Quand il s’agit d’aide civile ou humanitaire, on peut être certain que les Armées suivent les dossiers de très près. Les militaires se méfient des surprises car elles sont rarement bonnes. Ils assurent donc une veille dynamique 24H24 et se donnent les moyens d’assurer un suivi quasi systématique des dossiers sur pratiquement tous les « pays à risque » — c’est une des raisons d’être de la DRM — sans oublier les personnes chargées de les gérer, on ne sait jamais… Nos militaires, échaudés, ont l’avantage de savoir communiquer sans l’aide de « Spin doctors ».
Depuis plus de 40 ans, nos armées ont le mérite de former de vrais communicants qui ne manient pas la langue de bois et qui ne se complaisent pas dans l’émotion en privilégiant la durée à l’éphémère ! Au-delà des Instituts ou Centres spécialisés, toutes les armées du monde nous envie nos SIRPA…
C’est ainsi que je suis tombé le 14 décembre sur un papier qui a retenu toute mon attention : « Conférence de Paris : un milliard d’euros pour l’Ukraine ».[1] Un jour après la tenue de cette conférence co-présidée par les présidents français et ukrainien, Emmanuel Macron et Volodymyr Zelensky. Un événement qui a réuni dans la matinée du 13 à Paris pas moins de 46 États et de 24 organisations gouvernementales.
Nos deux présidents s’était mis d’accord pour trouver une solution « efficace » pour mobiliser la communauté internationale pour fournir — dans l’urgence — une aide médicale, qui corresponde aux besoins immédiats d’une population qui lutte parfois à mains nues contre un « terrorisme » énergétique qui ne dit pas son nom.
Comme l’a dit très justement Emmanuel Macron, l’objectif de la Russie est de « tenter de briser l’arrière faute de tenir le front ».[2] Ces bombardements systématiques sont faits pour terroriser les civils, détruire les infrastructures critiques et saper leur moral d’acier. Avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur les besoins en aide médicale, en approvisionnement alimentaire ou en aide humanitaire pour les personnes isolées !
L’idée géniale de cette conférence était d’imaginer « un mécanisme » qui fasse que côte à côte se retrouve ensemble ceux qui expriment des besoins précis et les sociétés capables de les assouvir « maintenant ».
« L’économie est un pilier qui doit demeurer solide car, après la guerre, c’est elle qui constituera le socle pour redévelopper le pays, générer des emplois et offrir un avenir à la jeunesse. Réunies à Paris, plus de 700 entreprises françaises se sont engagées à répondre aux besoins critiques de l’Ukraine et travailler à des investissements futurs. À travers elles, notre pays renouvelle aujourd’hui sa confiance dans le destin de l’Ukraine.» (Source Élysée).
L’UE se révèle être un contributeur essentiel à l’effort de guerre en Ukraine
« En marge de la conférence des donateurs, une seconde conférence franco-ukrainienne s’est tenue l’après-midi pour la résilience et la reconstruction de l’Ukraine. Réunissant près de 500 entreprises françaises, l’objectif était de mettre en lien les besoins critiques des Ukrainiens et les savoir-faire des acteurs français.»[2] l’après-midi.
C’est ainsi que l’on découvre que la France serait devenue « le 3ème contributeur mondial à l’effort de guerre en Ukraine [derrière l’Allemagne]. La journée s’est soldée avec un milliard d’euros récolté pour aider le peuple ukrainien à passer l’hiver. Les dons sont partagés selon les besoins les plus urgents : 415 millions d’euros pour le secteur de l’énergie, 25 millions pour l’eau, 38 millions pour l’alimentation, 22 millions pour les transports et enfin 17 millions pour la santé, le reste étant encore à répartir. Pour acheminer cette aide le plus rapidement possible sur le terrain, un nouveau mécanisme européen de coordination de l’aide d’urgence va être mis en place, appelé ‘mécanisme de Paris’ par le président Zelensky.» On apprend que « le président Macron a profité de la conférence pour annoncer une contribution exceptionnelle de 76,5 millions d’euros pour les infrastructures énergétiques, qui s’ajoute aux 200 millions déjà engagés en 2022. Concrètement, ce sont 63 générateurs électriques de haute puissance et plusieurs transformateurs, en complément des 100 déjà livrés en novembre, qui sont en route vers l’Ukraine.»
On découvre que « depuis le début du conflit, l’Union européenne (UE) se révèle être un contributeur essentiel à l’effort de guerre en Ukraine. Selon l’Institut de Kiel, l’ensemble des aides versées à l’Ukraine (États membres et institutions) place l’UE comme premier donateur en direction de Kiev. Dans le classement pays par pays, la France, par son soutien à la fois bilatéral et européen, est aujourd’hui le troisième contributeur mondial pour l’effort de guerre en Ukraine.»
Pour s’en convaincre il n’a qu’à faire comme ceux qui, chaque jour, échangent avec leurs correspondants en Ukraine, notamment tous ces jeunes, des femmes en particulier qui ont estimé que leur place était de constituer cet « arrière » pour soulager les hommes engagés pour combattre les forces russes d’occupation. Et c’est ainsi que l’on apprend que l’aide française et allemande est devenue une réalité qui se décline au quotidien.
Découvrir qu’on « est — enfin — passé de la parole aux actes »,[3] même si comme très souvent le démarrage est difficile, prouve que nos pays ont encore des ressorts et qu’ils s’en servent.
Pendant longtemps — trop longtemps — on a du se contenter de lire des informations contradictoires, voire négatives, sur l’aide apportée par la France et l’Allemagne à l’Ukraine agressée par la Russie. La plupart des critiques formulées n’étaient malheureusement ni dénuées de fondement ni d’arrière-pensées. Si l’on ajoute à cela certaines déclarations pour le moins inappropriées, des deux côtés du Rhin, on peut comprendre que le doute subsistait dans les esprits. Et comme chacun sait, rien n’est pire que le doute dés lors qu’il s’agit de faire confiance…
Au-delà d’une communication aussi mal gérée à Paris qu’à Berlin, les choses ont bien évolué et c’est heureux. Le bilan des aides tant militaires que civiles ou humanitaires a changé de dimension. Les Ukrainiens sont là pour le mesurer au quotidien dans les conditions de vie déplorables que leur impose la Russie de Poutine, avec le bombardement systématique de leurs infrastructures.
Au-delà d’un réconfort évident, ce sentiment d’être soutenu ne pourra demain que renforcer la cohésion et la volonté d’un peuple d’être, enfin à part entière, un des membres de ce grand orchestre européen auxquels ils sont si fiers d’appartenir. Les Ukrainiens, contrairement à leurs voisins, ont toujours, comme les Polonais, voulu et su « faire nation » sans aller voler les richesses ou massacrer leurs voisins dont les traditions séculaires de sauvagerie ont peu changé, des tzars de « toutes les Russies » à Staline jusqu’au dernier despote, Vladimir Poutine.
Quelques chiffres « significatifs » gagnent à être pris en considération pour nourrir notre réflexion et mieux imaginer l’avenir…
Le premier nous dit que « 88% des Ukrainiens entendent poursuivre leur lutte contre l’envahisseur » en résistant, malgré des conditions d’existence plus que déplorables, dans un froid parfois glacial, sans chauffage, médicaments parfois, les rendant entièrement dépendants de leur seul courage et de l’aide occidentale.
Le second, publié récemment par la Chaîne Rbc.ru, indique que 28% des Russes n’ont qu’un seul horizon « s’exiler ». Un exode rendu difficile depuis mai dernier car beaucoup de pays considère la Russie comme on pays de parias et ne veulent pas de jeunes dont la motivation est surtout d’éviter d’être enrôlés de force les condamnant à une mort plus ou moins certaine ! Si on ajoute ce nombre les 6-700.000 Russes qui ont quitté la Russie dés le 24 février, parmi lesquels plus de 120.000 jeunes ingénieurs en informatique,[4] on peut imaginer que ceux qui n’ont pas d’autre choix pour leur malheur n’ont qu’à se résigner en subissant les « happy few » qui ont, eux, tout intérêt à ce que « tout change pour que — surtout — rien ne change » au système Poutine dont ils profitent sans vergogne en spoliant leurs compatriotes et en s’accaparant les richesses du pays pour vivre dans un luxe excessif qui contraste avec l’extrême pauvreté de la population russe.
Selon Rbc.ru : « 38% des Russes âgés de 18 à 35 ans refusent de se considérer comme des citoyens russes ».[9] 28% des Russes se disent « prêts à émigrer » suivant l’exemple des 700.000 Russes qui, depuis février, ont choisi l’exil. Dans un pays dont la courbe de la population est en baisse constante depuis de longues années, de tels chiffres, invitent à la réflexion !
L’aide militaire à l’Ukraine : rendons à César ce qui est à Caesar !
Il faut également rappeler que sur le plan militaire, la France et l’Allemagne ont tout de suite répondu « présent » quand l’OTAN a chargé Paris et Berlin de prendre leur part, toute leur part, au renforcement de la sécurité des frontières des pays de l’Alliance, des pays baltes à la Roumanie, notamment. Puis l’aide militaire directe s’est accrue progressivement.
La livraison des Caesar par la France ayant sans aucun doute été un tournant après la visite à Kiev du président français accompagné du chancelier allemand, suivie de la formation d’artilleurs ukrainiens en France et en Allemagne.
Aujourd’hui, cette aide militaire après des semaines et des mois a radicalement modifié les statistiques qui longtemps, trop longtemps sans aucun doute, ont fait douter de la France et de l’Allemagne.
La France, curieusement, nous a habitués à très peu communiquer sur ce qu’elle savait faire de bien, sinon peut-être mieux que les autres et cela, on ne pourra que le regretter. Les Allemands, eux, ont trouvé leur salut dans la transparence…. En témoigne ce papier qui détaille ce que la Bundeswehr a livré à l’Ukraine ![5]
La semaine dernière, Paris a montré que l’urgence hivernale voyant se décupler au quotidien les bombardements de missiles de croisières aux drones, exigeait des actes forts suivis d’effet. Libération avait publié quelques jours plutôt un chiffre qui n’avait surpris personne : entre les promesses de don et leur transmission, le chiffre était pour le moins indécent.
L’initiative française d’un sommet — « un de plus » — s’est avérée à la hauteur des enjeux. On est passé des paroles aux actes. D’abord, un discours du président Macron, épluché à la loupe qui a su trouver le mot juste sans fausse note le lendemain, qui était clair et précis. Mais mieux encore, l’organisation a été prévue pour que le côté pratique puisse avoir des effets immédiats en mettant les Ukrainiens en prise directe avec les sociétés françaises ou européennes concernées par l’urgence hivernale et les besoins humanitaires. Du jamais vu mais une semaine plus tard, des effets perçus avec reconnaissance par une population admirable qui fait face avec une dignité et un courage exemplaire.
Pendant que la ministre allemande des Affaires étrangères était à Paris, le chancelier à Berlin a célébré le 70e anniversaire du « Comité Est » (Ost Ausschuss), un comité totalement inconnu en France mais dont les chiffres éloquents rappellent que l’ouverture à l’Est de l’Allemagne vers 29 pays avait aussi des objectifs économiques évidents : « Le commerce allemand avec l’Est représente au total environ un cinquième de l’ensemble du commerce extérieur, soit plus que le commerce avec les États-Unis et la Chine réunis » confirme le Chancelier…[6] se félicitant de la mise en œuvre d’un « Desk Ukraine » par ce Comité Est.
En réponse, le président de l’Ost-Ausschuss, Hans-Ulrich Engel détaille ces chiffres rappelant qu’en « 1952, on partait presque de zéro. Aujourd’hui, 70 ans plus tard, le commerce allemand avec les 29 pays dans lesquels le Comité Est soutient les entreprises allemandes a franchi la barre des 500 milliards d’euros. Cela correspond à près de 20 pour cent du commerce extérieur total de l’Allemagne. Depuis 1990, les investisseurs allemands ont investi plus de 140 milliards d’euros en Europe de l’Est, créant ainsi environ deux millions d’emplois.»[7]
Hans-Ulrich Engel — Photo © BASF
Avec le dynamisme qui est le sien, l’Allemagne entend rompre avec une alliance économique qui ne disait pas son nom depuis deux siècles pour jeter désormais son dévolu sur l’Ukraine, une terre très riche et une population qui a toujours su produire de la richesse, avec un potentiel considérable, de quoi remplacer tout ce que la Russie pouvait offrir avec son sous-sol si longtemps inexploité.
Les sanctions à la Russie vont durer !
Leurs effets sont déjà catastrophiques pour la Russie. Au-delà de l’exode des sociétés occidentales, tous les secteurs de l’économie russe vont être paralysés, comme c’est déjà le cas pour plusieurs d’entre eux. « L’impact dévastateur » prévu le 30 juillet dernier par l’équipe du professeur Alan Sonnenfeld de l’Université de Yale était prémonitoire.[8] Dans six mois, on en reparlera ! Et leur levée n’est pas par demain et elle sera très vraisemblablement soumise à des préalables militaires et financiers qui retarderont d’autant toute résurrection de l’économie russe. Quant au dirigeant politique qui pourrait estimer pouvoir seul décider d’y mettre un terme devra faire face à des traditions de rigueur américaines en la matière que l’a tord d’ignorer ! « Mais qui s’y frottera s’y piquera » comme me l’a confirmé un diplomate américain en poste à Bruxelles.
De quoi sera fait l’avenir pour la Russie post-poutinienne ?[9] Le choix sera de rester réduite à être un État paria, qui aura détruit sa modernisation en poursuivant une politique suicidaire « poutinienne sans Poutine » ou se mettre à la démocratie en se donnant des dizaines d’années pour y parvenir en oubliant les annexions des pays proches, les invasions barbares, les pillages, la déportation des populations quand elles n’auront tout simplement pas été exterminées.
Le dialogue exclusif avec des États voyous comme l’Iran, et la Corée du Nord, avec Wagner comme interprète au Mali ou en Centrafrique, sans parler de la Chine aura lui aussi une fin !
Joël-François Dumont
[1] Voir « Conférence de Paris : un milliard d’euros pour l’Ukraine » par Ministère des Armées (2022-12-14)
[2] « Tenter de briser l’arrière faute de tenir le front » (2022-12-13)
[3] « Quand les actes suivent les paroles » (2022-12-13). Après la conférence du matin, les politiques passaient la main aux experts, tandis qu’à Bercy, Bruno Le Maire et Denys Anatoliovytch Chmyhal « ont signé un certain nombre d’accords de coopération dans divers domaines.»
[4] Les autorités russes ont mis dix mois pour reconnaître avoir perdu plus de 100.000 informaticiens jeunes et qualifiés. Quelques hackers proches du pouvoir ou des mafias qui collaborent avec le pouvoir poutinien sont condamnés à rester en Russie de peur d’être retrouvés et jugés en Occident…. Voir « Moscow says 100.000 IT specialists have left Russia this year« . (Source AFP/Space War)
[5] Voir « German Military Support for Ukraine » (2022-12-07): Source BPA, Berlin.
[6] Voir « Olaf Scholz: L’Europe va changer, l’UE va changer en s’étendant vers l’Est » (2022-12-12) : Discours du chancelier lors de la cérémonie du 70e anniversaire du « Comité pour l’Est » de l’économie allemande (Ost Ausschuss).
[7] Voir « L’Allemagne et la diplomatie économique » (2022-12-12). Répondant au chancelier Scholz, Hans-Ulrich Engel, président du « Comité Est » entrevoit les nouveaux défis stratégiques de l’économie allemande face aux évolutions actuelles en Europe de l’Est. Quand l’Ukraine va se substituer à la Russie, plus qu’un mouvement d’humeur, c’est un véritable tournant qui met un terme à une série d’alliances germano-russes restées le plus souvent confidentielles.
[8] Voir « L’exode des entreprises et les sanctions paralysent l’économie russe » (2022-07-30) : Étude de la Yale school Management de la célèbre université américaine, conduite par le professeur Jeff Sonnenfeld prédisant, après cinq mois de guerre, que l’économie russe serait en train de « vaciller », selon les premières analyses économiques complètes disponibles qu’ils ont épluchées et mises en perspective.
[9] Voir « Point stratégique sur la guerre en Ukraine fin 2022 » par le Vice-amiral Christian Girard (2S) — (2022-12-20).