Une semaine. Il a suffi d’une semaine pour que Donald Trump nous rappelle qui il est vraiment : un narcissique pathologique doublé d’un autocrate en herbe, incapable de la moindre retenue, allergique à toute forme de décence.[1] Une semaine pour humilier publiquement un président en guerre, expulser les vrais journalistes au profit de propagandistes MAGA, transformer le symbole de la démocratie américaine en palace doré digne de Mar-a-Lago, et partager une vidéo de lui bombardant ses concitoyens d’excréments depuis un avion de chasse.
Pendant que nos dirigeants européens tremblent face à ce personnage qui se croit tout permis, la presse américaine digne de ce nom se voit refouler aux portes du pouvoir. À la Maison-Blanche comme au Pentagone, les badges des journalistes du New York Times, du Washington Post, de CNN et NBC ont été confisqués. Remplacés par qui ? Par des podcasteurs complotistes et des blogueurs pro-Kremlin. Bienvenue dans l’ère de la post-démocratie trumpienne, où la grossièreté devient doctrine, l’indélicatesse une stratégie, et la goujaterie une marque de fabrique. Le blaireau de l’année ? Non. Le fossoyeur ricanant de tout ce que l’Occident prétendait encore défendre.
Quand la Maison-Blanche devient un reality show pour autocrates
Ah, Donald Trump ! Le voilà de retour, fidèle à lui-même, c’est-à-dire fidèle à rien sinon à son ego démesuré et à son goût pour le kitsch doré. En une semaine à peine, il a réussi l’exploit de nous faire regretter… Non, attendez, on ne peut pas regretter quelque chose qui n’a jamais existé : sa retenue. Car il n’en a jamais eu, de retenue. Ce qui est nouveau, c’est l’ampleur du désastre, la systématisation de l’indécence.
Commençons par la scène surréaliste du 28 février avec Volodymyr Zelensky. Un président d’un pays en guerre, venu chercher du soutien face à l’invasion russe, s’est fait traiter comme un mauvais élève convoqué chez le principal. La rencontre, décrite comme un « match de hurlements » retransmis au monde entier, a révélé la volonté croissante de Trump de sacrifier l’Ukraine pour sa vision plus large de reconstruction des relations avec la Russie. Devant les caméras, Trump et son acolyte JD Vance [2] ont noyé la voix de Zelensky sous leurs reproches, l’accusant d’être « irrespectueux » et « ingrat ». Trump a même lancé à un journaliste : « Et si une bombe vous tombait sur la tête maintenant ? » Quelle élégance diplomatique ! Quelle finesse !
Mais le plus révélateur reste cette défense enflammée de Poutine. Trump a présenté le dirigeant russe comme un allié dans sa rivalité politique avec les Démocrates, évoquant l’enquête fédérale sur sa campagne de 2016 : « Poutine a traversé un enfer avec moi. Il a traversé une chasse aux sorcières bidon où ils l’ont utilisé avec la Russie, Russie, Russie ». Voilà donc le critère trumpien de l’alliance internationale : non pas les valeurs démocratiques, mais la solidarité entre victimes présumées de « chasses aux sorcières ». Poutine et lui, frères d’armes contre la méchante enquête Mueller. Touchant.
La presse ? Quelle presse ?
Mais attendez, car le spectacle ne s’arrête pas là. Lors de la rencontre d’août entre Trump et Zelensky, les correspondants vétérans de la Maison-Blanche ont grommelé en privé tandis qu’une personnalité en ligne MAGA dominait les questions-réponses. Qui donc ? Brian Glenn, un podcasteur de Real America’s Voice, ce média d’extrême droite qui diffuse Steve Bannon et Charlie Kirk. Glenn, qui avait déjà provoqué une explosion de colère de Trump et Vance en février en critiquant la tenue vestimentaire de Zelensky, s’est vu accorder un accès privilégié malgré qu’il ne fût pas assigné au pool de presse. Et pendant ce temps, les vrais journalistes regardaient, impuissants, leur profession se faire détourner par des courtisans déguisés en reporters.
Le podcasteur MAGA Jack Posobiec a voyagé avec le secrétaire au Trésor Scott Bessent en Ukraine et avec la secrétaire à la Sécurité intérieure Kristi Noem à la frontière nord. ZeroHedge, un blog financier que les services de renseignement américains ont accusé de diffuser de la propagande russe en 2022, s’est vu attribuer le siège « Nouveaux Médias » dans le pool de presse. On croit rêver ! La propagande pro-Kremlin installée officiellement dans la salle de presse de la Maison-Blanche !

Au Pentagone, c’est encore pire. One America News Network remplacerait NBC News et Breitbart prendrait la place de National Public Radio dans les précieux espaces de travail du corps de presse du Pentagone dans le cadre d’un nouveau « programme annuel de rotation des médias ». Puis, ne trouvant pas cette censure suffisante, le secrétaire à la Défense Pete Hegseth a exigé que les journalistes signent de nouvelles règles restrictives interdisant de « solliciter » même des informations non classifiées auprès d’employés fédéraux qui n’ont pas été officiellement approuvées pour publication. Résultat ? Le 15 octobre 2025, le Pentagone a confisqué les badges des journalistes de pratiquement toutes les grandes organisations médiatiques d’Amérique. ABC, CBS, CNN, NBC, Fox News, le New York Times, le Washington Post, NPR – tous expulsés. Même Newsmax, la chaîne pro-Trump, a refusé de signer !
En dix mois de l’administration Trump, le secrétaire à la Défense Pete Hegseth n’a donné que deux conférences de presse. Et il n’y a eu pratiquement aucune séance d’information en coulisses, pourtant courantes dans le passé lors d’actions militaires. À la place ? Des posts sur les réseaux sociaux soigneusement orchestrés et des interviews avec des commentateurs et podcasteurs partisans. La transparence démocratique, version Trump : circulez, il n’y a rien à voir, ou plutôt, vous ne verrez que ce que je veux vous montrer.
Mar-a-Lago s’installe à Washington
Et comme si tout cela ne suffisait pas, Trump a décidé de transformer la Maison-Blanche en succursale de son club de Palm Beach. Des rendus diffusés par la Maison-Blanche suggèrent une forte ressemblance avec la salle de bal dorée de Mar-a-Lago. Le projet a également pris de l’ampleur depuis son annonce, passant d’une capacité de 650 invités assis à 999 personnes. Une salle de bal de 8400 m² (90 000 pieds carrés) – presque le double de la taille de la Maison-Blanche elle-même ! Le président et sa porte-parole avaient initialement déclaré que rien ne serait démoli pendant la construction. « Ce sera près mais sans la toucher », avait dit Trump. « Rien ne sera démoli », avait ajouté sa porte-parole. Cela s’est avéré faux.
Trump a également rénové la salle de bain de la célèbre chambre Lincoln dans les quartiers privés et posé des sols en marbre dans un passage menant à la pelouse sud. Le Bureau ovale lui-même est orné de généreuses décorations dorées, que Trump a commandées à un artisan de Floride qui avait travaillé sur son domaine de Palm Beach. De minuscules chérubins dorés regardant d’en haut des portes sont venus directement de Mar-a-Lago. Subtil, n’est-ce pas ? On se croirait dans le hall d’un casino de Las Vegas, version Louis XIV sous amphétamines.
Trump a transformé le Rose Garden en patio recouvert de pierre, parce qu’il craignait que les talons hauts des femmes ne s’enfoncent dans la pelouse. La délicatesse trumpienne dans toute sa splendeur : arracher l’herbe historique pour éviter aux invitées de ses soirées de cocktails de salir leurs Louboutin. Jacqueline Kennedy doit se retourner dans sa tombe.
Le couronnement du grotesque
Et pour ceux qui pensaient qu’on avait touché le fond, Trump nous a prouvé qu’on pouvait encore creuser. Le 18 octobre, après que près de 7 millions de personnes ont participé à plus de 2 700 manifestations « No Kings » dans les 50 États – des citoyens américains osant dire qu’ils ne voulaient pas d’un roi – Trump a partagé une vidéo générée par intelligence artificielle.
Cette vidéo de 19 secondes montre Trump portant une couronne dans un avion de chasse étiqueté « King Trump », larguant ce qui semble être des matières fécales sur des manifestants rassemblés à Times Square à New York. Sur fond de « Danger Zone » de Kenny Loggins, naturellement.
Partagé fièrement sur Truth Social, son réseau au nom ironiquement orwellien – car quelle meilleure plateforme pour diffuser sa « vérité » que celle où mensonge et délire se côtoient au quotidien, ce tweet trumpien restera dans les annales – comme monument à la déchéance présidentielle. Parce que rien ne crie « dignité présidentielle » comme bombarder virtuellement ses concitoyens d’excréments depuis un F-16. Bombarder virtuellement ses concitoyens de la sorte, il fallait l’oser. Et un Trump ça ose tout ! Audiard l’aurait immanquablement reconnu…
Kenny Loggins a publié une déclaration demandant que sa chanson soit retirée de la vidéo : « Il s’agit d’une utilisation non autorisée de mon interprétation de ‘Danger Zone’. Personne ne m’a demandé ma permission, que j’aurais refusée, et je demande que mon enregistrement sur cette vidéo soit supprimé immédiatement ». Mais peu importe. Le président de la Chambre Mike Johnson a défendu la vidéo comme étant de la « satire ». Ah oui, bien sûr. De la satire. Le président des États-Unis partageant une vidéo de lui bombardant de merde ses concitoyens qui manifestent pacifiquement. Quel fin humoriste !
Le blaireau de l’année
Voilà donc où nous en sommes. Un homme qui traite les présidents étrangers comme des subalternes, qui bannit les vrais journalistes pour les remplacer par des propagandistes, qui transforme le symbole de la démocratie américaine en palace doré digne de Louis de Bavière sous Prozac, et qui trouve amusant de se représenter en monarque larguant des excréments sur son propre peuple.
Les médias américains ? Ils oscillent entre l’accablement et l’incrédulité. Certains tentent encore de documenter ce naufrage quotidien de la décence, malgré les obstacles dressés par cette administration. D’autres, complices ou simplement opportunistes, se font les sténographes dociles du délire présidentiel.
Nos dirigeants européens tremblent ? Ils ont raison. Car ce personnage qui se croit tout permis, qui refait la Maison-Blanche à l’image de son club de milliardaires, qui préfère Poutine à ses alliés historiques, et qui partage des vidéos scatologiques après avoir été comparé à un roi, n’est pas seulement grossier, indélicat ou goujat. Il est dangereux. Dangereux pour la démocratie américaine, dangereux pour l’ordre international, dangereux pour tous ceux qui croient encore que les mots ont un sens et que les institutions ont une valeur.[3]

Trump ne changera pas. Il nous l’a prouvé en une semaine, comme il nous le prouve chaque jour. La vraie question n’est plus de savoir qui il est – un narcissique patho-logique doublé d’un autocrate en herbe – mais combien de temps encore les institutions américaines et la communauté internationale supporteront ce cirque obs-cène avant que le chapiteau ne s’effondre sur nos têtes.
En attendant, consolons-nous. Au moins, avec ses sols en marbre et ses chérubins dorés, le naufrage aura de l’allure. Du clinquant, diraient les mauvaises langues. Mais n’est-ce pas là toute l’histoire de Trump ? Une tragédie américaine jouée en toc et en or faux, sur fond de « Danger Zone » et de matières fécales numériques.
Donald Trump, l’homme qui se prend pour un roi — Illustration IA © European-Security
Le blaireau de l’année ? C’est un euphémisme. Disons plutôt : le fossoyeur ricanant de la civilité politique occidentale, couronne en plastique vissée sur le crâne, iPhone à la main, prêt pour le prochain selfie.
Joël-François Dumont
[1] « Qu’ils me haïssent pourvu qu’ils me craignent » — (2025-0409) — Les valeurs auxquelles Donald Trump se réfère sont dénuées de toute éthique, de toute exigence morale, de toute dignité humaine. le constat est unanime… Quel sens Trump accorde-t-il au mot valeurs ? Dans la dialectique trumpienne, elles sont sans doute son-nantes, trébuchantes et se monnaient. L’immatériel et toute sa subtilité, l’intériorisation et l’intimité qui lui est indissociable, ne sont que sensibleries destinées à forger le caractère identitaire de groupes que Trump combat. En faisant éclater la sphère géo-politique, Trump compromet les chances d’un retour à des conditions de stabilité comparables à celles de la guerre froide. Le sénateur Claude Malhuret l’a récemment comparé à Néron, mais c’est chez Caligula qu’il a indéniablement trouvé son modèle. Vicieux, cruel, dépravé, souffrant d’une mégalomanie confinant à la folie, Caligula a laissé à la postérité l’image d’un monstre, celle d’un empereur qui voulait être un dieu. Un Dieu qui revendique un prix Nobel !!
[2] « Faire face. Et d’abord ne pas se tromper… » — (2025-0304) — « Washington est devenue la cour de Néron, un empereur incendiaire, des courtisans soumis et un bouffon sous kétamine chargé de l’épuration de la fonction publique… Jamais dans l’histoire un président des États-Unis n’a capitulé devant l’ennemi. Jamais aucun n’a soutenu un agresseur contre un allié. Jamais aucun n’a piétiné la Constitution américaine, pris autant de décrets illégaux, révoqué les juges qui pourraient l’en empêcher, limogé d’un coup l’état-major militaire, affaibli tous les contre-pouvoirs et pris le contrôle des réseaux sociaux. Ce n’est pas une dérive illibérale, c’est un début de confiscation de la démocratie. Nous étions en guerre contre un dictateur, nous nous battons désormais contre un dictateur soutenu par un traître…» Le discours du sénateur Claude Malhuret a conservé toute sa fraîcheur. On comprend qu’il soit devenu viral en Europe et outre-Atlantique… !
[3] « De la « Realpolitik » à la « Real-Estate-Politik » — (2025-0409) — En 2025, la paix en Ukraine n’est plus l’affaire des diplomates, mais d’un magnat de l’immobilier, Steve Witkoff, ami de Trump, parachuté négociateur sans aucune expérience. Face à ses impairs, toute critique journalistique est violemment balayée comme une « opération d’influence étrangère ». C’est l’avènement de la « Real-Estate-Politik », où la guerre est traitée comme un simple deal. Cette approche, déjà vue avec Jared Kushner au Moyen-Orient, réduit la géopolitique à une transaction. Les nations deviennent des actifs, les frontières des clauses, et les vies humaines un simple passif. On y nie la complexité de l’Histoire au profit d’une logique de pur profit. La paix n’est plus un idéal à atteindre, mais une affaire à conclure. Et la plus grande tragédie est de voir le monde applaudir cette simplification mortifère.