Time to Duck Donald !

On comprend ce pauvre Donald Duck. Partager son prénom avec le 47ème président des États-Unis est une épreuve permanente qui justifierait bien une thérapie ou, à tout le moins, un changement d’état civil. Car si l’un est un canard colérique mais au fond attachant, l’autre est un paradoxe sur pattes qui a redéfini les contours de la présidence américaine. « Shérif de l’apocalypse ou fou du tzar ? » Pour ceux qui le suivent, Donald Trump est un leader dont l’efficacité repose sur une stratégie de déconstruction des normes, une communication simpliste et répétitive, et une exploitation habile de la perception plutôt que des faits, le tout au service d’une quête de pouvoir personnelle, « incapable de distinguer ses intérêts personnels de ceux de la nation » comme l’a si bien dit John Bolton, son ancien Conseiller à la sécurité natioonale…

par Joël-François Dumont — Paris, le 2 août 2025 —

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America is back… Vous avez aimé la saison 1, vous allez adorer la saison 2 ! — White House Photo —

Portrait d’un président entre le Capitole et le green de Mar-a-Lago

On s’est longtemps interrogé pour savoir s’il était plus bête que méchant. C’est une excellente question. Il va nous falloir explorer cette dualité.

Introduction : Le paradoxe permanent

La clé de son succès ne résiderait-elle pas précisément là : être constamment sous-estimé par ses adversaires qui le jugent inculte, tout en déployant une ruse et une absence de scrupules qui le rendent redoutablement efficace auprès de sa base ?

Pour tenter de percer cette énigme, nous aborderons le personnage et sa psychologie particulière, sa bulle informationnelle comme stratégie de gouvernement, son bilan en politique étrangère marqué par le sceau du « deal » improvisé, et enfin, le fascinant culte de la personnalité qui l’entoure.

I. L’art de la grossièreté et l’ego surdimensionné en signature : le « personnage Trump »

Le personnage de Donald Trump se définit par une transgression permanente des codes, qu’ils soient sociaux, diplomatiques ou moraux.

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D. Trump, J.D. Vance et W. Zelenskyy dans le bureau ovale : un jour d’infamie pour les US — White House Photo

Son meilleur ami pendant près de quinze ans, le financier déchu Jeffrey Epstein, qui l’a côtoyé en partageant bien des secrets d’alcôve, l’a un jour décrit en des termes révélateurs.

Mannequins sous les cocotiers — Photo © European-Security
Mannequins sous les cocotiers — Photo IA © European-Security

En 2002, bien avant le scandale, Trump confiait lui-même au New York Magazine : « Je connais Jeff depuis quinze ans. C’est un type formidable. ».[01] Il ajoutait : « On dit même qu’il aime les belles femmes autant que moi, et beaucoup d’entre elles sont plutôt jeunes ».[01]

LCI_Epstein-Trump
Débat sur LCI après la publication de l’article du Wall Street Journal — Capture d’écran E-S

Cette « absence de boussole morale » est confirmée par une litanie de témoignages d’anciens collaborateurs. John Bolton, son conseiller à la sécurité nationale, a décrit dans ses mémoires un homme incapable de distinguer son intérêt personnel de celui de la nation.[02] Mark Esper, son secrétaire à la Défense, a dépeint un président dangereux, guidé uniquement par son image et sa réélection.

L’anecdote du golf est à cet égard une métaphore parfaite de sa présidence : les règles sont pour les autres. Rick Reilly, un journaliste sportif qui a consacré un livre entier au sujet, « Commander in Cheat: How Golf Explains Trump« , le décrit sans ambages. « J’ai toujours dit que le golf, c’est comme un short de cycliste. Ça révèle beaucoup de choses sur un homme », écrit Reilly, avant de conclure : « Et le golf révèle beaucoup de laideur chez ce président ».[03] Cette propension à ignorer les règles s’est aussi manifestée dans sa manière de gouverner et d’interagir avec autrui.

Son langage corporel en dit long : ses fameuses poignées de main viriles avec Emmanuel Macron, son attitude grossière avec certains chefs d’État, tout cela relève d’une diplomatie de la domination plutôt que de la négociation.

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Un paraphe considéré par les graphologues comme le summum du narcissisme… — Photo © E-S

Et que dire de sa signature de 8 cm de haut ? Analysée par des graphologues comme le summum du narcissisme, elle est plus une « marque » qu’une signature, le sceau d’un PDG sur un produit.[04] Elle crie « un immense orgueil personnel » et « un grand besoin d’être aux commandes ».[04]

II. Fox News, tweets et décrets : Gouverner depuis son canapé

Le jour même de sa prise de fonction et de sa prestation de serment du nouveau czar de servir l’Amérique (à sa façon), dés le début dans une mise en scène particulière entre les trompettes d’Aïda et en direct de Koh-Lanta, Donald Trump, en savourant la défaite de Biden, n’a pas caché qu’il allait faire le bonheur de l’Amérique.

il a voulu marquer son territoire. Un observateur avisé a cru voir ce soir là « un demi dieu, mi fou, mi bouffon, prenant des postures d’adulte pour proférer des niaiseries d’enfant, flanqué d’une première dame masquée d’un énorme chapeau, entouré d’une famille endimanchée à la mine gourmande, devant un auditoire de milliardaires en pâmoison qui applaudissaient chacun de ses mots. Bénédictions catholique et juive, oracles, cantates et trompettes pour l’arrivée du nouveau Messie.» Regrettant au passage que « le Mozart français de la finance n’ait pas été invité à cette loufoquerie, alors que l’italienne Mélonie – en souvenir du Duce peut-être » – elle, était de la fête. Avec tous « les représentants de tous les partis fascistes européens. La retransmission en mondovision a déchainé l’enthousiasme des commentateurs des chaines d’informations à la solde de leurs richissimes propriétaires.» Et le soir même, fier de lui, Trump signait ses premiers décrets avant de lâcher ses tweets vengeurs…

Un grand moment de télévision ! Quel dommage que Claude Darget ou Coluche n’aient pas pu nous commenter ensemble cette grande page d’histoire amércaine en direct pour que cela reste ancré dans les annales (c’est le cas de le dire) de la télévision…

Trump n’a pas besoin de lire de rapports ou de journaux, car il ne gouverne pas sur la base de faits, mais sur celle d’un narratif simple et répétitif.

Sa principale source d’information semble être Fox News, c’est déjà cela. Et son seul public, « sa base fidèle » , les partisans du mouvement MAGA qui commenceraient à douter. Dans les 93% d’Américains qui pensent que l’administration Trump ment dans l’affaire Epstein, cette base n’est pas absente, elle serait même montée au créneau mais pour le moment elle se contente d’un « circulez, il n’y a rien à voir »… Wait & see !

Des enquêtes fouillées du New York Times ont largement documenté son « Executive Time », un temps passé en grande partie à regarder la télévision et à réagir sur son réseau social.[05] Le fait qu’il ne lise que très peu, voire pas du tout, les notes de ses services de renseignement est un point central, rapporté par de multiples sources au sein même de son administration. C’est comme quand un de ses interlocuteurs parle plus de deux minutes qu’on le voit fatiguer… On l’a vu récemment avec des chefs d’États africains à qui il a demandé dans le bureau ovale de se contenter de donner « leur nom et le nom du pays qu’ils représentaient ». Certains mettront cela sur son âge avancé, d’autres, mieux informés sur sa suffisance légendaire, estiment que sachant tout, Trump n’a rien à apprendre de personne. Qu’on se le dise !

Il semble pondre des décrets comme une batterie de poules pond des œufs. Au-delà de la métaphore, une réalité qui rend bien compte de la méthode Trump. Ses décrets sont souvent mal rédigés, fréquemment attaqués en justice. Leur but principal n’est pas tant l’efficacité que la communication.[06] Chaque décret est un épisode du « show » Trump, destiné à prouver qu’il « fait des choses » pour ses partisans.

La rengaine favorite, « C’est la faute à Biden », même si elle réjouit Voltaire, est devenu un classique du populisme. Cette rhétorique simple, martelée sur Fox News et Truth Social, crée une réalité alternative pour ses partisans. Il n’y a pas de complexité, juste des héros (lui) et des méchants (Biden, les « démocrates radicaux », etc.), et un flux constant de contre-vérités proférées. En plus, il ment « comme un arracheur de dents », d’autres diraient comme Poutine.

III. Le monde selon Trump : Entre Poutine, Kim et les « bides »

La politique étrangère de Trump a été marquée par un tropisme pro-russe plus que suspect, l’une des constantes les plus troublantes de sa présidence. Au sommet d’Helsinki en 2018, il a semblé faire davantage confiance à Vladimir Poutine qu’à ses propres agences de renseignement. Interrogé pour savoir qui il croyait concernant l’ingérence russe de 2016, il a déclaré : « Le président Poutine dit que ce n’est pas la Russie. Je ne vois aucune raison pour que ce soit le cas. ».[07] Que Donald Trump tombe sous le charme voire le charisme de Vladimir, il n’y a aucun doute, mais de là à le prendre pour un agent russe, il y a un pas que nous ne franchirons pas car il est plus fait pour être figurant à Koh-Lanta qu’agent secret. Comme le dit très bien John Schindler : « Si vous connaissez le mode opératoire des tchékistes, Trump était ce que les espions russes appellent un « contact confidentiel » (doveritelnaya svyaz).

Pour Tod Leventhal qui fait autorité sur ces questions et pas seulement aux États-Unis, ceci « est bien loin de la définition occidentale d’un agent de renseignement. Certaines personnes ne savent même pas qu’elles en sont un.

Sérieusement, pouvez-vous imaginer Trump comme un espion ? Il craquerait sous la pression en dix secondes. Il faudrait chercher longtemps pour trouver quelqu’un de moins adapté au travail clandestin que Donald J. Trump.

C’est pourquoi Don n’a jamais obtenu sa Trump Tower à Moscou, ce qu’il voulait depuis toujours. Cela montre bien que la relation secrète entre Trump et le KGB (et son successeur post-soviétique dans le domaine du renseignement extérieur, le SVR) n’a jamais abouti. Mais le Kremlin n’oublie jamais. C’est le « kompromat » sur Trump qui obsède les libéraux. Il ne s’agit pas de « vidéos de pipi » ou autres – les Russes ont probablement des vidéos des frasques sexuelles de Trump, mais soyons honnêtes, Don s’en vanterait et les publierait peut-être lui-même en ligne – mais plutôt de la relation secrète entre Trump et le KGB dans les années 1980, dont les détails seraient embarrassants pour Trump, même si ce partenariat clandestin n’a jamais vraiment abouti.»

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Vlad, Xi et Kim trinquent à la santé de Donald. Avec des ennemis apreils, pas besoin d’amis ! © European-Security

Le rapport Mueller, sans prouver une collusion explicite, a détaillé des contacts « nombreux et systématiques » entre son équipe de campagne et des intermédiaires russes.[08] Ses vieilles relations avec la mafia et les autorités russes pourraient être liées à ses affaires immobilières passées et au besoin de capitaux étrangers, souvent d’origine opaque. Son propre fils, Eric Trump, confiait en 2014 à un journaliste de golf : « Nous n’avons pas besoin des banques américaines. Nous avons tout le financement dont nous avons besoin depuis la Russie ».[03]

Trump a abordé la géopolitique comme un promoteur immobilier : une photo, une poignée de main, et on passe au projet suivant. Le suivi et la substance sont quasi inexistants. Sa diplomatie du « deal » a souvent mené à des fiascos :

Donald Trump, l'idiot utile de Vlad-Poutine
Donald Trump, l’idiot utile de Vladimir Poutine ? — Illustration © European-Security
  • En Corée du Nord, les sommets spectaculaires avec Kim Jong-un, dignes d’un show télévisé, n’ont abouti à aucune dénucléarisation concrète. Ce fut du pur théâtre. Malgré les rencontres historiques, les analystes s’accordent à dire que les progrès ont calé et que Pyongyang a continué d’étendre son arsenal.[09] Le grand gagnant ? Rocket Man, assurément.
  • En Afghanistan, l’accord de Doha avec les talibans, négocié en 2020 sans le gouvernement afghan, a pavé la voie au retrait chaotique finalisé par l’administration Biden.[10] C’est un exemple parfait de sa logique du « je règle ça vite fait et je m’en vais ».
  • Au Moyen-Orient, ses partisans louent les Accords d’Abraham. Pour être sérieux et documenté, il faut les mentionner : ces accords ont normalisé les relations entre Israël et quelques monarchies du Golfe. Cependant, il faut immédiatement nuancer que ces accords n’ont absolument pas réglé la question palestinienne, que Trump a superbement ignorée, menant à l’impasse actuelle.[11]

L’idée de le voir recevoir un Prix Nobel de la Paix pour un bilan qui s’est « toujours terminé par un bide » est le sommet de l’ironie.

Conclusion : Un demi-dieu aux pieds d’argile

En synthèse, le personnage de Donald Trump, narcissique et sans scrupules, la méthode de la bulle informationnelle et les résultats souvent calamiteux de sa politique étrangère forment un tout cohérent. Il n’a pas « échoué » à être un président traditionnel; il n’a jamais essayé de l’être.

Revenons à notre question initiale : Donald Trump est-il plus bête que méchant ?

La réponse n’est peut-être pas l’un ou l’autre. C’est peut-être que sa « bêtise » – son inculture, son désintérêt pour les faits – est l’outil de sa « méchanceté » – sa quête de pouvoir sans limite. Il est un homme qui a parfaitement compris que, dans notre ère médiatique, la perception de la force est plus importante que la force elle-même, et que la répétition d’un mensonge est plus efficace que la démonstration d’une vérité.

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Comme chef du protocole, il y en a un qui était tout trouvé, à sa sortie de prison — © Patrick Chapatte

Malgré le fait qu’il cumule nombre d’énormes défauts et s’entoure de « bras cassés pour éviter toute contestation », il n’en reste pas moins un demi-dieu pour sa base MAGA qui le vénère.

Il n’est pas leur chef politique, il est leur icône culturelle, le symbole de leur rébellion contre les élites. Il n’est pas jugé sur son bilan, mais sur les ennemis qu’il se fait. C’est en cela qu’il reste, malgré tout, une force politique redoutable et une énigme pour la démocratie américaine.

Et c’est pour toutes ces raisons que ce pauvre Donald, le Canard, a envie de changer de prénom.

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Les bikers MAGA font route vers le bonheur trumpien – Illustration Beate Bachmann

Pour le moment, l’Amérique assiste à sa déconstruction au fil des jours, en attendant peut-être de se réveiller un jour et de siffler la fin de la récré.

Le monde est en train de changer après 80 ans de paix relative; aujourd’hui, le monde entier prépare la guerre. Si l’on comprend mal comment cela commence, on devine bien comment cela peut se terminer. Que diront les Américains dans le secret de l’isoloir aux prochains mid-terms?

Joël-François Dumont

Voir également :

Notes

[01] New York Magazine, « Trump Says He’s Known ‘Terrific Guy’ Jeffrey Epstein for 15 Years » (10 juillet 2019 citant un article original de 2002).

[02] Bolton, John, « The Room Where It Happened: A White House Memoir« , Simon & Schuster, 2020. Bolton y écrit notamment que pour Trump, la distinction entre les intérêts personnels et les intérêts de la nation était inexistante.

[03] The Guardian, « Rick Reilly: ‘Donald Trump will cheat you on the golf course and then buy you lunch‘ », 10 décembre 2019. (La citation d’Eric Trump est également rapportée dans le livre de Reilly).

[04] Forest Park Review, « The Donald’s signature is quite revealing« , 11 avril 2017. URL:

[05] The New York Times, « Trump’s Hour-by-Hour Battle for Self-Preservation« , 9 décembre 2017. L’article détaille comment le président commençait ses journées en regardant Fox News pendant des heures…

[06] The Brookings Institution, « Tracking deregulation in the Trump era« . De nombreuses analyses juridiques et institutionnelles ont documenté le taux élevé de contestations judiciaires et de revers subis par les décrets de l’administration Trump.

[07] U.S. Embassy in Estonia, « Remarks by President Trump and President Putin in Joint Press Conference« , (16 juillet 2018). Voir également : « Le projet russe pour les États-Unis » — (2025-0329) —. Françoise Thom explique comment « Les intérêts des oligarques russes convergent avec ceux des magnats de la Big Tech. Poutine et les grands oligarques, russes et américains, se croient au-dessus des lois. Le mépris du droit va si loin chez Poutine qu’il en vient à mettre en cause la notion d’État, justement parce qu’un État repose sur une charpente juridique et qu’il a des frontières, ce qui lui déplaît. Le trumpisme vise à remplacer l’État par une « verticale de pouvoir » à la Poutine, dans laquelle servent des fonctionnaires choisis pour leur loyauté et non pour leur compétence. Le démantèlement de l’État s’accompagne d’une dérégulation dont profitent les grands oligarques ambitionnant de se rendre maîtres des flux financiers. C’est pourquoi les stratèges du Kremlin ont très tôt compris quels services pouvaient leur rendre les libertariens occidentaux … Les thèses douguiniennes ont percolé dans le régime poutinien, et ont inspiré la politique de destruction des États-Unis mise en œuvre depuis 20 ans… Tout ce qu’est en train de réaliser l’administration Trump

[08] U.S. Department of Justice, « Report On The Investigation Into Russian Interference In The 2016 Presidential Election » Le « Rapport Mueller » (mars 2019) indique que l’enquête « a identifié de nombreux liens entre le gouvernement russe et la campagne Trump ». Voir également la dernière analyse de Françoise Thom, « Le cloaque et le chaos : la Russian connexion de l’affaire Epstein »  qui met en lumière les relations étroites qu’entretenaient le financier Jeffrey Epstein et le père de sa complice Ghislaine, Robert Maxwell, magnat de la presse écrite britannique, avec les hautes sphères du pouvoir soviétique, puis russe.

[09] Associated Press, « North Korea says Kim-Trump ties are ‘not bad‘ but it’s not giving up its nuclear weapons », 29 juillet 2025. L’article résume bien l’impasse des négociations et la poursuite du programme nucléaire nord-coréen.

[10] Just Security, « Legal Implications of the Doha Agreement Under Trump« , 12 mars 2025. L’analyse souligne comment l’accord a « facilité une prise de pouvoir rapide des talibans ».

[11] ResearchGate, « The Impact of Abraham Accords on the Palestine Cause » (Septembre 2024). Étude analysant comment les accords ont mis de côté la question palestinienne.