Tchéquie : Le retour du lion blanc

Le général Petr Pavel est donc élu ce soir avec plus de 58% des voix, président de la République tchèque. Il y a sept mois à Paris, on le créditait au mieux de 5 à 7% des voix… L’erreur est humaine, n’est-elle pas? Vers 18 heures, à Prague ce soir, à l’état-major de campagne du président-élu Petr Pavel, après la proclamation des résultats, les commentaires allaient bon train. Autour de moi on pouvait entendre : « tous les pays occidentaux félicitent le général Pavel, sauf un ». Toujours cette exception française ! Mais peu après 18 heures, on apprendra qu’Emmanuel Macron avait invité — dans un tweet — le président Petr Pavel à Paris…

par Joël Bros (à Prague) et Joël-François Dumont — Le 28 janvier 2023 —

Il faut dire que le soutien direct du président Emmanuel Macron à Andrej Babiš, deux jours avant le premier tour de scrutin, a été vécu dans le pays comme « un coup de poignard dans le dos ».[1] D’un pays pourtant réputé ami, avec lequel des liens séculaires avaient été tissés. Aller soutenir ce que l’on a pu entendre ou lire – un ancien membre du Stb,[2] le recevoir à l’Élysée pour donner l’impression qu’il était le candidat de la France alors qu’il était celui de Moscou était, au-delà de l’erreur diplomatique, une faute politique grave, témoignant, au mieux, d’un manque de discernement certain.

Election du général Petr Pavel en République tchèque.
Prague : Le général Pavel avec son épouse face à ses supporters — Photo — © Joël Bros
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Photo © Jana Bros

Sans oublier l’action d‘éclat du lietnenant-colonel Pavel qui a sauvé 43 membres de nos forces spéciales condamnés à une mort certaine durant la campagne d’ex-Yougoslavie, qui, de sa seule initiative — car il savait que s’il avait demandé l’autorisation, elle lui eut été refusée — a sauvé avec sa section nos compatriotes et ramené les trois corps côté français. Comme disait mon ancien adjudant-chef, « parfois la radio déconne ». Les Français qui avaient tout tenté avaient dû, la mort dans l’âme, c’est le cas de le dire, y renoncer.

La légion franco-tchécoslovaque

« Je suis triste ce soir, je pense à mon grand-père » me dit Jana, fière d’avoir eu son grand-père se battre en 14-18 sous uniforme français à Verdun dans la Légion tchéco-slovaque. A l’époque, avant Bénes, il y avait un trait d’union qui a sauté quand la Slovaquie est devenue le wagon accroché à la locomotive russe sur la voie de Moscou.

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Soldats tchéco-slovaques incorporés dans le 21e RI au Camp de Darney le 30 juin 1918 – Photo ECPAD

Comment en France oublier tous ces Tchéco-Slovaques qui se sont battus en 14-18 et en 39-45 et ceux qui sont morts à nos côtés.

Comment oublier mon vieil ami Rudolf Lis qui avait rejoint la France —[3] à pied — pour se battre en 14-18 et en 39-45, chantant devant notre caméra l’hymne des partisans en français, là-même ou des ouvriers français du STO étaient employés dans la grande usine locale à faire des moteurs d’avion allemands.

Le bataillon Foch : des héros oubliés

Dans la neige, avec des chaussures confectionnées avec des draps par des paysannes, conduits par deux sous-lieutenants français évadés de Hongrie, 200 d’entre eux ont réussi à stopper dans la trouée de Strečno la 1e Division blindée de la Waffen SS.

Un acte de bravoure que le général de Gaulle sera le seul dans l’histoire à saluer.[4]

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Un acte de bravoure que le général de Gaulle sera le seul dans l’histoire à saluer. Jacques Chirac qui n’était pas un ingrat recevra Vladimir Mečiar à Paris venu rendre hommage au général Milan Stefanik, ministre tchéco-slovaque de la guerre, mort en uniforme français dans le crash de son Caproni aux couleurs italiennes qui le ramenait à Bratislava, et à qui la France, reconnaissante, a réservé, boulevard des Maréchaux à Paris, la première place à 200 mètres de la Porte de Saint-Cloud.[5] Espérons que demain, la Tchéquie reconnaîtra — enfin — le commanditaire de ce crime.

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Résultat final : 58,32% pour Petr Pavel, 41,67 pour Babis – 70% de participation — Photo — © Joël Bros

Internationalisme prolétarien quand tu nous tiens !

Comment la France après avoir, elle aussi, eu à subir dans le « partage des tâches » des services des « pays satellites » au profit du KGB pour ne pas ternir l’image du PCF, des assassinats de Français,[6] l’arrestation de héros français de la 2e Guerre Mondiale, Résistants, transférés de Prague à la Loubianka, sans parler de la désinformation dans nos média via des dizaines de journalistes français invités, tous frais payés, tous les ans, à participer à des « stages » l’été à Karlovy Vary, dans le nord de la Bohème, organisés par cette sinistre StB au profit du KGB. Au programme, « l’amitié entre les peuples » qui méritait bien quelques sacrifices… y compris de rencontrer de belles jeunes femmes « pas farouches pour un kopek », désireuses de parfaire leur français, l’espace d’un été, avant de se rendre en France pour retrouver ces « amis français » et perfectionner leur connaissance linguistique. Qu’on se rasure : à Karlovy Vary, il n’y avait pas que des journalistes français.

Des Français au service du KGB, du StB et de la Stasi

Les archives tchèques ont déjà révélé le rôle de Jean Clément mort récemment, journaliste au Canard Enchaîné et agent de Prague et de Varsovie au profit de Moscou. Imaginons que, demain, elle nous ouvre ses livres de compte ? Avec photos à l’appui !

La vérité vaincra

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Après tout, quelle est la devise du Lion blanc ? Pravda vítězí : « la vérité vaincra », ordre créé par la loi du 10 avril 1920 qui suit de peu celle visant à la suppression des ordres chevaleresques.[7] La victoire de la vérité ne fait pas peur à ceux qui ont la conscience tranquille. C’est bien connu.

Comment la France, comme d‘autres a-t-elle pu cacher à son opinion publique si longtemps qu’une douzaine de camps de concentration nazis ont continué de servir après 1945 au profit de l’URSS?

Et pas seulement en Allemagne de l’Est, des camps qui ont fait entre 1945 et 1952 plus d’un million et demi de morts.

Médailles de l’ordre du Lion Blanc

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Camp de Ravensbrück où périrent la plupart des Résistantes françaises — Photo © Joël-François Dumont

Il suffit de visiter le sinistre camp des femmes au nord de Berlin. à Ravensbrück, pour voir que les prisonniers étaient vêtus avec les mêmes vêtements et mangeaient dans les mêmes gamelles que ceux qui étaient là jusqu’à leur « libération » par l’armée rouge ?

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Crématorium de Ravensbrück — Photo © Joël-François Dumont

En août 1945, l’administration militaire soviétique (SMAD) utilisa le camp de concentration de Sachsenhausen sous le nom de « Camp spécial n° 7».

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Camp de Sachsenhausen (« Camp spécial n°7 soviétique ») — Photo © Joël-François Dumont

Dix « camps spéciaux » ont existé en RDA, dans des anciens KZ, appelés « Speziallager » jusqu’a fin 1951, début 1952. Curieusement, aucun livre d’histoire ne relate ces faits. Comme si Speziallager n’était pas pareil que Konzentrationslager (KG) !

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Entrée du camp de Sachsenhausen — Photo © Joël-François Dumont

L’élection du général Pavel

Ce qui s’est passé en Tchéquie témoigne d’un changement profond dans la mentalité de ces « petits pays » de cette Europe centrale et orientale, bien au-delà de la seule République tchèque. Leur objectif déclaré était de réintégrer une famille qui a toujours été la leur au cours des siècles. Les performances de leurs économies montrent qu’ils sont sur le point d’y parvenir depuis ces dernières années. C’est déjà vrai dans la plupart des secteurs économiques, mais sur le plan politique, il leur fallait encore « faire leurs preuves ».

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« Je demande á tous les citoyens de considérer que je suis le président de tous » — Photo — © Joël Bros

Libérés de leurs chaînes soviétiques, ces pays ont « tout fait » pour se mettre au niveau européen afin d’adhérer à cette Europe qui les avait sinon ignorés du moins considérés de loin si longtemps comme des pays de « deuxième zone ». Ils ont « tout fait » également pour s’amarrer à l’OTAN qui est bien la seule garantie collective des Européens face à la menace soviétique hier et russe aujourd’hui. Pour soutenir un projet si noble soit-il d’Europe de la défense, pour être crédible, encore aurait-il fallu ne pas avoir une armée aussi brillante sur le terrain en Afrique mais que celle-ci fut aussi capable au Centre-Europe de tenir plus que six à sept jours dans une guerre de haute intensité, face à la Russie, comme c’est le cas de l’Ukraine aujourd’hui.

Une fierté retrouvée

Avec la guerre d’Ukraine, ces pays ont compris qu’il faudrait désormais « aussi » compter sur eux pour assumer la sécurité de l’Europe.[8] Ce sont eux qui ont donné tout ce qu’ils avaient et pas seulement l’État mais aussi les collectivités et les particuliers pour voler au secours de l’Ukraine.

Dans tous les pays qui sont sinon en première du moins en deuxième ligne, de par leur proximité avec l’Ukraine ou le Belarus, il y a un pays scandinave, la Norvège, un pays nordique la Finlande, trois pays Baltes, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie, sans oublier la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie, la Roumanie et la Bulgarie.

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Résultats définitifs – La participation électorale a atteint un record de 70,25 %. des voix — Photo © Jana Bros

La guerre d’Ukraine imposait aux Tchèques de choisir entre un général et un ancien collabo — pour reprendre le mot utilisé durant les 10 derniers jours de la campagne par les opposants d’Andrej Babis — ou à lui préférer un héros pour les Français mais aussi pour les Tchèques qui ont compris que pour faire la paix comme pour faire la guerre, les mieux armés étaient encore des militaires. La première question que les soldats se posent quand ils partent en guerre ou en opération, est de se demander quand allons-nous rentrer ? Une question que les politiciens, voire les économistes, à l’abri des palais de la République, ne se posent pas.

Que répondre à ce professeur de français tchèque que nous avions rencontré le soir du premier tour à Prague nous dire : « Alors, le petit télégraphiste de l’Élysée, sa batterie de téléphone est à plat »? Ou à cette femme venue de Moravie qui a « vécu quatre ans à Paris » s’interrogeant devant plusieurs militantes qui trinquaient à la santé et au succès du nouvel élu : « Votre Macron, il a tout faux et tout le temps, en même temps comme vous dîtes maintenant »?

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Le LCL Petr Pavel décoré de la Croix de Guerre et de la Valeur militaire par François Léotard — Photo © R. Pellegrino

Pour l’Europe — mais aussi pour la France — il était temps que les Tchèques renouent avec leur riche passé européen. Ce soir ils ont dit oui à l’Europe, ce dont on pourra dans tous les pays se féliciter, même en France, qu’en déplaise à tous ceux qui continuent de penser que Poutine pourra être partie d’un règlement de la guerre d’Ukraine. Il était temps aussi qu’après Tomáš Garrigue Masaryk et Václav Havel, les Tchèques, au lieu de se cantonner au premier rang, fassent de nouveau partie du grand orchestre européen avec Petr Pavel.

Joël Bros (à Prague) et Joël-François Dumont

[1] « Il ne faut pas humilier la République Tchèque » et « Česká republika nesmí být ponížena » — (2023-01-11) —

[2] « Délibérer est le fait de plusieurs… Agir est le fait d’un seul (De Gaulle)» et « Úmysl je dílem mnoha… čin je dílem jednoho (De Gaulle) » (2023-01-26) —

[3] Voir « Le bataillon Foch et la Résistance franco-slovaque » — Reportage en Slovaquie diffusé le 28 août 1998 dans le « Journal International de France Télévisions » sur TV5 —

[4] Décision ministérielle N°264 du 9 décembre 1944 —

[5] Voir « Milan Rastislav Štefánik » — Reportage en Slovaquie diffusé le 29 août 1998 dans le « Journal International de France Télévisions » sur TV5 —

[6] « Délibérer est le fait de plusieurs… Agir est le fait d’un seul (De Gaulle)» et « Úmysl je dílem mnoha… čin je dílem jednoho (De Gaulle) » (2023-01-26) —

[7] L’ordre du Lion blanc (en tchèque : Řád bílého lva) est la plus haute distinction accordée par la République tchèque et, avant elle, par la Tchécoslovaquie. Ordre à cinq classes à sa création (comme la Légion d’honneur en France), le nombre est réduit à trois en 1961 — Source : Wikipedia

[8] Voir l’analyse de Laure Mandeville dans le Figaro : Quand le rêve russe de la France vire au tourment stratégique: depuis le 24 février, les Français voient s’effondre l’un des éléments clés de leur matrice de politique étrangère. la politique d’équilibre de Paris a perdu… l’équilibre et ne sait plus très bien à quel saint géopolitique se vouer — (2023-01-27) —

Voir également : « Česká republika: Návrat bílého lva » — (2023-01-27) —