22] « Projet annuel de performances Défense » | (12 juillet 2025),
- [23] « What are the implications of Marine Le Pen’s fraud conviction? » | Inside Story – YouTube, (12 juillet 2025), & AP News, (12 juillet 2025),
- [24] The D Brief: Houthis sink second ship; « UK-France nuke deal; Russia’s drone factories; 3 Marine bases get ICE agents; And a bit more » | Defense One, (12 juillet 2025),
- [25] « Ce qui est le plus dangereux est aussi ce qui devient le plus probable » : la mise en garde du chef d’état-major des Armées | Opex News (11 juillet 2025),